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Décisions d’Église : quels sont nos recours ?

Dès 1921, au moment de l’émergence des mouvements d’Action Catholique, à côté des associations érigées et dirigées par l’autorité ecclésiastique, on admet dans l’Église l’existence légitime d’autres associations qui naissent de la libre initiative des fidèles. [1]Voir décision de la Sacrée Congrégation du Concile, intitulée « Resolutio Corrienten » En 1962-65, le concile Vatican II fera du droit d’association un droit fondamental. [2] Hervé Miayoukou, « Droit canonique des associations privées de fidèles : quelle actualisation depuis 1983… ? » – L’année canonique, 53, 2011, note 5.

Depuis le début du XXème siècle, la régulation de l’autorité suprême a-t-elle aussi suivi une évolution accordant plus de poids aux fidèles dans l’Église, alors que son pouvoir de gouvernement se configure comme un pouvoir sacré [3]Canon 129 du Code de Droit Canonique 1983. et que chaque évêque diocésain dispose d’un pouvoir personnel et sans intermédiaire [4]Canon 381 du Code de Droit Canonique 1983. c’est à dire d’un pouvoir proprement monarchique ?

Depuis le XIIème siècle, cette « régulation » s’opérait par appel dit « extra-judiciaire » : un fidèle, lésé dans ses droits par un décret d’évêque, pouvait s’adresser au tribunal ordinaire de celui qui, dans la hiérarchie, était le supérieur immédiat de l’auteur de l’acte. En 1908, Pie X décide pourtant qu’il ne peut plus être porté recours de telles décisions que devant les dicastères ou congrégations de la Curie. Finis les appels devant les juridictions ecclésiastiques, seul peut être désormais utilisé le « recours hiérarchique » : c’est la pratique dite du « supérieur-juge ».

Après le concile Vatican II, une refonte du code de droit canonique de 1917 est mise en chantier [5]Elle donnera lieu à la version en vigueur de 1983. et le Synode des évêques d’octobre 1967 avance sa réflexion : « […] dans la révision du droit, on fera attention à ce qui jusqu’ici manquait beaucoup dans ce domaine, à savoir les recours administratifs et l’administration de la justice ; à cette fin, les diverses fonctions du pouvoir ecclésiastique, c’est-à-dire le pouvoir législatif, le pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire doivent être clairement distingués [6]Ces pouvoirs ne sont toujours pas séparés aujourd’hui. et l’on devra définir adéquatement quels organismes devront exercer chacun d’entre eux ». Toujours en 1967, Paul VI crée [7]Voir la Constitution apostolique Regemini Ecclesiae Universae. une section spécifique du tribunal suprême de l’Église (qu’on appelle « Signature Apostolique »), composée de douze cardinaux-juges et d’un « promoteur de justice » [8]Equivalent d’un procureur – à qui revient la charge de donner son avis « pour la justice et la vérité ». pour traiter des appels contre des décisions de dicastères/congrégations de la Curie, y compris des décisions qu’ils auraient prises lorsqu’ils sont saisis de contestations de décisions administratives d’évêques. Désormais, un recours contentieux administratif [9]Canon 1445 §2 du Code de Droit Canonique 1983. prolonge ainsi le recours hiérarchique en place depuis 1908. Et ce n’est qu’en 2008 qu’est promulguée par Benoît XVI le nouveau code de procédure [10]Voir Denis Baudot, « La LEX PROPRIA du tribunal suprême de la signature apostolique », L’année canonique, 55, 2013, p. 7-19. de la nouvelle section administrative de ce tribunal suprême !

On se trouve donc aujourd’hui devant l’empilement :

  •  d’une procédure [11]Canons 1732 à 1739 du Code de Droit Canonique 1983 « amiable », faite d’une demande à l’évêque de révocation ou de modification de sa décision, suivie, en cas d’échec, d’une demande au préfet du dicastère compétent de la Curie de recours [12]“recours” au sens commun du terme, (non pas au sens juridique). auprès de cet évêque pour qu’il infléchisse sa décision (= « recours hiérarchique »), et
  • ultérieurement, [13]Délai maximum de 60 jours à l’issue de la procédure “amiable”. d’une procédure judiciaire de « recours [14]“Recours” au sens juridique d'”appel”. contentieux » devant la section administrative de la « Signature Apostolique ».

La procédure amiable doit être courte (en théorie, 5 mois maximum à compter de la date de décision), [15]Peut être prolongée sur simple notification du préfet aux parties. mais la procédure judiciaire dure rarement moins de trois ans !

Exemple : en 1984, un évêque canadien décide de démolir une église mal construite et devenue inutile, puis de vendre le terrain. Un comité informel de paroissiens se constitue pour s’y opposer en alléguant un dommage spirituel à leur égard. En 1987, le tribunal reconnaît aux fidèles la légitimité à agir [16]Il prend acte du caractère d’association privée informelle du groupe requérant, sans reconnaître à cette association informelle de légitimité à agir (absence de personnalité canonique). ; constate que tous ne sont pas des paroissiens, ce qui ôte à un certain nombre la légitimité à agir pour manque de dommage réel ; puis il examine la réalité du dommage pour les paroissiens et relève que le désagrément relatif de devoir aller à l’église voisine assez proche ne motive pas un recours fondé. [17] Eric Besson (voir bibliographie) p.173-174.

Que dire aujourd’hui des démarches engagées par notre communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs et/ou par certains de ses fidèles pour obtenir une révision des décisions du 7/2/21 de notre évêque à notre encontre ? [18]Le canon 50 du Code de Droit Canonique (1983) indique que, pour des telles décisions, « l’autorité doit rechercher les informations et les preuves nécessaires et, autant que possible, … Continue reading Qu’avons-nous fait jusqu’à aujourd’hui, en août 2021 ?

