L

L’hospitalité, un droit fondamental

Faire de l’étranger un hôte. L’hospitalité : un droit fondamental,
c’est le titre du livre autour duquel Marie-Laure Morin, juriste, a animé
la « Soirée Grand Témoin » proposée par le RCI, Réseau Chrétien Immigrés, le 14 novembre 2022. Nous sommes plus que jamais tous
dans le même bateau, celui de l’hospitalité à promouvoir comme un
droit fondamental. Extraits de cette conférence.

Marie-Laure Morin est juriste, déléguée de la Défenseure des droits à Toulouse,
membre de la Cimade, et intervient sur le thème de l’hospitalité auprès de personnes
qui s’intéressent concrètement aux questions migratoires.

La situation est dramatique

Le sujet est d’une actualité plus que brûlante, illustrée par trois faits : l’Ocean Viking « accueilli » à Toulon ; dans la seule journée de samedi dernier quelque 972 personnes ont traversé la Manche ; l’enquête judiciaire sur le naufrage de 27 migrants dans la Manche en novembre 2021 établit les manquements dramatiques des garde-frontières[1]« L’enquête sur la mort de 27 migrants dans la Manche en 2021 accable les secours », Le Monde, 15 novembre 2022.. Les tragédies se répètent, sans susciter d’émotion. 

En ce qui concerne l’Ocean Viking, c’est le fruit des accords de Dublin (examen de la demande d’asile par le pays d’arrivée dans l’Union européenne) et ce qu’on en a fait (faiblesse des relocalisations) … L’UE a passé des accords avec la Libye (vedettes payées aux Libyens pour y ramener les migrants, où ils subissent tortures, viols…), avec la Turquie, qui s’est servi des migrants pour obtenir des avantages de l’Union. Quelles que soient les mesures de l’UE en vue d’une fermeture totale des frontières, les migrants prennent la mer, seules les associations les secourent…
[…] La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour les « conditions d’existence inhumaines et dégradantes de demandeurs d’asile vivant dans la rue », elle ne respecte pas en cela l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ConvEDH), relatif aux traitements inhumains et dégradants, en d’autres termes la torture.

On assiste à une violation constante des droits fondamentaux
que sont le droit à la dignité, à la vie,
inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH)
et la ConvEDH.

Ce qui a poussé M.-L. Morin à écrire

Après une carrière de juriste en droit social (conseillère à la Cour de cassation), Marie-Laure Morin, comme bénévole à la Cimade à Toulouse, a été frappée par la violation massive des droits fondamentaux : difficultés de regroupement familial, accès au logement, accès à la santé, droit à l’éducation… Face à ce constat, que faire, quels outils apporter pour faire changer les choses ? La notion d’hospitalité a été en premier avancée par Mireille Delmas-Marty qui, au moment de la négociation du pacte de Marrakech (Pacte mondial sur les migrations de l’ONU) en 2018, publie dans Le Monde une tribune « Migrants : faire de l’hospitalité un principe juridique effectif »[2] Le Monde, 14 avril 2008.. C’est ce sillon que va creuser Marie-Laure Morin : faire de l’hospitalité un droit fondamental qui soit au même niveau que les autres droits fondamentaux et s’impose à la souveraineté des États. La politique de non-accueil étant comme le rappelle François Héran[3] Le Monde, 8 novembre 2022. un déni de la réalité des phénomènes migratoires…

Chiffres 

La France a délivré en 2021 autour de 270 000 titres de séjour et octroyé le statut de réfugié à environ 40 000 personnes. François Héran, dans l’article précité du Monde, insiste sur le décalage entre la réalité des migrations et le faible accueil de la France. Ces vingt dernières années, l’Europe a connu une augmentation de 60 % de sa population immigrée, augmentation très inégalement répartie selon les pays : Europe du Sud + 181 %, Allemagne + 75 %, France + 36 %. Les mouvements migratoires sont dus aux conflits, au dérèglement climatique, aux inégalités Nord/Sud. La fermeture de l’Europe, la fermeture plus grande encore de la France constituent un déni de cette réalité mondiale, à terme dangereux pour la paix et pour l’État de droit…

[…] L’État est écartelé entre le respect du principe de liberté et celui de la sûreté qu’il doit aux citoyens. Or de sûreté, on est passé à sécurité, l’État s’exprimant uniquement en termes d’ordre public. Ériger l’hospitalité en principe permet d’arriver à un équilibre entre liberté et sûreté.

