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La réforme des retraites

Les diverses réactions, leur violence, le débat houleux à l’Assemblée Nationale, amènent à se poser quelques questions à propos de cette nouvelle réforme des retraites et aussi à tenter la recherche de pistes.
Le point de vue de Robert Picard éclairé par un texte du Pacte Civique. Vos contributions seront les bienvenues !

« La question des retraites est l’une des plus grosses bombes à retardement cachées de la société française, tant le nombre d’actifs contribuant à les financer décroît lentement mais régulièrement.
Les enfants du baby-boom arrivant aujourd’hui à l’âge du départ,
il n’y a que trois solutions : augmenter le montant des cotisations retraite,
allonger la durée de la période pendant laquelle on cotise,
ou baisser les retraites. »

Michel Rocard, dans Si ça vous amuse, éd Flammarion 2010, page 194.

Celui-ci, Premier Ministre, avait engagé une mission de dialogue sur le problème.
Il a été contraint à démissionner le 15 mai 1991 et le processus n’a pas été repris par ses successeurs. Mais ce sont les événements tumultueux qui accompagnent la procédure de réforme en cours qui nous préoccupent. Le commentaire du Pacte civique (Conflit sur les retraites, quelle issue ? 27 janvier 2023) est, à mon avis, l’un des meilleurs textes, parmi les nombreux qui ont été publiés. Et je partage notamment le sentiment que le moment a été très mal choisi.

Trois questions

1 – Pourquoi tant de passions pour les retraites, alors que bien d’autres injustices mériteraient notre indignation ?

Par exemple :

  • Les mesures radicales indispensables et urgentes pour limiter le réchauffement climatique
    et l’érosion de la biodiversité, toujours remises à plus tard.[1]Il est paradoxal de déplorer le passage du départ en retraite à 64 ans, alors que nous ne savons pas si, en raison notamment dudérèglement climatique, l’espérance de vie ne sera pas … Continue reading
  • Le mal-logement. Quatre millions de mal logés en France. Selon la Fondation abbé Pierre,
    il faudrait y ajouter 12 millions de personnes en situation de fragilité quant au logement.
  • La pauvreté : 5 millions de personnes qui perçoivent des revenus inférieurs au seuil de pauvreté (940 € par mois pour une personne seule). Il est vrai que la France n’est pas, de ce point de vue,
    le pire des pays européens. Notons quand même que la Finlande fait sensiblement mieux que nous.[2]Qu’il s’agisse de mal logement ou de revenus insuffisants, les chiffres ne disent pas tout. Il faut aussi entendre les bénévolesdes associations caritatives. Ce qu’ils rencontrent, ce n’est … Continue reading
  • Le chômage : un peu plus de 7 % de la population active. Il y a eu pire. Est-ce une raison pour s’en satisfaire ?
  • La galère quotidienne des transports pour les franciliens.
  • Liste non limitative…

On pourrait avoir l’impression que l’âge de la retraite fonctionne comme un abcès de fixation qui permet de mettre le reste entre parenthèses.

2 – Pourquoi est-ce un drame pour les Français de devoir travailler jusqu’à 64 ans, alors que pour les Allemands, les Danois et les Italiens, l’âge de la retraite est fixé à 67 ans ?

Le seul pays de l’UE à avoir la retraite à 62 ans est la Slovaquie. Tous les autres vont au-delà.

3 – Comment s’y prend notre pays pour être en même temps champion de la dépense publique (59 % du PIB, l’Allemagne et le Danemark dépassent à peine 51 %) et celui d’Europe qui paye le plus mal ses enseignants ? Qui paye mal ses infirmières ?

Un pays dont le système hospitalier ne parvient pas à traiter correctement les urgences (mais ce n’est pas uniquement un problème financier).
Un pays qui ne parvient pas à entretenir convenablement les rails de son réseau ferré. L’excès des dépenses liées aux retraites serait-il responsable de ces carences ?

Tentatives pour essayer d’y voir clair

Les Français ne veulent plus travailler ?

Une mentalité qui pourrait être illustrée par un slogan affiché lors d’une manifestation :
« On me vole deux ans de ma vie ». Comme si le travail ce n’était pas aussi la vie !
Le travail ne serait que l’instrument pénible qui permet d’accéder aux congés et surtout à la retraite.
La vraie vie commencerait à la retraite ?
Qu’il y ait un peu de cette illusion dans nos mentalités plus ou moins conscientes ;
on ne peut pas l’éliminer totalement, mais la réalité est plus complexe.

Le travail a changé

Il n’est plus évident que le travail ait un sens. Pour peu qu’ils soient conscients de la gravité de la crise climatique, tous ceux qui travaillent à construire des véhicules à moteur thermique doivent avoir un peu de mal à trouver un sens à leur activité.
C’est un fait nouveau, certains jeunes exigent que leur travail ait un sens et renoncent à des emplois bien rémunérés pour des situations moins lucratives dans des espaces où ils ont le sentiment d’œuvrer pour la sauvegarde de la planète ou pour renforcer le lien social.
L’illusion du toujours plus a perdu de son attrait. Travailler plus pour gagner plus n’est plus à l’ordre du jour. Les français ne refusent pas l’effort, mais ils veulent qu’il soit compatible avec une vie personnelle et familiale.
Ce n’est pas un refus du travail, mais la place de celui-ci qui est discutée. Il n’est plus le centre de la vie.
Les conditions de travail ont évolué aussi, mais pas suffisamment. Nos organisations sont restées très tayloriennes, les hiérarchies sont souvent restées lourdes et tatillonnes ; les relations entre collègues trop souvent conflictuelles.
Les Français qui ont vécu des expériences professionnelles dans des pays voisins sont à peu près unanimes à relater des ambiances de travail plus agréables, plus détendues, plus coopératives.
Ceci expliquerait-il que nos voisins acceptent de travailler jusqu’à un âge plus avancé ?

