C’était en février. Pour la première fois de sa vie, ma petite fille de dix ans se retrouvait dans un environnement sauvage et enneigé. Nous étions, raquettes aux pieds, en pleine forêt de Laponie finlandaise.
Elle vit dans un village de l’Essonne à l’écart des grandes routes. Pourtant des voitures, des bus scolaires circulent qui emmènent chacun sur le lieu de son travail. Des avions traversent le ciel. La cour de l’école maternelle toute proche retentit de cris de joie. Et puis il y a tous ces « chut, elle dort, ne la réveillez pas ! » qu’il faut bien répéter aux deux aînés pour qu’ils ne troublent pas le repos de la dernière-née.
J’habite au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien dans une de ces petites rues où passent des motos qu’on entend venir de loin et s’éloigner longtemps, un bus électrique, navette du quartier, qui remplace le son du moteur par une sonnerie permanente et des autos dont les chauffeurs klaxonnent quand ils ne comprennent pas pourquoi “ça bouchonne“. Il y a la machine à laver de la voisine, la perceuse du bricoleur, la télé du vieux monsieur sourd, la pianiste du dessus et les conversations des passants arrêtés devant mes fenêtres.
Le dictionnaire définit le silence comme l’absence de bruit, de mouvement, de paroles.
C’est bien pour cette raison que le silence, tant vanté par les grands spirituels, est parfois si nuisible.
En famille, ce qui est passé sous silence provoque des dégâts. On a admiré, sur nos écrans, un peuple pourtant réduit au silence, défiler avec courage devant le tombeau d’Alexeï Navalny, mais combien n’ont pas osé ? La loi du silence, l’omerta face aux mafieux, tue comme tue subrepticement une arme munie d’un silencieux. Et comment qualifier le “silence radio“ dans une relation, sorte d’enlisement face à un embarras, recul devant une difficulté ?
Chez les Samis (que nous traitons abusivement de Lapons, lapp signifiant « porteurs de haillons » en suédois), j’ai retrouvé le silence de mes hivers canadiens qui me manque tant, même parfois entrecoupé de l’écho d’une tronçonneuse abattant un arbre avant que ne monte la sève ou d’une pétarade de motoneige : quand il n’y en a qu’une qui passe en une demi-journée, on en ressent l’impression d’un épouvantable barouf.
J’ai retrouvé une respiration, un silence de fond comme on dit “un bruit de fond“, un lieu retiré où le temps ralentit et la paix s’installe.
Ma petite fille a découvert quelque chose qu’elle ne connaissait pas vraiment : l’absence de bruit, comme un secret bien gardé, comme un temps d’arrêt, le silence… à qui veut l’entendre. En musique, ça s’appelle un soupir. Dans la bible, le murmure d’un souffle.
Je souhaite à chaque enfant, les nôtres, ceux de partout, ceux d’Israël et de Gaza, de dire un jour : – T’as entendu le silence ?
Paul Valéry écrit :
Patience, patience, patience dans l’azur
Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr.