Église : les « lignes rouges » de la communion

L’unité de l’Église est une affaire trop importante pour qu’on puisse laisser entendre qu’elle couvre tout, accepte tout, bénit tout et son contraire.
Si la division contredit le message évangélique, ce qui vaut d’être regardé, ce n’est pas la division, c’est ce qui produit la division et qui ne saurait faire l’objet d’arrangements, de concessions, de renonciations.

L’unité, à quel prix ?

L’unité souhaitée n’est pas un donné mais un chemin et pour emprunter ce chemin, il y a des conditions sur lesquelles il faut être clair et ne pas transiger.
La communion ne peut exister au dépend de la figure du Christ et de son message libérateur, ne peut exister dans un ré-habillage idéologique du message visant à conserver un ordre du monde, religieux, social et politique heureusement dépassé, un monde de dominants et dominés, de contraintes d’exclusions, d’abus et d’emprises.
Il y a des « lignes rouges » au-delà desquelles l’Église ne peut s’aventurer, quand bien même la crise qui l’ébranle et les ébranlements qu’elle connaît, l’inclineraient à trouver réconfort auprès des milieux les plus conservateurs mais fondamentalement les plus hostiles au message.
Il n’est pas possible de construire l’unité en donnant crédit à une herméneutique du concile qui s’apparente finalement à une entreprise de déconstruction et qui affirme sans ciller que Vatican II n’a rien dit de nouveau, de neuf par rapport à ce qui a toujours été dit. Ce serait faire injure au Concile et aux Pères conciliaires que d’accepter que soient admises comme paroles catholiques recevables que le concile fut nihiliste, destructeur, ou encore que ce qu’on a en retenu relèverait d’un « concile des médias » et pas d’une entreprise d’Église. Il serait naïf de croire que la communion soit possible avec ceux, qui tout jurant sur le cœur leur fidélité au Concile, veulent en faire un concile comme les autres, entreprennent pour que le Concile rentre dans les rangs.
L’institution romaine et les Églises locales, et particulièrement la nôtre, se trompent quand elles se montrent indécises à choisir de donner toute sa place à ce concile dans l’histoire de l’Église, toute son importance à un concile qui, par ses choix courageux, représente une rupture par rapport aux conciles précédents et au climat dans lequel l’Église évoluait jusqu’alors. Cette attitude, ce positionnement, suscite perplexité, incompréhension, désarroi, désertions.
La pusillanimité, le flottement, les atermoiements, les double-jeu ne font pas l’unité, ne feront pas l’unité, ne donneront pas un avenir à l’Église.
Le laisser-faire plus ou moins autorisé au déploiement de pratiques rétrogrades, les propos complaisants sur une possible « mauvaise interprétation » du Concile ou sa « gauchisation » semblent être des concessions aux plus conservateurs et des pares-feux pour ne vouloir fâcher personne et surtout finalement ne pas avoir le courage de s’interroger sur les notions de tradition, de doctrine et d’historicité des enseignements.

De Vatican II à la synodalité

Dire que les problèmes actuels de l’Église relèveraient d’une mauvaise réception, à la fois formelle et pratique, du concile, nier la signification historique de Vatican II, et ne vouloir voir son enseignement qu’inscrit dans la droite ligne de la tradition comme corpus d’énoncés, de pratiques et d’habitudes, de rites et d’usage, c’est refuser de voir ce que le concile a inauguré.
C’est refuser le Concile comme évènement inédit anticipant une nouvelle figure de l’Église et du christianisme. C’est finalement tourner le dos à un Concile qui est référence, mouvement, boussole pour inventer une Église réformée, nouvelle et en capacité d’adresser à tous une bénédiction agissante, performative.
Les injonctions du concile de Trente qui voulaient que la réception du concile, son interprétation, soit réservée à l’autorité suprême et à ses relais cléricaux et obligés, relèvent du passé. La confiscation par des autorités frileuses ou conservatrices de la réception du Concile est une confiscation de l’Église. Recevoir le Concile comme évènement et mouvement, c’est aimer l’Église comme servante de l’espérance, c’est construire l’Église aujourd’hui.

