De la Grande Guerre à la Révolution russe, l’année 2017 a été riche en anniversaires.
Dans sa chronique du 16 novembre 2017 Alain Cabantous a choisi d’évoquer les mutineries de 1917.
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.
La France est peut-être l’une des nations du monde qui sacrifie le plus aux commémorations, centenaires (bi/tri…) et autres anniversaires. Il existe même sous l’égide du ministère de la Culture une sorte de comité des commémorations qui recense pour chaque année les événements d’hier qu’il conviendrait de célébrer. Bien entendu 2017 n’échappe pas à la règle. Pour s’en tenir au mois de novembre et à côté de la grande Révolution russe dite d’octobre alors qu’elle se déroula en deux temps (mars et novembre), il eut été possible d’évoquer en vrac, et pour s’en tenir au seul domaine français, en 1817, la restitution de la Guyane à la France, en 1717, la naissance de Jean Destouches dit d’Alembert à Paris, voire, grâce à son hypothétique existence, celle d’Hégésippe Simon, « précurseur », né à Poil (Nièvre). Influencé par le contexte du 11 novembre, j’ai choisi d’évoquer les mutineries de 1917.
Alors que, dans les tranchées, la lassitude l’emporte largement pendant les premiers mois de cette nouvelle année de combats, le général Nivelle, voulant renouer avec la guerre de mouvement — assuré d’emporter la victoire par surprise « sur un ennemi épuisé » ! —, lance le 16 avril la grande offensive du chemin des Dames (au nord du département de l’Aisne) qui tourne au « jeu de massacre ». En quelques jours marqués par des vagues d’assauts toujours repoussées, on ne comptera pas moins de 30 000 morts et 80 000 blessés. S’y ajoutent les conditions effroyables du quotidien et le pilonnage incessant des positions françaises. Circonstance aggravante, après ce premier échec sanglant, Nivelle qui souhaitait prendre une revanche avec la vie des autres, « la chair à canon », lance une nouvelle attaque le 5 mai aussi coûteuse et presque aussi stérile que la première.
L’impéritie entêtée de l’État-major, l’immense accablement des troupes, la catastrophe de l’organisation sanitaire, le faible soutien de « ceux de l’arrière » assez peu préoccupés du sort des soldats expliquent largement le mouvement de rébellion qui s’ensuivit. Comme si cela ne suffisait pas à déclencher la résistance, d’aucuns ont voulu ajouter l’influence des débuts de la Révolution bolchevique. Elle reste pourtant très circonscrite dans la mesure où, par précaution, les milliers de soldats russes qui avaient participé à l’offensive furent vite retirés du front pour être parqués au camp de La Courtine (Creuse) ou envoyés en Algérie.
Les mutineries du printemps entre le 20 mai et le 10 juin qui touchèrent environ les deux tiers des divisions françaises souvent géographiquement regroupées, furent d’intensité très variable et se manifestèrent cette fois moins par des mutilations ou des désertions collectives que par le refus de monter à nouveau en ligne parfois au cri de « Assassins ! On ne montera pas ! » Dans certains bataillons, on envisagea même de marcher sur Paris pour exiger la paix. Pétain qui remplace enfin Nivelle réussit à rétablir le calme en améliorant le cantonnement des hommes et en ménageant les vies des fantassins avec la suspension des opérations. Il attendrait « les Américains et les chars ». En outre, parmi les 3 500 soldats déférés devant la justice militaire, il « n’y — eut — que — » 554 condamnations à mort dont 49 exécutions pour l’exemple, le président Poincaré ayant heureusement usé de son droit de grâce. Après la bataille de Verdun et le printemps 1917, on comprend la raison pour laquelle Pétain resta si populaire parmi les poilus… en 1940.
Dans le tourbillon des anniversaires un rien patriotiques, que faire avec les mutineries ? Pendant très longtemps, on a tenté de les ignorer tout simplement. C’est Lionel Jospin qui dans son discours du 5 novembre 1998, demanda que les « soldats mutins réintègrent pleinement notre mémoire collective nationale », faisant pousser des cris d’orfraie à quelques députés du R.P.R. et autres membres du Front National. Pourtant dix ans après, en 2007 et 2008, plusieurs communes (Suippes dans la Marne ou Reims par exemple) prirent l’initiative d’ériger des monuments ou des plaques commémoratives pour ne pas oublier ceux qui ont refusé d’obéir. Le 11 novembre 2008, à Douaumont, le président Sarkozy lui-même évoqua l’héroïsme et le courage de ces fusillés sans envisager une réhabilitation juridique ou judiciaire. Pourtant, ne serait-il pas temps de le faire en reconnaissant que ce n’était pas « un mouvement séditieux de canailles que l’on brise mais bien l’irrésistible sanglot des Français » (Philippe Barrès, journaliste et homme politique, fils de Maurice Barrès).
le 16 novembre 2017