L’été, les corps se dénudent. Shorts, débardeurs, “croc-tops“, maillots, torses nus, m’ont dévoilé tant de corps couverts de ces dessins jadis bleu foncé, désormais plus colorés, que je me suis sentie comme décalée.

Pourtant, le tatouage est entré dans ma vie dès mon enfance grâce à un oncle sous-marinier dont une épaule, celle sur laquelle il nous câlinait, était décorée d’une belle ancre, marque d’appartenance à un fier équipage.
Pourtant, le tatouage ne date pas d’hier. Marquer son corps d’inscriptions ou de dessins indélébiles est une pratique très ancienne et mondiale.

Je suis allée visiter plusieurs communautés inuits du Grand Nord canadien. Leurs ancêtres femmes se faisaient tatouer le front, le menton, les poignets, les mains avec des aiguilles en os (des points, des V, des lignes). Ces marques indiquaient leur statut dans la communauté ou des étapes de leur vie comme le passage de jeune fille à mère.
Les missionnaires, catholiques comme anglicans, ont considéré que cette tradition était liée au “monde des esprits“, diabolique, contraire au christianisme, et l’ont donc interdite. Ce qui n’a pas toujours empêché de la pratiquer dans le secret.
Aujourd’hui, les femmes inuits se réapproprient l’art du tatouage traditionnel (kakiniit). C’est une manière de se réemparer de la culture traditionnelle, de s’y reconnecter, d’affirmer leur identité et de panser les blessures de l’histoire. Et, pour que les tatouages ne soient plus jamais proscrits ou causes d’humiliations, elles en transmettent l’art et le sens aux plus jeunes qui y ajoutent des motifs contemporains.

On dit que le mot tatouage vient du verbe anglais to tattoo parce qu’il a été employé pour la première fois dans la traduction en 1772 du Journal d’un voyage autour du monde de Cook, Banks et Schneider. Or, il semblerait que ce mot viendrait plutôt du polynésien tatau (ou ta-tu dans les Marquises) employé pour désigner les signes sur la peau, à la fois parures et protection contre les mauvais esprits.

Alors oui, dans ma peau dont seules les rides racontent mon histoire, face à ces tatouages par milliers que j’ai découverts cet été, je me suis sentie décalée, passant de la répulsion à l’attirance et vice versa quand je pensais : trop c’est trop.

Pour mon oncle, c’était une marque d’appartenance à ne jamais oublier.

Mais qu’est-ce que cela représente pour tous ces gens que j’ai croisés, souvent ébahie par la surface de peau décorée ?
Une simple mode ? Les modes passent, pas les tatouages.
Le désir de voir renaître des pratiques humaines ancestrales ?
Un moyen de se remémorer des moments importants de sa vie ?
Une façon de rendre son corps désirable, attirant, d’exister aux yeux des autres,
d’échapper à l’indifférence ?
Une amélioration de son apparence physique qui rehausserait son estime de soi ?
Une forme d’appropriation de son corps ?
Un signe de liberté et de maîtrise dans un monde où l’on s’estime impuissant ?
Une esthétique à fleur de peau devenu un art véritable ?

Je suis incapable de répondre. Un peu de tout ça, sans doute.
Mais je rigole en pensant aux douches dans les maisons de retraite du futur.

Tatouages
Photo Kevin Bidwell sur Pexels
Joëlle Chabert

Joëlle Choisnard Chabert, géographe et journaliste retraitée. Autrice d’ouvrages pour adultes et pour enfants édités chez Bayard France et Canada, Salvator, Albin Michel. Thèmes : société, christianisme, vieillissement.

  1. Jacqueline Casaubon says:

    J’ai beaucoup apprécié, chère Joelle, ton commentaire sur les tartines de tatouages, depuis cette coutume ancestrale dans un pays que tu as bien connu et aimé, Et aujourd’hui tant de questions posées avec respect et réalisme. Et l’humour en plus ! Merci.

  2. Jean Verrier says:

    Merci Joëlle, je me pose les mêmes question que toi, je les pose aussi à ceux de mes (grands) petits-enfants, neveux ou nièces qui en portent, mais je n’ai pas encore reçu de réponse très éclairante. Cela ajoute au mystère de êtres qui nous entourent, surtout quand ” ils habitent la maison de demain que nous ne pouvons visiter, même en rêve.” ( Khalil Gibran)

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