Le prophète Osée lutte contre l’idolâtrie. Et Dieu lui demande une mission bien étrange, voire inconvenante : épouser une prostituée du nom de Gomer. Par cet acte, Dieu veut dénoncer l’égarement de son peuple se prostituant à des divinités païennes, dont Baal. Les lectures bibliques de Jesús Asurmendi

Prénom : Gomer. Nom du père : Diblaïm. Nom du mari : Osée, le prophète. Profession : prostituée. La carte d’identité est complète. Il a de drôles d’idées et d’initiatives, le Dieu d’Israël :

Le Seigneur dit à Osée : « Va, prends-toi pour femme une prostituée et des enfants de prostitution, car vraiment le pays se prostitue en se détournant du Seigneur. » Il alla donc et prit Gomer, fille de Diblaïm ; elle devint enceinte et lui enfanta un fils. 

(Os 1, 2-3)

Deux autres enfants suivront. (OS 1, 6-9).
Variante de la même affaire :

 « Va de nouveau, aime une femme aimée d’un compagnon et qui commet l’adultère. Car tel est l’amour du Seigneur pour les fils d’Israël, eux qui se tournent vers d’autres dieux et qui aiment les gâteaux de raisins. » Je m’achetai une femme pour quinze pièces d’argent et une mesure et demie d’orge.

(Os 3, 1)

Certes l’image est claire et le symbolisme très parlant. Mais pour les trois enfants qui doivent porter l’opprobre toute leur vie, c’est dur. On a longtemps discuté entre exégètes pour savoir s’il s’agissait d’un acte symbolique réel ou purement littéraire. Mais les actes des prophètes sont toujours réels et on voit mal comment aurait fonctionné un acte symbolique purement fictif. On ne met pas en doute, une seconde, la réalité de l’acte symbolique de Jérémie, qui consiste à rester célibataire (Jér 16, 1-13). Isaïe, pour sa part, doit rester nu pendant une année au moins : Et le Seigneur dit : « De même que mon serviteur Isaïe est allé dévêtu, les pieds nus, pendant trois ans, signe et présage pour l’Égypte et l’Éthiopie,de même, le roi d’Assour emmènera les prisonniers d’Égypte et les déportés d’Éthiopie, les jeunes et les vieux, dévêtus, les pieds nus, les fesses découvertes – telle sera la nudité de l’Égypte ». (Is 20, 3). Le texte ne dit pas qu’Isaïe se soit baladé tout nu dans le désert, on suppose donc qu’il l’a fait à Jérusalem. Et il ne fait toujours chaud à Jérusalem, surtout la nuit. L’acte symbolique d’Isaïe est donc très parlant. 
La prostitution a été une figure très prisée des prophètes pour parler de l’abandon de son Dieu par le peuple d’Israël. Jérémie utilise l’image (Jér 2, 20ss) ainsi qu’Ézéchiel (Ez 22-23). Mais il est très curieux que ce soit toujours la femme qui ait le rôle de coupable, car c’est elle qui apparaît comme prostituée. On aurait pu très bien imaginer une image, toujours avec la prostitution, avec l’homme comme coupable. Mais c’est toujours la femme, la prostituée, qui est la coupable, image d’Israël, le peuple de Dieu fautif. Israël, en effet, fut assez vite attiré par les cultes de Canaan. En Canaan, la terre qui est devenue, avec le temps, la terre d’Israël, les cultes de la fertilité était monnaie courante et avaient une prédominance certaine. Dès qu’il fut installé en Canaan, Israël devint agriculteur, sans oublier l’élevage. Les cultes du pays étaient agricoles et adoraient les divinités de la pluie et de la fertilité dont le principal était Ba’al au panthéon cananéen. C’est contre ces cultes que le prophète Osée bataille et de cette lutte constante que son message est pétri :

Elle poursuivra ses amants sans les atteindre, elle les cherchera sans les trouver. Alors elle dira : « Je vais revenir à mon premier mari, car j’étais autrefois plus heureuse que maintenant. » Elle ne savait donc pas que c’est moi qui lui avais donné le froment, le vin nouveau et l’huile fraîche, moi qui lui avais prodigué de l’argent, et l’or utilisé pour Baal !… Je sévirai contre elle à cause des jours des Baals, quand elle brûlait pour eux de l’encens, se parait de ses anneaux et de son collier, et courait après ses amants. Et moi, elle m’oubliait ! – oracle du Seigneur .

(OS 2, 9)

La problématique est claire : ou Ba’al ou Yhwh. Qui donne la nourriture ?
En définitive : qui donne la vie ?
Les actes symboliques des prophètes, c’est une prédication en actes. En voyant l’action symbolique, s’ils ne comprennent pas d’emblée, les gens peuvent en demander le sens, et alors le prophète a tout le temps pour donner son message. Une fois qu’Osée a explicité son geste – se marier avec une prostituée – ses contemporains ont tout le loisir du monde pour penser, méditer et réaliser jusqu’à quel point ils ont abandonné leur Dieu, et « se tournent vers d’autres dieux » (Os 3, 1).
Le prophète fait corps avec sa prédication, avec son message. Dans le cas d’Osée, la chose devient évidente, sans aller toujours de soi. C’est bien de se marier avec une prostituée, surtout si elle est jolie, mais cela ne doit pas être lumineux tous les jours. C’est l’inconvénient d’être un prophète : il doit assumer son message, et souvent dans son propre corps. C’est le cas de tous les prophètes dont nous savons quelque chose de leur vie : Amos, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel.

Osée et Gomer, 1372, Bible Historiale, La Haie
asurmendi.jesus
Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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