Michel Deheunynck, prêtre retraité du diocèse de Saint-Denis et membre de Saint-Merry Hors-les-Murs, a bien voulu nous permettre de partager sur ce site quelques-unes de ses homélies, dont vous pouvez retrouver l’intégralité publiées sous le titre La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent.
Il commente ici Mt 5, 13 -16 (cinquième dimanche ordinaire, Année A)
Alors, comme ça, nous, ici, nous sommes donc « sel de la terre et lumière du monde » ! Rien que ça ! Ailleurs, on en connaît à qui il n’y aurait pas besoin de le leur dire deux fois… Bien sûr, dans notre contexte multiculturel, on nous rappelle l’importance de dialoguer avec des personnes d’autres croyances. Encore heureux ! Mais nous, nous serions la « lumière du monde ». On pourrait penser que dialoguer, ça veut dire échanger, partager, chercher ensemble. Mais si, nous, on se prend pour « la lumière du monde »… On a du mal à croire que Jésus ait pu vraiment penser une chose pareille. Qu’est-ce qu’il a donc voulu nous dire ? Sûrement pas que nous serions les meilleurs ou les plus lumineux. Certains risqueraient de le croire… Alors, voyons cela d’un peu plus près.
Il utilise ces deux symboles de la vie courante, de la vie très courante : le sel et la lumière. Deux symboles qui font appel à deux de nos cinq sens : le goût et la vision. Le sel et la lumière, ce ne sont pas deux produits rares, réservés à la religion. Non, mais ce sont des produits très importants. Le sel est un élément essentiel à notre corps. Quant à la lumière qui permet d’y voir clair dans sa vie, ça va de soi. C’est simple, tout simple. Et dans cette simplicité, là, on le reconnaît déjà mieux, notre Jésus. Des choses simples. Mais pas forcément des choses si agréables que ça en elles-mêmes. Parce que si on mange du sel tel quel, c’est pas si bon que ça. C’est même plutôt écœurant ! Et en plus, il ne faut pas en abuser parce que pour le cœur, les reins, c’est pas ce qu’il y a de mieux. Mais quand on déguste un bon petit plat, c’est vrai que ça a quand même meilleur goût avec un peu de sel. Pas beaucoup, juste un peu. Et on dira : « Qu’il est bon, ce rôti ! » Mais on ne dira pas : « Qu’il est bon, ce sel ! » Au contraire, le sel, on oublie qu’il est là, on ne doit plus le reconnaître. Aucun de ses grains ne doit craquer sous la dent.
Tout cela pour vous dire que nous, les croyants ou en recherche, si nous voulons faire goûter ce sel de la foi et le faire consommer tel quel aux autres, c’est normal qu’ils n’en veuillent pas. Les parents qui pensent que parce qu’ils ont la foi, ça donnera à leurs enfants envie de l’avoir, souvent, ça ne marche pas. Parce que pour que ça marche, encore faut-il que le sel de la foi donne du goût à leur rôti à eux, à leur vie à eux.
Et quand Jésus nous demande d’apporter notre grain de sel sur cette terre, il n’attend pas que nous soyons nous-mêmes agréables, séduisants, mais que nous cuisinions notre monde savoureux, où chacun redonne du goût à sa vie. Au passage, notons les goûts de Jésus : il semble préférer un monde salé, un peu piquant, bien relevé, comme on dit en cuisine, plutôt que trop sucré, édulcoré…
Passons à la lumière. C’est pareil ! Si on regarde le soleil ou une lampe en face, droit dans les yeux, on est complètement ébloui et, en fait d’éclairage, on n’y voit plus rien du tout. Et quand une voiture roule en pleins phares, cela ne facilite pas vraiment des rapports très lumineux et des propos très chaleureux entre automobilistes. Comme le sel, pour qu’une source lumineuse soit efficace, il faut qu’elle se fasse oublier. Le moindre reflet est même gênant, fatiguant pour la vue. Alors quand Jésus nous demande d’être une lumière pour les autres, ce n’est sûrement pas pour les aveugler par notre brillance, mais pour les aider à discerner finement les contours et les nuances de la vie, par exemple dans des rapports relationnels ou des évènements sociaux difficiles.
Voilà, autant notre sel serait donc bien fade si nous ne sommes plus stimulants pour les autres, autant il serait vraiment écœurant si nous prétendons leur faire la leçon ou leur servir d’exemple au lieu de leur redonner du goût pour leur vie à eux. De même, notre ampoule serait bien vite usée, grillée, débranchée, si elle ne mettait pas en valeur le visage de ceux qui sont cachés, tenus à l’écart ; les idées de ceux qui dérangent parce qu’ils ne pensent pas comme il faut penser…
A ses amis de l’Évangile comme à nous aujourd’hui, Jésus ne demande pas d’être des illuminés, mais de mettre simplement une petite pincée de sel, pas plus, dans cette pâte que Dieu s’efforce de pétrir parmi nous. Et juste un petit filet de lumière pour éclairer autrement nos liens humains et redonner à chacun et chacune une bonne image et une fière allure.
Michel Deheunynck
Merci Michel : cela me rend ce texte plus proche, en harmonie avec le reste de l’Evangile et bien plus vivable tout simplement.