L’hospitalité est un enjeu politique

L’hospitalité comme droit fondamental est un enjeu pour notre État de droit lui-même, car les droits fondamentaux sont un des piliers de la démocratie, avec le vote et la séparation des pouvoirs…
Ils sont affirmés dès 1789 dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils ne sont pas affaire de bons sentiments, comme a pu le déclarer E. Macron à propos de la fourniture de nourriture par des associations aux migrants de Calais. Pour reprendre une phrase d’Hannah Arendt : « Tout homme a le droit d’avoir des droits. » Priver des personnes de droits fondamentaux les conduit à la mort. Depuis la DUDH, ces droits sont universels, pas seulement nationaux. La légèreté avec laquelle le pays traite ces questions met en jeu les piliers de l’État de droit…

Photo Laker sur Pexels

[…] On peut s’appuyer sur les philosophes pour penser l’accueil. Pour Derrida, quand quelqu’un ouvre la porte, on doit l’accueillir inconditionnellement. Ricœur dit qu’après une rencontre avec une personne humaine, on commence la conversation, la peur de l’autre disparaît, et l’on peut réfléchir à ce qu’on peut faire ensemble, trouver le projet qui permet de rester dans le pays d’accueil. 

Dans une décision de 1993, le Conseil Constitutionnel a rappelé que si les étrangers n’ont aucun droit absolu d’accès et de séjour sur le territoire national, que l’entrée et le séjour peuvent être restreints pour des motifs d’intérêt général et d’ordre public, l’État doit leur garantir les libertés et droits fondamentaux accordés à tout citoyen. L’hospitalité comme droit fondamental s’imposerait donc à l’État.

La directive de 2001 prise après la guerre au Kosovo permet d’accorder temporairement un statut donnant les mêmes droits que les demandeurs d’asile, et même plus car elle autorise l’accès au travail. C’est cette directive qui a été appliquée pour les Ukrainiens, c’est cela l’hospitalité ! Et là, les considérations d’ordre public n’ont pas pesé lourd. Il est donc possible de trouver un équilibre entre liberté et sûreté. C’est une question de choix politique.

Le choix de l’hospitalité

Faire de l’hospitalité un principe fondamental reviendrait à parachever les principes déjà reconnus : fraternité, solidarité, égalité. La fraternité figure à l’article 1er de la DUDH, reconnu par le Conseil constitutionnel. Sa valeur constitutionnelle a été reconnue suite à une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : l’aide à des migrants est possible mais pas l’aide au franchissement de la frontière, cela pour des raisons d’ordre public. La solidarité est un principe constitutionnel tiré du Code de la Sécurité sociale : à chacun selon ses besoins, en fonction de ses ressources. L’application du principe d’égalité est plus complexe, puisque le Conseil constitutionnel admet des différences de traitement entre citoyens s’ils sont dans des situations différentes. L’égalité peut être considérée comme la finalité de l’intégration. […]

Comment faire advenir l’hospitalité comme droit fondamental ?

