En 1953, Jonas Salk, l’inventeur du vaccin contre la poliomyélite, renonça au brevet et à la somme faramineuse de sept milliards de dollars, car on ne peut pas « breveter le soleil ».
Le Bien commun l’emporta alors sur la course au profit.
Face au Coronavirus, nous assistons aujourd’hui à une tout autre histoire. Résultat : les pays pauvres sont oubliés.
L’édito de Guy Aurenche, publié le 25 janvier 2021 sur notre ancien site, avant la levée des brevets sur les vaccins décidée par la nouvelle administration américaine.
Sept milliards de dollars !
Un homme a renoncé à cette somme : Jonas Salk qui en 1953 inventa le vaccin contre la poliomyélite. Sa découverte fut très efficace. Il aurait pu en tirer beaucoup d’argent, mais renonça à la faire breveter « pour la laisser plus abordable aux millions de personnes en ayant besoin ». Lorsque la télévision lui demanda qui détenait le brevet, il répondit : « Le peuple. Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ? » L’intérêt commun l’avait emporté sur le gain personnel.
Aujourd’hui, l’on assiste à la course aux profits faramineux que les divers vaccins anti-covid procureront à leurs auteurs « brevetés ». Sans supprimer les brevets ni la concurrence féconde entre les chercheurs ; sans demander aux laboratoires de travailler gratis, la communauté mondiale aurait pu tenter de trouver une solution novatrice à un problème de justice universelle !
Le Bien commun
Qui aujourd’hui s’intéresse au Bien commun, « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée… Tout groupe doit tenir compte des besoins et des légitimes aspirations des autres groupes et plus encore du Bien commun de l’ensemble de la famille humaine » (Concile Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps).
Le pape François, le 25 décembre, croyait-il au père Noël ? « Je demande à tous : aux responsables des États, des entreprises, aux organismes internationaux, de promouvoir la coopération et non la concurrence et de chercher une solution pour tous : des vaccins pour tous, spécialement pour les plus vulnérables et les plus nécessiteux de toutes les régions de la planète ».
Destination universelle des biens
La pensée sociale de l’Église, inspirée par la foi chrétienne, élaborée à travers les siècles, propose des principes d’organisation sociale, dont la « destination universelle des biens ». Les biens communs mondiaux sont des réalités dont l’usage est indispensable à tous les êtres humains et dont la pérennité dépend de tous.
L’air pur est un bien commun. La récente décision britannique condamnant la ville de Londres suite au décès d’une jeune fille asphyxiée par la pollution urbaine, montre bien le besoin commun de l’air pur et la responsabilité commune vis-à-vis de la pollution. Oui, la santé est un bien commun !
Et le vaccin dans tout cela ?
Le vaccin, sans doute une belle victoire scientifique, aurait dû être considéré comme l’un de ces biens communs mondiaux. Il intéresse la population mondiale. Il ne sera pleinement efficace que si tout le monde en bénéficie. Il dépend des efforts de tous. Pour reconnaître et développer un bien commun mondial, il ne suffit pas d’un discours ; il conviendrait de bousculer bien des pratiques : le modèle économique dominé par la recherche du profit maximal, la rivalité violente entre les états, le peu d’engagements pour des pratiques multilatérales. Une réglementation et des institutions s’imposent. L’OMS (1) a créé des réseaux pour réunir des fonds, assurer la coopération dans la recherche et la diffusion du vaccin, et permettre une distribution égalitaire à travers le monde. Tentative intéressante mais qui n’atteint pas son but.
Un espoir mort-né
« Évoquer un bien public mondial global, un vaccin des peuples, comme le fait le Secrétaire général des Nations Unies » relève de la fiction. (Oxfam, Le Monde, 11/12/2020)
Le vaccin, « bien public mondial », est mort-né. D’autres forces et intérêts l’ont emporté sur ce qui aurait pu constituer l’un des gestes solidaires mondialisés les plus significatifs des dernières décennies.
Le vaccin, censé être un bien commun mondial pour des raisons humanitaires évidentes, se révèle un redoutable outil de guerre économique, diplomatique et d’influence, sans oublier la quête d’argent. Chaque pays s’est précipité pour être le premier soit à le produire, soit à le distribuer. Les autorités (particulièrement chinoises) ont utilisé le vaccin comme un moyen pour « racheter » leurs erreurs lors des débuts de la pandémie, ou pour étendre leur influence diplomatique et économique.
Le résultat est là : les pauvres sont oubliés : « Vaccination : les pays pauvres attendront ! Malgré les promesses, les pays du Sud pourraient ne recevoir les vaccins que dans un délai de deux ans, voire plus » (La Croix, 30/12/020).
25 janvier 2021