Le moins que l’on puisse dire ou écrire en ces jours, c’est que la rentrée est chaude, préoccupante, tragique même pour tant de peuples et de personnes. Sans en rajouter dans le pessimisme qui peut nous décourager ou nous paralyser, trois événements viennent nous rappeler, une fois encore et par des voies différentes, que l’antisémitisme rampant, ce venin qui n’a jamais cessé d’être mobilisé pour les causes les plus douteuses, ce fumier où prospèrent les haines rebouillies, est toujours à l’œuvre selon des déclinaisons plus ou moins malignes. Ci-dessous, trois épisodes récemment saisis par les médias. Mais qui s’en souciera demain ?

New York Times - Elon Musk
The New York Times, 11 septembre 2023

L’invitation par les instances d’EELV à leur « université du Havre » du rappeur Médine, « aux relations artistiques et aux propos plus que douteux » à ce sujet révéla d’abord une fracture supplémentaire au sein de la NUPES qui n’a vraiment pas besoin de ça. Quelques jours après, on apprenait le bras de fer, juridique pour le moment, entre le non moins sulfureux Elon Musk et l’Anti Defamation Ligue, principale organisation américaine de lutte contre l’antisémitisme. Le premier accusant la seconde de faire fuir certains annonceurs de l’ex-Twitter en raison de nombreux propos que l’ADL estime antisémites, ce que réfute Musk. Enfin et dans un registre beaucoup plus subtil, on relèvera les réactions d’Éric Zemmour après que la Cour de Cassation a considéré que son affirmation selon laquelle Pétain avait sauvé les Juifs français pouvait constituer un délit. Beaucoup plus subtil en effet, venant d’un Juif lui-même, obstiné dans sa défense du Maréchal. Le président de « Reconquête » réitéra le 7 septembre dernier en ajoutant, dans une fanfaronnade, : « je défie tous les historiens là-dessus de me donner le véritable démenti face à moi ». Lui tout seul et l’Histoire à la rescousse face aux autres, fussent-ils des professionnels reconnus de l’archive.

Éric Zemmour Octobre 2021
Éric Zemmour, octobre 2021

Sans entrer dans le détail, rappelons simplement que la loi « portant sur le statut des Juifs » et promulguée dès octobre 1940, « annotée de la main même de Pétain » (Matthieu Boisdron) aggravait son caractère discriminatoire initial d’exclusion et de spoliation et que l’article 3 concernait précisément les Juifs « nés français ou naturalisés », réduisant à rien l’affirmation de Zemmour selon laquelle Pétain aurait fait une distinction entre Juifs français et étrangers. Faut-il rappeler que sur les quelque 75 000 Juifs déportés vers les camps ou les centres d’extermination, le tiers avait la nationalité française ? Quant aux autres, des immigrés souvent de fraîche date, n’étaient-ils pas que des gens d’ailleurs (mais d’où ?), généralement démunis venus bien sûr profiter de la manne protectrice de la France. C’est bien dans la confusion volontairement entretenue entre Juifs apatrides et dangereux étrangers profiteurs que se glisse une forme insidieuse d’antisémitisme au service d’une lecture inversée de l’Histoire.

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Pourtant rien d’étonnant de la part d’un personnage qui depuis des années prend des libertés avec elle, entre falsifications grossières et déformations des faits avérés afin de nous servir le fameux « roman national » revisité à la sauce de l’extrême droite. Si bien qu’au printemps 2022, une quinzaine d’historien-nes ont publié un petit ouvrageZemmour contre l’Histoire, Tracts Gallimard, n°34, 3,90 € destiné à « démontrer l’imposture sur toutes les périodes et tous les sujets » sans pour autant, « se poser en dresseurs de tort en proposant une histoire qui serait moralement ou politiquement correcte ». Ils pointent et démontent « les bourdes volontaires et répétitives » puisées dans les écrits ou les interviews de Zemmour. Quelques exemples suffiront peut-être pour vous inciter à vous procurer ce livre salutaire.

Non ! la première croisade n’est pas une victoire française ni Godefroy de Bouillon un chevalier « pratiquement français ». Non ! le roi de France ne descend pas du roi David pas plus que la langue française ne tire sa source de l’hébreu. Non ! Les théoriciens du racisme (Gobineau ou Rosenberg) ne sont pas les enfants dégénérés de Voltaire ni ses bâtards. Non ! Le « J’accuse » de Zola n’a pas précipité une partie des officiers français dans le camp des antidreyfusards ni disloqué les cadres de l’armée provoquant « beaucoup de morts pendant l’offensive allemande de 1914 ». Quand l’histoire falsifiée, tronquée se trouve à ce point instrumentalisée au service d’ambitions politiques, il convient de se méfier singulièrement de ses manipulateurs.
Promis, une prochaine fois, je tâcherai d’être plus léger.

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Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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