• Par l’épreuve du terrain, par exemple ce que bâtit le réseau des villes accueillantes (Anvita), en France et à l’étranger… Ainsi, la force de la pratique pourrait aboutir à poser le principe d’hospitalité en tête du Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
• S’appuyer sur la réflexion d’experts internationaux. On peut citer le GIEM (Groupe international d’experts sur les migrations) porté par l’Institut Convergences Migrations et conçu sur le modèle du GIEC. De même à Columbia University, une équipe travaille à un texte de traité.
• Une convention citoyenne à l’échelle européenne, pour inscrire l’hospitalité dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, avec comme objectif un protocole additionnel à la ConvEDH, ce qui serait plus protecteur car elle est dotée d’une juridiction qui vérifie son application. 
• Application de la compétence universelle. L’Allemagne l’a fait pour des Syriens coupables de crimes contre l’humanité. Les juges français sont plus timides. Mireille Delmas-Marty estimait que les morts de migrants en Méditerranée sont des crimes contre l’humanité justifiant la saisine de la Cour pénale internationale (CPI).

Des perspectives de justice existent, il faut aussi travailler à la création de textes.

Lundi 14 Nov Rencontre Avec Marie Laure Morin Faire De L'hospitalité Un Droit Fondamental

Questions / Réponses

Q. Sur le plan politique, sur le plan judiciaire, quelle action est possible ?
R. Sur le plan politique, l’hospitalité est un principe positif. On doit se situer en conquérant, non sur un mode de défense. Sur le plan judiciaire, des QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) sont envisageables sur le contrôle d’une loi qui viendrait amoindrir l’AME [aide médicale de l’Etat], sur une jurisprudence du Conseil d’État qui exclut de l’accès à un hébergement d’urgence une personne sous OQTF [obligation de quitter le territoire français], sur les refoulements illégaux (notamment à Vintimille).

Q. Quelle différence entre refoulement et OQTF ?
R. Le premier vise l’empêchement d’entrer sur le territoire (normalement, si une demande d’asile est formulée, le refoulement n’est pas permis) ; la seconde vise les personnes sans titre de séjour. L’OQTF est prononcée soit avec un délai, soit sans délai avec placement en centre de rétention, justifié par l’ordre public, et qui peut durer jusqu’à 90 jours. Pour moi, le non-refoulement devrait être un principe, le refoulement est autorisé si le pays d’origine est un pays sûr, mais quand on sait que Kaboul a pu être considéré sans risque au retour des talibans à l’été 2021… Quant aux personnes en centre de rétention, en 2021 plus de 50 % ont été libérées, soit par le juge administratif, soit par le juge des libertés. À cela, s’ajoute le nécessaire laissez-passer que les pays d’origine sont peu enclins à délivrer. La France se livre à un chantage sur les visas pour leurs ressortissants avec les pays concernés (cas de l’Algérie entre autres).

Q. Y a-t-il des possibilités pour les mouvements citoyens de poursuivre les États qui ne respectent pas les textes qu’ils ont signés ?
R. Le Gisti l’a déjà fait, sans succès. Il a poursuivi l’État français pour complicité d’actes de torture pour avoir vendu des vedettes à la marine libyenne. Le Conseil d’État a considéré que c’était un acte de gouvernement pour lequel il n’est pas compétent. Les juges sont comme la société, sensibles à l’air du temps. On aura des juges courageux quand la société sera courageuse. La question n’est pas de savoir comment monter un contentieux, c’est qu’il soit soutenu par le mouvement citoyen. Si Cédric Herrou a gagné pour le délit de solidarité, c’est parce qu’il était soutenu (nombreuses manifestations dans tout le pays).

Françoise Josse, pour le RCI

Pour soutenir les actions des bénévoles du Réseau Chrétien Immigrés, vous pouvez envoyer, d’ici la fin de l’année, un chèque d’un montant libre à l’ordre du « RCI »
adressé à Bruno Gizard, trésorier, 43 rue Boussingault, 75013 Paris. Merci !

CategoriesNon classé

Notes

Notes
1 « L’enquête sur la mort de 27 migrants dans la Manche en 2021 accable les secours », Le Monde, 15 novembre 2022.
2  Le Monde, 14 avril 2008.
3  Le Monde, 8 novembre 2022.

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.