On a connu la communication mélenchonienne sinon mieux inspirée du moins mieux maîtrisée. Je ne me réfère pas ici aux tweets porteurs d’une confiance soutenue et totalement décalée adressés à son ex-futur successeur, mais à celui qui en appelait à la mobilisation du dimanche 16 octobre. Le chef de la France insoumise affirmant quelques jours auparavant : « Le 5 et le 6 octobre 1789 les femmes marchent sur Versailles contre la vie chère. Elles ramènent le roi, la reine et le dauphin de force à Paris sous contrôle populaire. Faites mieux le 16 octobre ». Face à cette référence douteuse comme à l’énigmatique et menaçant « faites mieux », il est possible, à l’instar d’Olivier Faure, de renvoyer un « peut mieux faire » au lider maximo hexagonal. En effet, le contexte protestataire « contre la vie chère et l’inaction climatique » de 2022 ne présente pas de notables points communs avec la situation de l’automne 1789.

Tweet Mélenchon - 6:10:22
Jean-Luc Mélenchon
Jean-Luc Mélenchon.

Mais derrière des appréciations qui fleurent bon le bulletin trimestriel, que s’est-il vraiment passé les 5 et 6 octobre 1789 ? Le premier été de la Révolution fut extrêmement mouvementé entre la naissance de l’Assemblée constituante, la grande peur dans les campagnes et les troubles urbains sur fond de rumeurs complotistes et surtout de conflits radicaux, notamment à Paris, entre les gardes nationales dirigées par La Fayette et les nombreux mouvements populaires. En fait, ce sont « les circonstances politiques qui apparaissent comme la cause essentielle des journées d’octobre » (Georges Lefebvre). Tout particulièrement le banquet offert le 1er octobre par la monarchie au régiment de Flandre venu en renfort et au cours duquel la cocarde nationale aurait été foulée aux pieds ; le jeu trouble du duc d’Orléans face au roi, les décrets d’août relatifs au maintien de la tranquillité publique dévolu aux autorités municipales. S’y ajoutait l’augmentation du prix du pain en dépit d’une bonne récolte. 

La_Journée_memorable_de_Versailles_[...]_btv1b6944215b
La journée mémorable de Versailles. Source : Gallica/BNF

Le déroulement des événements proprement dits se fit en deux temps. Le 5, en réclamant du pain, des centaines de femmes du faubourg Saint-Antoine et des Halles se rassemblent devant l’Hôtel de Ville de Paris bientôt rejointes par des milliers de gardes nationaux, tous décidés à marcher sur Versailles. La Commune de la capitale charge alors deux commissaires, adjoints à La Fayette, de ramener le roi. Celui-ci, revenu de la chasse, promet aux manifestants qu’il reçoit de faire assurer le ravitaillement de Paris. Une partie de la foule se retire des appartements royaux, mais certaines des actrices allèrent à la rencontre des députés siégeant à Versailles. Le lendemain matin, une nouvelle vague de manifestants envahit le château bientôt évacué par la garde nationale avant qu’un cortège hétéroclite, entre chariots de blé, forts des halles et carrosses royaux, n’accompagne, sous un ciel pluvieux, « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » aux Tuileries. 

La_Journée_memorable_de_Versailles_[...]_btv1b6944211p
La journée mémorable de Versailles. Source : Gallica/BNF

La grande caractéristique de ces deux journées reste la place et le rôle tenus par les femmes ; ces nouvelles actrices du politique qui n’ont cessé d’alimenter les fantasmes jusqu’à devenir des « harpies lubriques » (Hippolyte Taine). En fait, la marche des femmes sur Versailles est la conjonction de trois éléments : une émeute classique de subsistances souvent portée par les femmes déjà sous l’Ancien régime, une manipulation des tendances extrémistes à l’œuvre, une réaction aux menaces de la contre-révolution et de la répression. D’ailleurs, à court terme, cet événement central contribua à renforcer les mesures coercitives prévues par l’Assemblée contre tout mouvement populaire (décret du 21 octobre).

Forte de son succès affiché, « la marche » du 16 octobre 2022 (entre les 130 000 participants revendiqués et les 30 000 comptabilisés par la police), n’a pourtant que peu à voir avec celle d’octobre 1789. On pourrait aisément pointer des écarts essentiels juste à partir des quelques données qui précèdent. Comme quoi, tout tribun que l’on est, on ne doit jamais omettre d’interroger la contextualisation, de manier la comparaison en historien afin de ne pas prendre les vessies de la contestation pour des lanternes révolutionnaires, fussent-elles destinées aux aristocrates.

CategoriesNon classé
alain.cabantous
Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.