Le dimanche 7 septembre 2025, l’Église protestante unie de France se trouva rassemblée comme chaque année depuis 1911, dans l’un des hameaux de la commune de Mialet (Gard), le Mas Soubeyran, où se trouve la maison de l’un des chefs de la révolte des Camisards (1702-1704), le peigneur de laine Pierre Laporte dit Rolland (1680-1704), prédicateur à ses heures mais surtout redoutable homme de guerre, stratège efficace et réformé opiniâtre, refusant, contrairement à d’autres résistants, de se rendre aux officiers de Louis XIV avant de mourir, trahi, à Castelnau-Valence, le 14 août 1704. Mais c’est moins pour célébrer la mémoire d’un seul, aussi vaillant fût-il, que pour honorer le combat et la ténacité de la communauté protestante entre 1685 et 1791, que les réformés d’aujourd’hui organisent leur annuelle Assemblée du Désert.
Cette dénomination revêt un double sens. Elle se rapporte au désert, si présent dans les récits bibliques, en référence ici à Moïse et à sa traversée laborieuse du Sinaï avec le peuple hébreu, sorti enfin de l’esclavage. Dans le même sens, le désert est autant un lieu d’inspiration, de vide parfois nécessaire, de cheminements douloureux et d’épreuves. Et c’est aussi en souvenir des souffrances multiples, des exactions, des massacres subis par les Réformés après la révocation de l’édit de Nantes (1685), dans cette région même des Cévennes comme dans d’autres provinces de France, que cette journée est célébrée.

Sous des prétextes fallacieux ou politiques, la suppression de l’édit de 1598, après une série de restrictions et de vexations dans son application, entraîna non seulement au départ de milliers de protestants du royaume mais aussi à la volonté d’éradiquer l’ensemble des paroisses restantes en chassant les pasteurs, en détruisant les temples avant de convertir par la force « les opiniâtres » au catholicisme et d’exercer sur eux une répression féroce entre exécutions, déportations, emprisonnements. C’est ainsi que l’on peut qualifier ce que les protestants nomment « le premier Désert » et qui s’étend de 1685 aux années 1760. La disparition de communautés entières ne fit pas disparaître le christianisme calviniste du royaume. Ici et là, dans des lieux sinon désolés du moins isolés, très vite, de petits groupes se reformèrent souvent marqués par l’illuminisme et la diffusion de l’imminence du Jugement Dernier. Puis des assemblées secrètes, autour d’inspirés, se mirent en place, souvent nuitamment. Mais l’arrogance du clergé romain, les pressions constantes sur les coreligionnaires, l’assistance imposée aux offices catholiques, les incidents quotidiens allumèrent la guerre des Camisards, sanglante de part et d’autre, obligeant le grand Roi, en plein conflit pour la Succession d’Espagne, à mobiliser 25 000 soldats contre 3 000 paysans cévenols.

Par Nepomuk, travail personnel, Dom. Pub


Bien sûr, ces derniers durent s’avouer vaincus sur le terrain militaire mais n’abdiquèrent pas leurs convictions religieuses. Il faudra cependant attendre dix ans pour que se réorganise cette Église avec le premier synode du Désert d’août 1715, à l’initiative d’Antoine Court, jeune prédicant du Vivarais. Devant les initiatives disparates des assemblées locales, s’imposa un retour à une discipline commune sous la houlette de pasteurs formés à l’étranger (à Lausanne en particulier). Alors que la répression catholique ne faiblissait pas, avec la chasse systématique de celles et ceux qui s’assemblaient au désert, les enlèvements de jeunes et les rebaptisations systématiques des enfants baptisés au Désert, les communautés protestantes s’affermirent et progressèrent en nombre.
C’est après 1760, et jusqu’en 1791, que s’organisa le second Désert. Certes, il ressemblait beaucoup au premier par une répression militaire, entre dragonnades, emprisonnements et exécutions, qui ne cessa dans le Sud-Ouest, le Dauphiné et les Cévennes qu’au début des années 1770, non sans se poursuivre en Normandie. Toutefois, se dessinait déjà une amorce de retournement dans l’opinion. Le retentissement de l’affaire Calas (1762), la condition juridiquement absurde des couples protestants non reconnus conduisant certains juristes à envisager la création d’un mariage civil, une politique plus libérale de la monarchie avec l’instauration d’une certaine bienveillance amenèrent Louis XVI à signer un édit de tolérance en novembre 1787. Texte qui ne faisait que reconnaître l’existence civile des protestants sans leur accorder la liberté de culte, influencé en cela par l’Assemblée des évêques qui, en 1788, dénonçait une nouvelle fois les dangers du pluralisme religieux. Il faudra attendre la Déclaration des droits de l’Homme en 1789 puis la constitution de 1791 qui reconnaissait la liberté de culte à chaque citoyen pour que la survie dans les déserts se transforme lentement en reconnaissance.

Pour autant, qu’ils soient réformés de stricte obédience, évangélistes, catholiques ou athées, là aussi, rien ni personne ne devrait oublier cette page de notre très longue histoire commune douloureuse, résistante, meurtrière alors que la mémoire en respecte encore aujourd’hui la réalité.





