À l’occasion des manifestations protestataires contre la loi sur le travail, le petit monde journalistique a focalisé une bonne partie de ses commentaires préalables sur le degré de mobilisation de la jeunesse. Non sans raison d’ailleurs vu les antécédents. On nous a resservi la métaphore hygiéniste mais assez juste. En France, la jeunesse « c’est comme la pâte dentifrice ! Une fois sortie du tube, impossible de la faire rentrer ». La chronique d’Alain Cabantous du 14 mars 2016
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021 lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Sorte de spécificité, les jeunes de notre pays, avec une intensité militante variable, n’hésitent pas à descendre dans la rue. Et chacun a entendu une fois ou l’autre dans les manifestations de ces dernières décennies : « Manu, Chirac, Juppé, Sarko, Le Pen, etc., t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ». Comme quoi, cet âge ne doute de rien et c’est tant mieux. Mais la pérennité du slogan masque quelques fois des motivations qui, d’une manifestation à l’autre, ne sont pas toujours semblables. Nourri en mai 1968 aux sources d’une critique radicale d’une société patriarcale, étouffante, d’où sourd l’ennui, les grands phénomènes protestataires se focalisent depuis autour de points plus précis, parfois catégoriels comme la lutte contre la sélection à l’université en 1986 ou la loi Pécresse en 2009/2010 sur l’autonomie de ces établissements. Les défilés contre le Contrat d’Insertion Professionnelle (sous Balladur) en 1994 ou contre le Contrat première Embauche (sous Villepin) en 2006 mobilisaient plus largement en incluant les lycéens et les jeunes travailleurs. Aujourd’hui leurs rassemblements en ce début mars visent le retrait de la loi El Khomri autant que dénonciation de la précarité et du taux insupportable de chômage (24 %) qui atteint les moins de 25 ans.
Plusieurs éléments, malgré tout, donnent une certaine cohésion à ces mouvements. D’abord la question d’un avenir incertain par nature : entre utopie et incertitudes, entre idéalisme et réalités du quotidien. Mais un avenir que les adultes, par la loi et la force des choses, semblent vouloir décider pour les jeunes et leur imposer. Vient ensuite le problème du rapport avec les organisations politiques et syndicales. Il n’est pas toujours simple, notamment en mai 68, en raison de cultures protestataires très différentes et de la peur viscérale des étudiants de se faire récupérer. Pourtant cela n’a jamais empêché pourtant certains hommes politiques en vue aujourd’hui d’avoir fait leur apprentissage à l’occasion des mouvements des années 1980-1990. Enfin, lors de ces dernières décennies tout particulièrement, les parents, explicitement ou non, ont fait et font cause commune avec leurs enfants descendus dans la rue soit en raison de préoccupations semblables (le chômage par exemple), soit parce que la violence répressive, comme en décembre 1986 avec la mort de Malik Oussekine, favorise une sorte de solidarité protectrice les uns pour les autres, très délicate à gérer pour le pouvoir.
Tous les épisodes récents qui se ressemblent sans toutefois se répéter sont-ils si éloignés de la participation des étudiants aux révolutions de juillet 1830 ou de février 1848 voire à la lutte contre le coup d’État napoléonien de 1851 ? Assurément oui ne serait-ce que par le nombre. Lors de la révolution de juillet, sur 8 000 combattants parisiens, il y avait au grand maximum 2 à 300 étudiants. Et pourtant, Delacroix dans son tableau commémoratif, La liberté guidant le peuple, fit la part belle à la jeunesse des Écoles. Et pourtant encore, le poète Barthélemy écrit alors : « Gloire à vous, jeunes gens des plaisirs et des fêtes/ Quand vous avez paru sous le poudreux chemin/ Sous les habits du luxe, un fusil à la main. »
Comme quoi, ce qui compte hier comme aujourd’hui, dans la complétude d’un mouvement et pour sa possible réussite, demeure la présence infime ou massive mais toujours hautement symbolique d’une jeunesse encore heureusement idéaliste et contestataire et par là actrice indispensable du mouvement social et de la vitalité d’un pays.