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Synodalité. Marchons avec le monde !

Avec qui marchez-vous ? 
Marcher ensemble, oui ! Mais comment, dans le projet synodal, marcher vraiment avec le monde ?
Dans quelle mesure les groupes qui ont réfléchi aux transformations à accomplir dans l’Église catholique, ont-ils associé à cette réflexion les hommes et les femmes de « ce monde » ?
Il y a plus de 2000 ans, sur le chemin d’Emmaüs, un étranger rejoignit deux membres d’une communauté nouvelle. Ils discutaient vivement des évènements dramatiques et de la mort violente de Jésus. Le groupe paraissait sans avenir. La mort, « l’implosion » Danielle Hervieu Léger et Jean Louis Schlegel. Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme, Seuil, Paris, 2022. semblaient inévitables ! Il leur demanda : « De quoi parliez-vous en chemin ? ». Aujourd’hui il me semble que ce même « étranger » nous poserait la question : « Avec qui marchez — vous ? ».
Marcher ensemble, afin de construire une Église davantage au service de l’Évangile pour le monde, exige non seulement d’accueillir les questions que se pose l’humanité, mais aussi d’intégrer, dans cette réflexion, des membres de cette humanité ; de prendre au sérieux leurs paroles venues « du monde ». 

Esprit contemporain contre esprit évangélique ? 

Comment faut-il interpréter les propos tenus le 19 juin par le cardinal Kasper  La Croix, 23 juin, théologien qualifié d’ouvert et partisan d’une vigoureuse réforme de l’Église ? Nous serons d’accord avec son affirmation liminaire : « La vraie réforme n’est pas d’être aussi contemporains que possible, mais aussi semblables au Christ que possible ».
Sa sévère critique porte sur la méthode suivie par le chemin synodal allemand, qui ayant écouté le monde, préconise des réformes importantes dans l’Église. Les laïcs allemands retiennent, pour réformer l’Église, quelques-unes des innovations qui bousculent la société contemporaine. Par exemple, la mise en œuvre d’une véritable égalité femmes/hommes. Ou le recours au vote majoritaire, y compris dans le cadre de la démarche synodale actuelle. Pour ce proche du pape François, il faut surtout éviter de s’inspirer des questions que le monde se pose aujourd’hui ; encore bien davantage des réponses qu’il tente d’y apporter. Ne pas tomber dans la mode réformatrice « mondaine » qui serait par hypothèse contraire à l’esprit évangélique.

Les joies et les angoisses de ce monde

Évêque - Chapelle des Templiers -Cressac-Saint-Genis-XIIs
Évêque, fresque (XIIe s.), Chapelle des Templiers
de Cressac-Saint-Genis, Charente.

Il y a près de 70 ans, le concile Vatican II, qui voulait provoquer l’aggiornamento dans l’Église, affirmait pourtant : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses de ce temps, celles des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les peines et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur ».
Il parait évident de faire le lien entre les inquiétudes et les inventions du monde d’une part et l’esprit de l’Évangile d’autre part. 
Cette tension féconde se retrouve bien dans l’insistance mise par l’Église et le pape actuel en particulier sur l’importance de la présence des chrétiens dans les combats politiques. Ceci lui est souvent reproché au nom, là aussi, d’un prétendu risque de dissolution de l’esprit évangélique dans l’esprit du monde, qui serait a priori empoisonné. Certes, il ne s’agit pas d’accueillir toutes les propositions du monde actuel pour organiser les relations humaines. Mais il convient d’une part que l’Église se donne les moyens de partager vraiment les soucis de l’humanité et d’autre part de travailler avec tous pour inventer des solutions. Il y a là l’opportunité d’une fécondité réciproque pour dire au monde, la Bonne Nouvelle de l’amour fraternel, dans tous les domaines de la vie. 

Savoir demander pardon à la société

L’Église ne réussit pas toujours à vivre ce rendez-vous. Ainsi lorsque certains de ses avis dans le domaine de l’éthique sont reçus comme des dogmes non négociables imposés par une volonté supérieure et devant être adoptés par une société fortement déchristianisée. 
La situation est pire lorsque les autorités ecclésiales eurent une attitude mortifère dans la vie de la société. Tel est le sens du déplacement du pape François au Canada (24 au 30 juillet) pour renouveler sa demande de pardon pour le rôle de l’Église catholique canadienne dans la gestion des pensionnats pour enfants autochtones : entre 3000 et 6000 d’entre eux n’en sont jamais revenus ! Comment partager les peines du monde sans apprendre à demander pardon lorsque des responsables de la communauté catholique furent à l’origine de tels drames ? 

Nous voici invités, en ce temps de pause estivale, non pas à nous méfier du monde, mais à apprendre, à réapprendre à marcher avec le monde. Comment, dans les mois qui viennent, les groupes de réflexion sur le Marcher ensemble, intégreront-ils des femmes et des hommes non membres de nos communautés ? Quelles modalités d’échanges et d’enrichissement mutuel seront-elles mises sur pieds sans craindre que des dynamiques nouvelles, issues de la société, inspirent vraiment le chemin de l’Église ? Comment saurons-nous célébrer avec « d’autres » ce travail mutuel d’évolution, de réformation permanente, sans un a priori négatif vis-à-vis de tout ce qui pourrait venir du monde ?  

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Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

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