Le 27 septembre, le Forum 104, proposait une conférence à deux voix sur le dialogue entre hindouisme et christianisme. Deux invités : Yann Vagneux, prêtre à Bénarès, et frère John Martin Sahajananda, interrogés par Frédéric Rochet, directeur du Forum.

Yann Vagneux développera sa “conversation” entreprise depuis 25 ans avec des brahmans hindous et des religieux d’autres spiritualités présentes à Bénarès, et déployée dans son dernier livre, dont la chronique est à retrouver sur notre site en cliquant ICI.
Frère John Martin Sahajananda (en sanskrit, Sahaja signifie naturel et Ananda, félicité) livrera son expérience de moine bénédictin indien. Jean-Marc Noirot fait ici une transcription la plus fidèle possible de sa riche intervention.

Frédéric Rochet : Frère John Martin Sahajananda, merci de votre présence et merci d’abord de vous présenter ?

Frère John Martin Sahajananda

John Martin Sahajananda : Je suis né en Inde du Sud, dans une famille chrétienne catholique. Mon père était catholique ; ma mère de culture hindoue s’est convertie au catholicisme. Je suis d’une famille nombreuse aux moyens limités et j’ai dû travailler avant de faire des études. Je désirais devenir prêtre catholique. Comme je prenais tout au sérieux, je mettais tout en question, jusqu’à l’existence de Dieu. J’ai reçu la grâce de rencontrer le Christ, son message et de découvrir que le Christ est plus grand que le christianisme. Je me suis intéressé beaucoup au dialogue interreligieux, en particulier avec l’hindouisme. Aujourd’hui, j’ai deux questions importantes : « Comment comprendre le message du Christ dans les temps actuels ? » et « Comment faire en sorte que les religions deviennent plus proches ensemble ? »

FR : Comment vivez-vous le dialogue interreligieux avec l’hindouisme dans votre recherche spirituelle ?

JMS : L’hindouisme a 3.500 ans d’histoire. Dans les Upanishads, 500 ans av. JC, la vision de l’âme est plus grande que notre personne. Un brahman pouvait dire : « Dieu et moi, nous ne faisons qu’Un. » Cette expérience était possible pour tout le monde ! C’est le chemin vers l’unité avec Brahma. Ceci m’a aidé à comprendre l’expérience de Jésus-Christ. Quand Jésus dit : « le Père et moi, nous sommes Un », il ne disait pas autre chose que ce qui était déjà dans la conscience des hindous mais c’était nouveau dans la conscience des juifs. Pour moi, c’était le défi de la sagesse hindoue en tant que chrétien.
Jésus a affirmé deux choses : « Le Père et moi, nous sommes un » et « Personne d’autre que moi ne peut faire cette expérience ». Laquelle de ces deux affirmations est la vérité ? L’une m’apparaît “oppressive”, impliquant une hiérarchie, l’autre “libératrice”. Le défi du christianisme est d’ouvrir à tous l’expérience de Jésus-Christ.

FR : Pour vous, quelle est cette originalité de Jésus-Christ ?

JMS : L’originalité de Jésus-Christ est de rassembler les plus hautes expériences de l’originalité de Dieu avec la quête d’une transformation sociale. Car le lien amour de Dieu – amour du prochain est fondamental. L’amour de Dieu avec ses limites est dans la dualité car il y a un abîme entre Dieu et l’humanité. Et l’amour du prochain est limité au temps de Jésus aux seuls coreligionnaires juifs. Jésus a élevé l’amour de Dieu. Ainsi, je peux dire : « Je ne suis plus créature de Dieu mais fils de Dieu » et ajouter : « Je ne suis pas fils de Dieu, je suis Un avec Dieu ! ». Voilà l’amour de Dieu dans la non-dualité ! Et Jésus a étendu l’amour du prochain à toute l’humanité, à toute la création. On peut donc dire : l’amour du prochain, comme l’amour de Dieu, est non dualiste.

FR : Et dans l’hindouisme ?

JMS : Dans l’hindouisme, il y a l’expérience d’un non-dualisme avec Dieu mais il n’y a pas de non-dualisme avec prochain car il s’est créé une structure sociale oppressive justifiée par la théorie du karma et celle de la réincarnation. Le christianisme, lui, propose une transformation sociale dont le but est la plénitude de l’amour. Il allie à la fois la dimension verticale et horizontale de la réalisation spirituelle.

FR : Vous êtes indien. Quel Christ présentez-vous à vos amis de l’ashram Shantivanam, un Christ de la non-dualité ?

JMS : Les Européens qui viennent à l’ashram ont un problème avec l’exclusivité du Christ, exclusivité que l’Église de l’Inde a du mal à entendre car cela lui retirerait sa mission de conversion. Pour avancer dans la compréhension du Christ, les Upanishads ont quelque chose à dire. Le futur du christianisme, c’est de grandir dans le Christ.
Dans le christianisme, il y a deux spiritualités : d’une part, celle basée sur les religions, sur Dieu tel qu’il est compris par les religions et les êtres humains ont une inclinaison à vivre selon des principes religieux. D’autre part, celle basée sur un Dieu supérieur aux religions, un Dieu supérieur aux hommes, eux-mêmes supérieurs aux religions. Ainsi, un être humain peut dire : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ! » Jésus n’a-t-il pas dit ? : « Le shabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le shabbat ». Jésus n’est pas venu pour créer une nouvelle religion mais pour ouvrir la voie à une nouvelle conscience humaine, faire de la religion un nid où on peut naître, être protégés, nourris, aidés pour aller vers la liberté du Royaume de Dieu.
Il y a de nombreux christianismes, lequel est le meilleur ? N’avons-nous pas à croire que chaque être humain a le même potentiel pour croître en humanité, en spiritualité ? Cela seul permet de rassembler les religions. Mais si nous restons au niveau des systèmes de croyances, c’est l’impasse. Et si nous les dépassons, nous sommes tous supérieurs à nos religions.

FR : Jules Monchanin et Henri Le Saux dans votre parcours ?

JMS : Tous deux avaient une vocation extraordinaire et, contrairement aux autres missionnaires, ils se sont plongés dans la culture et la spiritualité indiennes. J. Monchanin est le premier qui a parlé du Christ supérieur au christianisme, du lien entre Jésus-Christ et les Upanishads. Pour moi, cela a été une immense découverte pour comprendre Jésus-Christ, sa vie et son message. Le parcours spirituel des uns féconde celui des autres. L’expérience spirituelle est comme une course de relais. On passe le bâton au suivant. Quand le dernier arrive au but, c’est toute l’équipe qui a la récompense. Mon expérience n’est pas ma découverte ; elle a commencé avec Jules Monchanin et Henri Le Saux. Je suis très reconnaissant envers eux et j’ai à répandre leurs messages trop peu connus.

Jean-Marc Noirot

CategoriesInterreligieux

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