« Mensonges éhontés, populisme extrême… telles sont aujourd’hui les expressions qui définissent le comportement du candidat des Républicains pour l’élection présidentielle américaine. Et pourtant, le problème ne réside pas d’abord dans les singeries médiatiques de Donald Trump. Non, la question principale est bien celle de savoir comment ce milliardaire est arrivé là ». Qu’en est-il, en somme, de la plus vieille démocratie du monde ? La chronique d’Alain Cabantous du 24 octobre 2016.
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Mensonges éhontés, machisme outrancier, populisme extrême, déni de démocratie, injures, propositions dangereuses et ineptes telles sont aujourd’hui les expressions qui définissent très justement le comportement du candidat des Républicains pour l’élection présidentielle américaine. Et pourtant, le problème ne réside pas d’abord dans les grinçantes singeries médiatiques de Donald Trump. Non, la question principale est bien celle de savoir comment ce milliardaire, animateur de téléréalité, fondateur de casinos en faillite et d’universités pipeau, marchand de steaks à ses heures et même ancien bailleur de fonds du parti démocrate, est arrivé là. Il faut dire que les autres prétendants républicains étaient tout aussi lamentables que l’homme à la chevelure oxygénée qui dynamite chaque jour un peu plus un parti en état de déliquescence avancée. Fondé en 1854, souvent secoué par d’autres crises, comme celle de 1913 qui permit l’élection inattendue de Woodrow Wilson, que restera-t-il cette fois du GOP (Grand Old Party) au soir du 8 novembre prochain ?
La présence de Trump à ce stade comme la figuration de plusieurs candidats indépendants et même l’élimination de Benny Sanders soulignent aussi la faillite d’un modèle que la presse occidentale a longtemps présenté comme celui de la-plus-grande-démocratie-du-monde. La plus grande, je ne sais pas trop, mais la plus vieille, à l’évidence puisque la brève constitution écrite date de 1787. Enrichie successivement par une petite trentaine d’additifs, dont le fameux deuxième amendement, elle a permis au système de construire une machine électorale qui avait les apparences de la démocratie. Les apparences seulement. En effet, la « révolution jacksonienne » de 1831 en autorisant les citoyens à exprimer leur préférence dans les caucus leur donna « l’illusion de jouer un rôle et de choisir des hommes qui les représenteraient dans la campagne. » (André Kaspi). Illusion parce que les conditions de cette participation aux « primaires » eurent bientôt des règles très différentes selon les états. Illusion encore puisqu’assez vite, les appareils des deux grands partis prirent la direction des opérations et ne laissèrent aucune chance à des prétendants qui n’étaient pas du sérail. Illusion toujours puisqu’actuellement moins de 10 % des Américains prennent part à cette désignation préliminaire.
Pour autant, ce semblant de participation populaire fut et reste restreint par la règle constitutionnelle qui impose l’élection du président au suffrage universel… indirect. Lors du vote du premier mardi de novembre, toujours marqué par une très forte abstention (entre 45 et 50 %), les Américains votent dans chacun des états pour désigner les grands électeurs qui, à leur tour, éliront le président. Leur répartition est telle qu’un candidat ayant réuni le plus de votes exprimés, donc désigné par le suffrage universel, peut très bien ne pas devenir président. Cela est déjà arrivé à quatre reprises. La dernière en date : l’éviction d’Al Gore au profit de G.W. Bush en 2000, dont l’élection entachée de fraudes nombreuses et avérées notamment dans le swing state de Floride, eut les effets internationalement désastreux que l’on sait. Est-ce en souvenir de ces triches électorales déjà anciennes, notamment celle de Rutherford Hayes en 1876, que Trump vient de laisser planer le suspense sur la reconnaissance de son éventuelle défaite ? Cette suspicion stratégique constitue un autre mauvais coup porté à la démocratie.
Le spectacle donné par la classe politique américaine, où tous les candidats officiels font campagne à coup de dizaines de millions de dollars, interroge sur le sens démocratique de l’élection présidentielle. Alors pourquoi ne pas réformer le système que nombre d’Américains estiment à bout de souffle ? Parce que tel quel, il permet à chacun des états de l’Union de conserver l’illusion, encore une, qu’il est l’égal des autres, que l’Oklahoma vaut bien la Californie et que le Dakota du Nord compte autant que le New York. Parce qu’aussi les minorités ethniques et surtout religieuses désormais estiment que, par ce biais, elles disposent d’un moyen de pression politique sur les candidats et sur leurs engagements. Voyez l’influence des Évangélistes dans leur soutien tapageur et crispé à Ted Cruz, l’un des leurs.
Alors que plus de 40 % des Américains se disent encore prêts à voter Trump, la victoire probable d’Hilary Clinton n’aura pas pour autant sauvé seulement la plus vieille démocratie du monde où, « aucun des grands hommes de ce pays n’a jamais été élu président », comme l’écrivait le politologue anglais James Bryce il y a un siècle, avec quelque exagération sans doute….
le 24 octobre 2016