Ouverture du Concile Vatican II
Ouverture du concile Vatican II, 11 octobre 1962

S’engager dans la voie d’un désossage, fut-il « soft » et silencieux, du concile Vatican II, c’est finalement refuser une Église sancta simul et semper purificanda, appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre.
Vatican II n’est pas un concile comme les autres, c’est un concile nouveau qui n’est pas marqué par les définitions christologiques, qui n’est pas impacté par la controverse antiprotestante ou le rétablissement de la discipline ecclésiastique.

C’est un concile qui a fait un choix en faveur de la forme pastorale de la doctrine, le choix assumé, pour dire les choses autrement, de promouvoir :

  • une doctrine qui concerne l’homme tout entier et son humanisation,
  • une doctrine inscrite dans le moment présent de l’histoire,
  • une doctrine transmise pour le bonheur de l’homme dans la situation présente de l’histoire.
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Photo Rob Curran sur Unsplash

Ce qui, de fait, représente une rupture par rapport aux conciles précédents et au climat dans lequel évoluait le catholicisme au moment de sa tenue.
Avec Jean XXIII et le Concile, l’Église engage la transformation du dogmatisme, s’intéresse aux destinataires et au contexte historique et culturel dans lequel ils évoluent.
Écoute de l’Évangile et de la tradition pour les réinterpréter et transmission de l’Évangile dans un nouveau contexte : voilà le projet, la dynamique d’un Concile différent, inédit, d’un Concile évènement, d’un Concile qui n’a pas simplement à être reçu mais reçoit lui-même les ferments qui travaillent l’ensemble la société.

Réconcilier l’Église avec le monde

Vatican II est le concile qui, en assimilant les avancées théologiques (mouvement liturgique et œcuménique, retour aux sources bibliques et patristiques, renouveau de l’ecclésiologie,
théologie du laïcat), l’a faite passer :

du commandement à l’invitation,
de la loi à l’idéal,
de la menace à la persuasion,
de la contrainte à la conscience,
du monologue au dialogue,
du commandement au service,
de l’exclusion à l’inclusion,
de l’hostilité à l’amitié,
du soupçon à la confiance,
de la rivalité au partenariat,
de la recherche de la faute à l’appréciation,
du changement de comportement à l’appropriation intérieure.

John O’Malley

Prenons fait et cause pour que soit reçu le concile Vatican II comme un avenir et faisons de ce choix une ligne rouge de la recherche de la communion.
L’agitation qui a suivi la mort de Benoît XVI et les entreprises qui préparent une succession de François qui, sous couvert d’évaluation veulent en finir avec le Concile Vatican II et la synodalité qui en est fille, ne doivent pas nous conduire à des compromissions ou silences qui jouent contre l’Église et son avenir dans la culture d’aujourd’hui.

Bibliographie

Giuseppe Alberigo, L’histoire du concile Vatican II, éditions du Cerf
Joseph Famerée et Gilles Routhier, Penser la réforme de l’Église, Cerf, coll. Unam sanctam
John O’Malley, L’évènement Vatican II, Lessius
Gilles Routhier, La Réception du concile et Cinquante ans après Vatican II. Que reste-t-il à mettre en œuvre ? éditions du Cerf


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Patrice Dunois-Canette

Journaliste, secrétaire général d’associations et fédérations de presse catholique, co-fondateur des Journées d’études François de Sales, Chargé de mission cabinets ministériels, co-fondateur et co-directeur de Question Croyance(s) & Laïcité - QCL. Retraité.

  1. MTh joudiou
    MTh joudiou says:

    grand, grand merci à Patrice Dunois-Canette pour cette nécessaire et indispensable mise au point.
    Marie-Thérèse Joudiou

  2. Monique Pouchet
    Monique Pouchet says:

    Bien d’accord. J’ajouterai seulement qu’un concile œcuménique est réputé inspiré par l’Esprit Saint. Et que Vatican II a été un concile portant avant tout sur l’ecclésiologie, avec toutes les branches de la théologie qui la supportent, et en son centre, devait être un retour à la collégialité, contre la centralisation du pouvoir et l’autoritarisme. Deux papes se sint ingéniés à corriger cela, avec le pouvoir que leur a donné le fait que le concile n’ait pas été transcrit et sa doctrine consacrée par le Code de droit canonique. Ce Code, a au contraire, été modifié avec une orientation très différente. C’est pourquoi le Synode sur la synodalité est une voie, et excellente puiqu’elle implique tout le peuple de Dieu, pour faire revivre l’ecclésiologie du concile et l’amplifier, et de façon pacifique et constructive.

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