C’est l’image la plus célèbre de tout le cycle de fresques que Giotto (v. 1266-1337) a peint dans la basilique Saint-François d’Assise, à la fin du XIIIe siècle.
Que représentent-ils ces oiseaux champêtres auxquels François s’adresse et quelle est la signification de cette scène pour nous, aujourd’hui encore ?
La chronique de Pierre Sesmat du 28 septembre 2020.
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021 lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Pas de doute, c’est l’image la plus célèbre de tout le cycle de fresques que Giotto (v. 1266-1337) a peint dans la basilique Saint-François d’Assise, à la fin du XIIIe siècle, quelque soixante-dix ans après la mort du saint. Facile à trouver en plus : elle est juste à gauche quand vous entrez dans l’église supérieure. Bucolique, idyllique, elle émeut tout le monde. Plus encore aujourd’hui où François (v.1181-1226) est devenu le plus grand ami des bêtes. Lui qui appelle « frère » et « sœur » aussi bien ceux et celles qui le suivent que les oiseaux, une brebis ou le loup de Gubbio, n’est-il pas une préfiguration de l’antispécisme ? En tout cas, l’Église a bien saisi la modernité du rapport de François avec la nature et Jean-Paul II l’a proclamé dès 1979 « patron céleste des écologistes ». La modernité, c’est aussi la manière de Giotto de renouveler l’art de la peinture – la vraie Renaissance – notamment ici en montrant son goût pour l’observation de la nature et en recourant à la technique de la « giornata » qui consiste en la délimitation d’une surface qu’il sera possible de peindre dans la journée ; on en voit clairement les traces dans cette scène, notamment avec la partition du fond bleu.
Justement un des principaux problèmes de la lecture de cette fresque vient de l’emploi par Giotto de la peinture à sec – et non « a fresco » – pour représenter les oiseaux auxquels François prêche. On en devine juste des ombres mais les pigments étant tombés, impossible de les identifier. Il faut recourir à la même scène sur la prédelle du retable François recevant les stigmates, peint aussi par Giotto et aujourd’hui conservé au Louvre, pour voir quels sont ces oiseaux : des ramiers, des corneilles, des freux, des chardonnerets, des pies, des oies, des hérons, tous allant par couple… plus un coq. Cette liste est empruntée – et complétée – à la Vita prima de Thomas de Celano, écrite deux ans après la mort de François. Les historiens – Chiara Frugoni notamment – invitent à dépasser le pittoresque et soulignent que, selon l’imaginaire médiéval, ces oiseaux champêtres et quotidiens représentent les catégories sociales auxquelles François s’adressait dans sa prédication, non pas les clercs ou les chevaliers mais plutôt les travailleurs manuels, les pauvres et les marginalisés, tous ceux qui alors comptaient pour peu, même aux yeux de l’Église, et qui réclamaient de plus en plus d’accéder, comme les clercs, aux mystères divins. C’est qu’en ce début du XIIIe siècle, la société est en pleine évolution, s’urbanise et voit peu à peu s’affirmer ceux qu’en France on regroupera sous le nom de « Tiers-État ».
Ce fameux prêche aux oiseaux eut lieu dans la vallée de Spolète. Mathieu Paris, un moine anglais, dans sa Grande Chronique écrite vers 1259, tout en donnant une version différente, en précise le contexte. Ce serait en 1210, au retour de Rome où François est allé avec ses frères demander l’accord du pape Innocent III au sujet de la règle – plutôt une simple formule de vie – qu’il propose pour sa communauté naissante. Au départ, le pape voit d’un mauvais œil leur volonté de vivre « selon l’évangile » et se méfie de ces laïcs (et quelques clercs) qui prétendent prêcher. Ces va-nu-pieds ne seraient-ils pas des hérétiques comme les Vaudois qui eux aussi se réclament de la pauvreté et se mettent à prêcher ? La différence est qu’au nom de l’humilité, François s’est toujours voulu, et son groupe avec lui, soumis au clergé et à son autorité, tout en refusant de devenir prêtre lui-même. Finalement le pape approuva la « règle » mais seulement oralement et accorda aux frères la permission officielle de prêcher. Comme garantie, il fit tonsurer les frères et conféra sans doute le diaconat à François.
Aujourd’hui les termes du débat ont à peine changé. Une instruction de la Congrégation pour le clergé, La conversion pastorale de la communauté paroissiale, vient de rappeler que « les fidèles laïcs peuvent prêcher dans une église mais qu’en aucun cas ils ne pourront prononcer l’homélie pendant l’Eucharistie ». Faudra-t-il que les laïcs qui aujourd’hui prennent leur part dans la prédication soient aussi tonsurés ?
Merci de nous remettre ces chroniques intemporelles de Pierre Sesmat !
François d’Assise, par sa vie et quelques détails cités ici, a visiblement un avis sur la synodalité !