La nomination récente au siège de Paris de Laurent Ulrich rompt enfin avec le fâcheux cercle de l’entre-soi parisien inauguré avec Lustiger qui a su placer ses hommes et modeler pour longtemps encore le clergé de la capitale. Après que Lustiger a imposé à un Jean-Paul II mourant André Vingt-Trois, celui-ci a probablement joué un rôle essentiel pour faire désigner Aupetit avec le succès que l’on sait.
Avec l’arrivée d’un Bourguignon passé par Chambéry puis par Lille, la succession d’un homme du sérail parisien a enfin cessé. Comme si le pape François, enfin conscient de la nocivité du système, avait voulu y mettre fin et tant pis pour d’Ornellas, Moulins-Beaufort, Beau, Namhias ou Romanet.
Toutes proportions gardées, cette rupture renvoie à la politique menée par les rois de France après la signature du concordat de Bologne entre François 1er et Léon X en 1516 qui précisait les pouvoirs respectifs du roi et du pape à la nomination des bénéfices majeurs (les évêchés et les monastères). Désormais, le souverain français pourrait choisir les titulaires avant que le pape ne leur accorde l’investiture canonique. Avant cette date, et même quelque temps après, alors que les chapitres cathédraux élisaient bien des évêques, les sièges d’une province ecclésiastique étaient largement contrôlés par une ou des familles : les Albret ou les Foix dans celle d’Auch, les Amboise en Lorraine. Assez vite, le souverain voulut briser le lien traditionnel entre les grands noms de la noblesse féodale et le pouvoir local dont faisait partie le contrôle des diocèses. Ce ne fut pas toujours simple si l’on se réfère à l’attachement des Du Belley au Mans ou à celui des Péricard à Evreux. C’est en partie l’une des raisons pour lesquelles les rois nommeront quelques roturiers mais aussi des Italiens sur les sièges français (les Fuorisciti). Ce qui n’empêcha pas les Bonzi à Béziers ou les Gondi à Paris (de 1573 à 1662 !) d’avoir une succession d’évêques durant plusieurs décennies. Parallèlement, le système de la résignation qui permettait à un évêque d’assurer la transmission de son siège à un successeur de son choix ou encore la faiblesse du pouvoir monarchique entre 1560 et les années 1630 expliquent pourquoi Louis XIV poursuivit fermement cette politique.
On passa alors insensiblement « d’une patrimonialisation des sièges à une patrimonialisation de la fonction » (Michel Péronnet) et d’une succession familiale locale à la succession dans la charge épiscopale. Dès lors, les mutations devinrent progressivement plus fréquentes jusqu’à se multiplier après 1740. Par exemple, si les Solignac eurent toujours des évêques parmi eux, ces derniers ne furent plus nommés au siège traditionnel de Sarlat mais l’un à Pamiers, un autre à Lombez et même Fénelon à Cambrai. Conjointement, les évêques choisis eurent de plus en plus un profil identique au regard de leur formation intellectuelle. Une uniformisation renforcée par le poids écrasant des noblesses qui procuraient 97 % du corps épiscopal en 1789. Les évêques étaient passés progressivement d’un statut particulier attaché à leur clan, à un autre, celui de serviteur du roi et d’administrateurs publics. Ce n’est pas un hasard si au cours du second XVIIIe siècle, ils furent chargés de mettre en œuvre de grandes enquêtes de l’Etat comme celle lancée par Turgot en 1774 et qui portait sur la mendicité.
Cette volonté manifeste de réduire puis d’empêcher une implantation locale des évêques resta une constante des monarques français jusqu’à la Révolution française. L’exemple encore heureusement limité du cas parisien (1981-2021) montre que les pratiques d’Ancien régime n’ont pas vraiment disparu avec la nuit du 4 août.