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Des moutons et des ânes

Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent.
Cette phrase placée dans la bouche de Jésus par l’évangéliste Jean me turlupine.
D’abord, ruminer et bêler n’entrent pas dans mes plans. Et puis, on qualifie de mouton quelqu’un de paisible au point d’en être passif. Un mouton est une personne crédule, qui se laisse berner et dont les idées se modèlent sur celles de son entourage au risque de se laisser manger la laine sur le dos. Je n’ai pas envie d’être du genre ovin, même menée par un bon berger.

Je n’ai jamais exercé le métier de bergère. J’étais ânière.
Les ânes, présents aussi dans les évangiles, ont mauvaise réputation. Eux qui possèdent un éventail de vingt tons pour dire leur joie, leur tristesse, leur douleur, leur colère, leur appétit sexuel… Et ne braient que rarement, pour ne pas gâcher le silence ou effrayer d’autre animaux, symbolisent l’ignorance représentée par le fameux bonnet d’âne.
Les règlements des écoles ont, semble-t-il, longtemps toléré ce couvre-chef ridicule, qu’on attachait sur la tête des mauvais élèves avant de les envoyer au piquet.
L’origine de cette coiffure est controversée.

Midas, le roi de Phrygie (une partie de l’Anatolie en actuelle Turquie) de 715 à 676 av. J.-C. fut le premier couvert d’un bonnet d’âne.
Des historiens affirment que les souverains de Phrygie portaient une mitre taillée dans la peau du crâne d’un âne, à laquelle les oreilles adhéraient encore. Les Grecs, surpris par cette coutume, auraient, du coup, inventé une légende. Pan, le dieu de la nature qui joue de la flûte, et Apollon, le dieu des arts joueur de lyre, s’opposent lors d’un concours de musiciens arbitré par Midas. Celui-ci se prononce en faveur de la flûte de Pan. Apollon, vexé et furieux, fait pousser des oreilles d’âne sur la tête de Midas. Pour cacher cette infirmité, le roi porte en permanence un bonnet, maintenu par deux bandeaux noués sous le menton, son “bonnet d’âne“… sans oreilles ! On l’appelle aussi le bonnet phrygien, adopté plus tard par les esclaves affranchis, devenu le symbole de la République Française et, cette année, transformé en mascotte des Jeux Olympiques. Son barbier, seul au courant, jure de garder le secret. Pour se soulager du poids de cette promesse, il creuse un trou au bord d’une rivière, y dépose son secret (en l’y chuchotant) et l’enterre. Mais des roseaux poussent qui, à la moindre brise, gémissent en ébruitant comme un écho : – «Le roi Midas a des oreilles d’âne. Le roi Midas a des oreilles d’âne… »

Le bonnet d’âne remonterait au deuxième siècle. Des écrits contre les chrétiens circulent dans le monde romain tel ce texte de Minutius Felix, un avocat de Rome : « J’entends dire que, poussés par je ne sais quelle absurde croyance, ils consacrent et adorent la tête de l’animal le plus vil, l’âne. » Ceci en référence à la place que tiennent les ânes dans la vie de Jésus, de celui de la crèche à l’ânesse sur laquelle il entre en triomphe à Jérusalem. Largement répandues, ces calomnies ont pour but de montrer les chrétiens comme des gens stupides et la doctrine chrétienne comme déraisonnable. Lorsque apparaissent les persécutions, déconcertés par l’obstination des martyrs à proclamer leur foi en dépit des souffrances et leur “bêtise“ de ne pas abjurer, les païens les représentent avec une tête d’âne pour mieux s’en moquer. À la bêtise s’ajoute l’entêtement.

Les ânes la connaissent depuis toujours et se la passent d’oreille à oreille : si l’on posait un bonnet d’âne sur la tête des cancres, c’est pour qu’à travers cette coiffe, un peu de l’intelligence des ânes se transmette à ces enfants.
D’ailleurs, les humains le savent, qui ont inventé ce proverbe : “Un âne ne trébuche jamais deux fois sur la même pierre“, autrement dit : l’âne est trop intelligent pour commettre deux fois la même erreur.

Et les ânes portent fièrement sur le dos deux raies noires qui se croisent surnommées “croix de Saint André“ ou “croix de Palestine“, à cause de deux histoires que les âniers se racontent de génération en génération.  

La première ? Quelque temps après la naissance de Jésus, le roi Hérode, fou de jalousie parce que des mages ont annoncé la venue d’un roi des juifs autre que lui, fait massacrer les enfants de Bethléem. Pour protéger leur fils nouveau-né, Joseph et Marie s’enfuient en Égypte à dos d’âne. En remerciement, leur âne et toute sa lignée originaire de Palestine ont reçu une croix sur leur pelage. Ainsi nul ne peut oublier le service rendu à la Sainte famille et à quel point les ânes sont de bons serviteurs.

La seconde raconte que le corps de Jésus, descendu de la croix, encore imprimée sur sa peau,
et enveloppé dans un drap, a été transporté par un âne jusqu’à une tombe creusée dans le rocher. L’empreinte de la croix se serait alors imprégnée sur le corps de l’âne. 

Ce ne sont que des légendes mais voilà qui est dit.

J Et Anes
jochabert
Joëlle Chabert

Joëlle Choisnard Chabert, géographe et journaliste retraitée. Autrice d’ouvrages pour adultes et pour enfants édités chez Bayard France et Canada, Salvator, Albin Michel. Thèmes : société, christianisme, vieillissement.

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