El Piano Mudo, « Le Piano Muet ». Sous ce titre, le film de Zuhair Jury présentait en 2009 le parcours du pianiste argentin Miguel Ángel Estrella qui vient de mourir le 7 avril à Paris. Alors qu’il était détenu en Uruguay, une mobilisation internationale avait obtenu que ses geôliers acceptent qu’un piano soit livré dans sa cellule. Auparavant, ils avaient eu la cruauté d’en couper toutes les cordes ! Miguel racontait que ses doigts bougeaient sur le clavier tandis que la musique résonnait dans sa tête.
Quelques souvenirs rapportés par Michel Bourdeau.
Après des études de piano à Paris et à Londres, Miguel Ángel Estrella revient en Argentine en 1971 alors qu’une junte militaire a pris le pouvoir. Miguel voulait faire découvrir la musique aux plus pauvres, enfants des bidonvilles, petits paysans et ouvriers d’usine. Son désir de militer à travers la musique est conforté par une rencontre avec Juan Perón, à Paris en 1966. Dix ans plus tard, il ne cache pas son appartenance à la gauche péroniste. Repéré par la dictature argentine, il se réfugie à Montevideo. Enlevé à son domicile le 15 décembre 1977, il est jeté en prison et subit des tortures. Devant les supplices endurés, il confiait « C’est la foi et la musique qui m’ont aidé en prison » même lorsque ses bourreaux lui bandaient les yeux et menaçaient de lui couper les doigts à la scie électrique. Comment ne pas évoquer sa douleur le jour où un gardien a arraché du mur de sa cellule et déchiré la seule photo qui lui restait de sa femme Martha, cantatrice lyrique qui avait été emportée par un cancer.
Une forte mobilisation des pouvoirs publics, des têtes couronnées européennes, des milieux de la musique et de la culture, des militants des droits de l’homme… a fini par arracher sa libération de la prison Libertad [sic] le 12 février 1980. Nous l’avons accueilli avec émotion le temps qu’il retrouve ses forces et reprenne goût à la musique. Il ne fut pas facile de trouver un appartement. Le petit duplex de la rue Caulaincourt avait permis d’isoler le piano au dernier étage. C’est merveilleux d’avoir pour voisin un interprète quand il joue la sonate Pathétique de Beethoven mais cela devient pathétique de supporter ses exercices de gammes cinq à six heures par jour.
Petit à petit, Miguel a retrouvé l’excellence de son niveau, donné des concerts au plan international, enregistré des disques… Pour autant, il n’en a pas abandonné son combat pour la paix et la solidarité. Dès 1981, il lançait son association “Musique Espérance” dont j’ai eu l’honneur d’être le premier secrétaire général. Il a joué quelques fois à Saint-Merry, par exemple en hommage aux “Mères de la place de Mai” ou pour le centième anniversaire de la naissance de Dom Helder Camara. En 1988, il a l’idée de rassembler des musiciens israéliens et chrétiens ou musulmans de divers pays arabes pour former un “Orchestre pour la Paix” qui s’est produit dans de grandes villes européennes comme en un lieu symbolique : le Mémorial de Caen.
Nommé en 2003, ambassadeur de l’Argentine auprès de l’Unesco, Miguel Angel Estrella a présidé ensuite la Maison de l’Argentine à la Cité universitaire de Paris. Miguel ne s’encombrait pas d’honneurs et convenances : il tutoyait tout le monde. Il aura été un père attentif et aimant pour ses enfants : Paula, chanteuse du répertoire argentin et Javier, percussionniste.
Ses amis resteront privés de ses chaleureux abrazos et garderont au cœur ses paroles de paix et de foi : « Je n’ai pas de haine envers ceux qui m’ont torturé… ».
Michel Bourdeau
Merci Michel de ce précieux et émouvant témoignage.
Merci Michel de ce beau témoignage pour Miguel. Au CCFD de Nice, nous l’avons accueilli deux ans de suite et, outre un récital à l’Opéra de Nice, il avait accepté de rencontrer des jeunes à la Fac de Lettres, des Scouts de France, des membres de MJC, des amis du CCFD, etc … Il était alors accueilli pour son logement chez le Président du CCFD de Nice et son épouse. Et j’ai eu l’occasion de partager un ou deux de leurs repas. Homme chaleureux et simple.