En dehors du strict cadre procédural ci-dessus, nous nous sommes adressés au nonce apostolique qui a reçu le 6/3/21 une délégation de notre communauté, à notre évêque le 17/4/21 [19]En réaction à une intervention sur Radio Notre-Dame., au pape lui-même fin avril, au président de la conférence des évêques de France à la mi-mai. Deux personnes de notre communauté ont trouvé l’occasion d’échanger un quart d’heure avec notre évêque à la sortie d’une église parisienne le 9/5/21. Sans résultat à ce jour.

Dans le cadre procédural ci-dessus, nous avons engagé toutes les phases amiables de la procédure, à savoir une demande à notre évêque de modification de sa décision adressée le 11/2/21 par notre équipe pastorale, la formation d’un « recours hiérarchique » par une quarantaine de fidèles les 25 et 26/3/21, confirmée par une demande (au nom de ces fidèles) adressée début juin au Cardinal Kevin Joseph Farrell, Préfet du Dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie, de recours auprès de notre évêque pour qu’il infléchisse sa décision. Sans résultat à ce jour. Nous espérons une réponse d’ici septembre… « Il y va en effet du respect des droits subjectifs de fidèles catholiques qui sont en pleine communion avec l’Église catholique (cf. canons 204, 205 et 208). Ces fidèles catholiques que nous sommes veulent promouvoir et réaliser un projet apostolique (cf. canon 216) et mettent légitimement en œuvre leur volonté de s’associer pour poursuivre ensemble une ou plusieurs facettes de la mission de l’Église. » [20]Extraits de la lettre envoyée début juin au nom des « fidèles requérants » au Cardinal Kevin Joseph Farrell, Préfet du Dicastère pour les Laïcs.

En cas d’absence de réponse positive, il appartiendra à ces « fidèles requérants » de savoir s’ils entendent s’engager dans une procédure contentieuse devant la deuxième section du tribunal suprême de la Signature Apostolique, tout en continuant à centrer leurs efforts avec les autres fidèles de la communauté Saint-Merry Hors-les-murs, sur un renouveau à construire, par exemple avec d’autres communautés parisiennes existantes, dans le but de continuer à inventer, sous une autre forme, « des modes nouveaux pour l’Église de demain » ? [21]Lettre de mission fondatrice du Centre Pastoral Saint-Merry – Cardinal François Marty – 1975

Quels que soient les choix de chacun, notre but reste de « poursuivre notre mission d’annonce de la Bonne Nouvelle, en sauvegardant pour l’avenir ce que notre histoire reflète dès ses origines : le désir de se rendre proche de nos contemporains, en partageant notre expérience de l’Évangile, en accueillant les exclus, en travaillant avec des personnes de bonne volonté à l’humanisation de notre société au sein de laquelle, aujourd’hui comme hier, le Royaume de Dieu ne cesse de survenir. » [22]Ibid.

Sylvie de Bengy, Jean-Philippe Browaeys, Christine Barbey, Xavier de Lannoy, Jean-Marc Lavallart, Solange de Raynal

Bibliographie :
Valdrini, Patrick. (1981). Le contrôle du pouvoir administratif dans l’Église. Pouvoirs, (17), pp. 77-83.
Besson, Eric. (2016). Aperçu de la jurisprudence de la signature apostolique … L’année canonique, (57), pp. 159-184.

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Notes

Notes
1 Voir décision de la Sacrée Congrégation du Concile, intitulée « Resolutio Corrienten »
2 Hervé Miayoukou, « Droit canonique des associations privées de fidèles : quelle actualisation depuis 1983… ? » – L’année canonique, 53, 2011, note 5.
3 Canon 129 du Code de Droit Canonique 1983.
4 Canon 381 du Code de Droit Canonique 1983.
5 Elle donnera lieu à la version en vigueur de 1983.
6 Ces pouvoirs ne sont toujours pas séparés aujourd’hui.
7 Voir la Constitution apostolique Regemini Ecclesiae Universae.
8 Equivalent d’un procureur – à qui revient la charge de donner son avis « pour la justice et la vérité ».
9 Canon 1445 §2 du Code de Droit Canonique 1983.
10 Voir Denis Baudot, « La LEX PROPRIA du tribunal suprême de la signature apostolique », L’année canonique, 55, 2013, p. 7-19.
11 Canons 1732 à 1739 du Code de Droit Canonique 1983
12 “recours” au sens commun du terme, (non pas au sens juridique).
13 Délai maximum de 60 jours à l’issue de la procédure “amiable”.
14 “Recours” au sens juridique d'”appel”.
15 Peut être prolongée sur simple notification du préfet aux parties.
16 Il prend acte du caractère d’association privée informelle du groupe requérant, sans reconnaître à cette association informelle de légitimité à agir (absence de personnalité canonique).
17 Eric Besson (voir bibliographie) p.173-174.
18 Le canon 50 du Code de Droit Canonique (1983) indique que, pour des telles décisions, « l’autorité doit rechercher les informations et les preuves nécessaires et, autant que possible, entendre ceux dont les droits pourraient être lésés ».
19 En réaction à une intervention sur Radio Notre-Dame.
20 Extraits de la lettre envoyée début juin au nom des « fidèles requérants » au Cardinal Kevin Joseph Farrell, Préfet du Dicastère pour les Laïcs.
21 Lettre de mission fondatrice du Centre Pastoral Saint-Merry – Cardinal François Marty – 1975
22 Ibid.

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