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Le « Lou ravi » de la crèche de Noël

Parmi les santons de la crèche provençale, celui qui lève haut les bras au ciel est-il un fada, vraiment ? Une autre lecture nous est ici proposée.

Parmi les santons de la crèche provençale qui font cercle autour de la santo Vierge, de Sant Jousè et de l’Enfant Jèsu, il y a un personnage populaire incontournable. Il se nomme Lou ravi, le ravi, il est associé parfois à La ravida, la femme ravie. Il est habillé de façon fort modeste et porte un bonnet sur la tête. Il n’a rien à offrir au nouveau-né ou à ses parents. Comme tout un chacun et plus particulièrement tout méditerranéen devant un évènement espéré, attendu, désiré, mais surprenant, il lève haut les bras au ciel et son visage prend les plis et couleurs de la joie. Lou ravi est ébloui, stupéfait, émerveillé.

Un enfant qui vient au monde, c’est un nouveau regard, c’est une nouvelle liberté, c’est un commencement tout neuf, c’est un nouvel espoir.

Mais il pressent, notre Lou ravi, que ce nouveau-né semblable à tout bébé est mystérieusement un enfant qui répond avec une générosité extraordinaire à une attente, à un désir de valoir et d’être, à ce sentiment confus que, peut être, il serait possible d’accéder à autre chose, à plus, à une nouvelle dignité, une nouvelle identité, une nouvelle histoire, une nouvelle vie, une éternité, une autre joie. Il sait maintenant que Celui qu’il cherche, espère, prie, que celui vers qui il se tourne et dont lui parle les Écritures mais qui était caché, paraissait inaccessible, pur esprit, olympien, ne l’a pas quitté, l’écoute et lui répond, agit au-delà de ses attentes secrètes ou inavouées.
Il sait que Noël signifie « jour de naissance ». Il voit qu’un enfant est né. Mais il semble deviner que cet enfant c’est Noël pour lui et tous, c’est « jour de naissance » aussi  pour toute l’humanité . « Je suis né », semble-t-il dire dans l’exaltation de ses gestes. Il est Lou ravi, le santon heureux, parce que tout son être, corps, cœur et âme, dit que l’enfant présent dans la crèche est celui par qui Dieu lie son destin au sien, son destin à celui du monde. Ce nouveau-né est le fils d’une promesse qui s’accomplit : Dieu vient habiter parmi les hommes, avec les hommes, vient vivre leur vie, partager leur destin et l’ouvrir sur des horizons inimaginés et inimaginables.
Cet enfant, à qui il sourit, lui dit la valeur de sa vie, lui donne envie de vivre toujours, mieux et plus. Il ne veut et ne peut encore se projeter. Il n’est pas théologien ou homme d’Église mais à sa manière il sait, debout les bras levés, qu’aujourd’hui « Dieu s’est fait homme afin que l’homme devienne Dieu ». Son attente est exaucée, son désir comblé au-delà de ce qu’il pouvait imaginer. Lou ravi ou La ravida découvre que Dieu est don, que sa toute puissance est amour, qu’il unit sa Vie à la vie. Lou ravi – ou La ravida – peut maintenant faire l’expérience de la Vie dans sa vie. Il peut – et tous ses semblables avec lui – être désormais vivant, d’une vie tissée de lumière.

Photo Coyau, Le Ravi, santon
traditionnel de Provence
par Escoffier (Wikimedia Commons)

Il ne sait pas encore que ce fragile nouveau né, cet Emmanuel, va vivre la tragédie humaine, de la mort violente dans une Passion semblable à celle qui est infligée à trop d’hommes et de femmes. Il ne sait pas que ce petit être va se donner à voir martyrisé et apparemment abandonné pour ouvrir bientôt, par sa Résurrection, le Royaume de Dieu à toutes et tous à commencer par les abîmés de la vie et exclus de toutes sortes.

Le Lou ravi de la crèche provençale, un fada, un benêt, un simple d’esprit comme certaines pastorales et Mistral ont pu le laisser à penser ? Non, un éveillé. Avec ses bras levés, il dit la joie d’un évènement inouï à nul autre semblable car l’enfant de Joseph et Marie est le Fils de Dieu. Avec la spontanéité et la naïveté que lui donnent son argile et ses couleurs, il nous suggère d’être semblable à cette joie, à aimer cette joie, à être cette joie qui l’habite. Comment soigner, protéger cette joie, s’en nourrir, mais aussi la proposer, l’offrir, la rendre contagieuse ?

Cette joie manifestée par Lou ravi et La ravida serait-elle une manière chrétienne de vivre la vie humaine investie par Dieu, une vie maintenant divinisée que rien ne viendra remettre en cause, pas même nos petits et grands abandons, nos ruines, nos déchéances, nos misères, nos trahisons, nos drames, nos désespérances et nos peurs ?

Patrice Dunois-Canette

Journaliste, secrétaire général d’associations et fédérations de presse catholique, co-fondateur des Journées d’études François de Sales, Chargé de mission cabinets ministériels, co-fondateur et co-directeur de Question Croyance(s) & Laïcité - QCL. Retraité.

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