Le Père Noël revient. Toujours en bonne santé, malgré l’âge. Toujours populaire. Pourtant, à Dijon, la veille de Noël 1951, il faillit être brûlé par le « clergé conservateur », selon le journal France-Soir. Mais que s’est-il passé réellement ? Et si les conservateurs n’étaient pas ceux que l’on croit ?
La chronique d’Alain Cabantous

33.35.11
Thomas Nast, Santa Claus in Camp (published in “Harper’s Weekly,” January 3, 1863), The Metropolitan Museum, New York.

Plus qu’envahissant surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, il se rappelle à nous avec une insistance de tous les instants à partir de chaque Saint-Martin. Valeur sûre pour vanter toute espèce de marchandises, entre affiches et écrans publicitaires plus ou moins débiles, figure éphémère des grands magasins, le père Noël est alors partout. Ce vieillard ventripotent, barbe au vent, habillé de rouge et de blanc, dont la physionomie est devenue si familière, ne doit absolument rien aux illustrateurs de Coca-Cola mais bien au caricaturiste Thomas Nast (1840-1903) qui le croqua de cette manière en première page du Harper’s Weekly le 3 janvier 1863. Alors que jusque dans les années 1930 en Europe, le père Noël n’était que l’un des protagonistes dispensateurs de cadeaux, il personnalise désormais totalement la fête du 25 décembre. Exit la naissance de Jésus. Vivat le grand organisateur de la consommation. Ami des enfants grâce à sa prodigalité souvent sans limites, il l’a pourtant échappé belle à Dijon, la veille de Noël 1951.

Photo De Nikola Johnny Mirkovic Sur Unsplash
Photo de Nikola Johnny Mirkovic sur Unsplash

Selon le journal France-Soir du 24 décembre : « Le Père Noël a été pendu hier après-midi aux grilles de la cathédrale de Dijon et brûlé publiquement sur le parvis. Cette exécution spectaculaire s’est déroulée en présence de plusieurs centaines d’enfants des patronages. Elle avait été décidée avec l’accord du clergé qui avait condamné le Père Noël comme usurpateur et hérétique. Il avait été accusé de paganiser la fête de Noël en prenant une place de plus en plus grande […] Le feu a embrasé sa barbe et il s’est évanoui dans la fumée […] Cette manifestation intempestive risque d’avoir des suites imprévues pour ses organisateurs. (Car) Dijon attend la résurrection du Père Noël assassiné hier sur le parvis de la cathédrale. Il ressuscitera ce soir à dix-huit heures à l’hôtel de Ville. » Le 25 décembre, Le Monde reprend l’information sans précaution évoquant même « un tribunal d’inquisition composé d’enfants ». L’affaire devint vite polémique, suscitant des débats assez musclés dans la presse écrite ou radiodiffusée. Claude Lévy-Strauss, en fit même l’accroche d’un article (Le supplice du Père Noël). Mais dans un autre sens, des responsables communistes, en France et en U.R.S.S., approuvèrent la prétendue initiative dijonnaise contre ce fourrier du capitalisme américain au moment où s’applique le plan Marshall.

France Soir Père Noël Dijon

Présenté tel quel, l’évènement sentait pourtant bon le regain d’obscurantisme d’une Église catholique qui, sur la défensive, avait recours, même symboliquement aux bonnes vieilles recettes expéditives pour faire taire cette nouvelle concurrence faite « à Dieu lui-même, sorte de père barbu assis sur un nuage, doublé d’un adjudant de gendarmerie » (René Barjavel, dans Carrefour, 26 décembre). Or les choses furent tout autre que la présentation qu’en firent les journalistes. Alors que peu d’enfants furent mobilisés, le clergé de la ville et moins encore l’archevêque n’étaient au courant de l’initiative. En fait, celle-ci provenait d’un groupe de chômeurs et de gens pauvres dont certains avaient trouvé abri dans les locaux de la paroisse Saint-Bénigne. Chargé de les assister, le père Jacques Nourrissat expliqua beaucoup plus tard (Nouvel Observateur du 23 décembre 2009) les circonstances qui donnèrent naissance à l’événement. Peu de jours avant Noël, ces gens démunis virent passer sept ou huit scooters avec des pères Noël chargés « de faire de la réclame pour les grands magasins de la ville. Pour nous qui étions sur la paille, c’était de la provocation. Notre paroisse était la plus pauvre de la ville. Beaucoup sortaient brisés par la guerre, affaiblis. Des femmes se prostituaient pour survivre, des hommes sortaient de prison. Forcément, celui qui faisait de la réclame pour le commerce, cela ne passait pas ». Fut alors proposé au prêtre de brûler un personnage en un geste symbolique « pour que les enfants sachent que Noël n’est pas seulement la journée du commerce et des cadeaux mais le Noël des pauvres ».

Tandis que la situation économique de très nombreuses familles demeure toujours très difficile, qui songerait aujourd’hui à supplicier le Père Noël ? C’est en réalité tout le contraire qui se passe. Comme si nous obéissions plus ou moins consciemment à celui qui, message après message, nous incite à sacrifier à la fièvre acheteuse. Ne nous fions pas à sa bonhomie et à sa jovialité. Elle n’est rien moins que désintéressée.
Joyeux Noël quand même.


Couverture : Photo de Srikanta H. U sur Unsplash

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Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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