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La coresponsabilité, un « gros mot » dans l’Église ?

La coresponsabilité, un « gros » dans l’Église ?

Ce mot quelque peu barbare (dans mon Larousse, l’adjectif existe, mais pas le substantif), est l’un des piliers du centre pastoral Saint-Merry. Il évoque une implication égale de tous les membres de la communauté, en tant que baptisés, dans les diverses tâches et fonctions, avec deux niveaux de compréhension du terme. D’une part, selon les moments, certains auront des responsabilités plus prenantes ou plus légères, mais qu’on soit membre régulier de l’équipe d’accueil, participant occasionnel à la préparation de la célébration, responsable coopté d’un pôle d’activités ou élu à l’équipe pastorale (EP), chacun assurant sa fonction comme dans une fourmilière bien organisée, on se retrouve tous avec une voix lors des votes en assemblée générale ou pour renouveler l’EP. Et d’autre part, au sein de cette équipe pastorale, prêtres et laïcs sont à niveau égal de dignité et de responsabilité.

Ce que j’énonce benoîtement ici ne se passe pas toujours facilement. Parce qu’il n’est jamais évident de travailler en équipe, et parce qu’étant donné la structure pyramidale de notre Sainte Mère l’Église, cela demande probablement pas mal d’abnégation aux prêtres participants de renoncer à un pouvoir « donné » par l’institution. Ceci dit, cela a quand même marché pendant plusieurs décennies à Saint-Merry, tant que les prêtres de l’EP ont accepté de jouer le jeu. C’était plus difficile quand l’un ou l’autre comprenait la coresponsabilité comme : faites ce que voulez de votre côté, je ferai ce que je voudrai du mien. Et c’est devenu impossible quand le prêtre envoyé par l’archevêque, sans initiation préalable aux particularités locales, est tombé des nues en demandant d’abord : « Mais à quoi sert une équipe pastorale ? » puis en décidant de ne plus y mettre les pieds.

Et pourtant, je vous assure que quand ça marche, c’est plus qu’intéressant. Prenant, fatiguant, quelques fois énervant, mais passionnant. J’ai eu la chance de vivre cette expérience durant des années où l’équipe pouvait à la fois travailler, prier, et faire la fête ensemble ; chaque année, deux personnes sont parties, et deux nouvelles sont arrivées, et malgré ce renouvellement des membres, les conditions ont toujours permis ce travail en coresponsabilité. En trois ans, nous n’avons eu qu’une seule fois besoin de voter formellement, pour prendre une décision très difficile : le prêtre responsable a voté non, seul face à 7 oui, et s’est immédiatement incliné, en précisant qu’il maintenait sa position de principe mais ne se donnait aucun droit de veto face à l’équipe – y compris dans ce cas qui engageait pourtant sa seule responsabilité civile en tant que responsable officiel des lieux vis-à-vis de l’État. Ce qui permettait de fonctionner de cette façon était un ingrédient majeur et indispensable : la confiance, celle que nous nous faisions entre nous, et celle que nous faisait la communauté.

En ces temps de reconstruction, et quel que soit notre nouveau visage, trouverons-nous encore des prêtres disposés à prendre cette route avec nous ? Prêts à participer au débat, à devoir trouver des compromis à plusieurs, à entendre d’autres voix – pas seulement pour écouter leur humble avis mais aussi pour décider ensemble ? La coresponsabilité est-elle devenue un « gros mot », suite à l’échec de Vatican II qui serait vaincu par le cléricalisme, comme le suggère José Arregi (lire son remarquable article sur ce site) ? Le proverbe africain qui dit que tout seul on va plus vite mais qu’ensemble on va plus loin, peut-il interroger le clerc moyen d’aujourd’hui, en particulier celui de moins de soixante ans ? En bref, nous ne cherchons pas des pères, mais trouverons-nous des frères ?

Blandine Ayoub

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Blandine Ayoub

Née au moment du Concile Vatican II, elle est impliquée depuis près de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, tout en cultivant un tropisme bénédictin, grâce à son père moine de la Pierre-Qui-Vire. Par son mariage avec un Alepin, elle a également adopté la Syrie comme deuxième patrie. Elle est responsable d’un centre de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

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