L’ambiguïté et la brutalité de la réforme en cours poursuit trois objectifs

  • Sauvegarder le système de retraites par répartition. Objectif consensuel.
  • Augmenter le taux d’emploi des seniors beaucoup plus faible en France que dans la plupart des pays de l’UE. (un senior qui travaille, non seulement ne perçoit pas de retraite, mais aussi contribue au financement du système par ses cotisations retraite)
  • Le troisième objectif n’est pas clairement avoué. Il s’agit de dépenser moins pour les retraites.

dont le raisonnement implicite serait le suivant :

La dépense publique atteint en France un niveau qui ne peut pas être dépassé sous peine de mettre notre économie en péril (discutable, mais soutenable).
Les retraités français sont privilégiés. La France est le seul pays de l’UE où le revenu moyen des retraités est à peu près égal au revenu moyen des actifs. Il y a moins de retraités pauvres que d’actifs pauvres.
En diminuant la dépense pour les retraites nous pourrions mieux financer des besoins prioritaires (par exemple, mieux payer les profs, mieux rémunérer les médecins généralistes en secteur 1, etc.).
Un tel choix est concevable, mais c’est un choix de société qui doit être clairement énoncé et doit faire l’objet d’une réelle concertation impliquant tous les acteurs de la société civile (syndicats, patronat, associations de retraités…).
En plus de cette ambiguïté, il y a aussi la brutalité de la réforme. Dès le départ, ce que l’on savait être un chiffon rouge, l’âge de la retraite est présenté comme non négociable.
On peut avoir le sentiment que, de part et d’autre on se déchire pour un symbole, l’âge légal de la retraite qui n’est même pas toujours l’âge effectif de la cessation d’activité.
Et les symboles sont souvent plus meurtriers que la réalité.
Peu importe que les oppositions reposent souvent sur de l’irrationnel (et aussi sur des calculs politiciens). Il est plus efficace de contourner l’irrationnel que de l’affronter brutalement.

640px Cheminots En Grève.Manifestation Contre Le Projet De Réforme Des Retraites. Paris. 28 Décembre 2019 (49519626498)
Manifestation contre le projet de réforme des retraites en 2019

Conclusion

La réforme des retraites, un désastre, un beau gâchis. Non pas que le texte (en son état actuel) soit radicalement inacceptable, aucun régime de retraite n’est sans défaut. Celui-ci est essentiellement critiquable pour être rejeté par une forte majorité de la population et pour avoir déchaîné des passions dévastatrices.
Une réforme était nécessaire ; son urgence était de l’ordre du moyen terme, alors que deux priorités devraient s’imposer au quinquennat.
Deux priorités de très court terme :
– Rendre la France exemplaire dans la lutte pour le climat et la bio-diversité (elle en est loin).
– Gérer au mieux, avec un souci d’équité, les retombées (l’inflation notamment) de notre soutien à l’Ukraine qui nous coûtera très cher ; mais c’est le prix de notre liberté.
Dans les deux cas, ça impliquera des bouleversements de nos modes de vie bien plus radicaux que la perte de deux ans de retraite. Pour autant, la réforme des retraites ne doit pas être oubliée, mais elle doit être menée en prenant le temps nécessaire pour obtenir un consensus minimum.

Pourquoi ne s’être pas inspiré du processus initié par Michel Rocard ?
Les deux premières étapes consistaient à obtenir un consensus des partenaires sociaux sur un diagnostic étayé par un document élaboré par l’INSEE. Il estimait à deux ans le temps nécessaire pour parvenir à ce consensus…
Une troisième étape serait celle d’une négociation tripartite, État, patronat, syndicats, destinée à aboutir à un accord négocié.
Michel Rocard n’a disposé que du temps nécessaire pour faire élaborer le document de base par l’INSEE. Emmanuel Macron a quatre ans devant lui… !

Quelle que soit l’issue de ce psychodrame, le Président de la République en ressortira affaibli. Il sera fortement handicapé pour mener à bien des actions d’envergure.
Un beau gâchis, car il est permis de craindre que bien avant la fin du quinquennat, des situations critiques exigent l’intervention d’un pouvoir lucide, courageux et bénéficiant du soutien de la population.

Robert Picard, 17 février 2023


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Notes

Notes
1 Il est paradoxal de déplorer le passage du départ en retraite à 64 ans, alors que nous ne savons pas si, en raison notamment du
dérèglement climatique, l’espérance de vie ne sera pas inférieure à 62 ans, d’ici quelques années.
2 Qu’il s’agisse de mal logement ou de revenus insuffisants, les chiffres ne disent pas tout. Il faut aussi entendre les bénévoles
des associations caritatives. Ce qu’ils rencontrent, ce n’est pas la pauvreté, c’est la misère.
  1. Monique Pouchet says:

    Deux simples commentaires, sur les “dépenses publiques”.
    Tout le service public a été démantelé, et on est à la liquidation d’une partie significative de la haute fonction publique) conformément au dogme néolibéral, qui dicte l’arrêt de la participación de l’État à des dépenses sociales, dont le but, lorsqu”elles ont été instaurées, était de compenser les ravages du capitalisme notamment pour la partie plus défavorisée de la société.
    Les dépenses publiques servent actuellement à payer le privé (comme McKinsey, une des pointes de l’iceberg), ou à l’alimenter (comme pour l’eau, Veolia), au prix de graves violations du droit et de la simple honnêteté), à des tarifs qui représentent un coût énormément supérieur à celui que représentait le travail de fonctionnaires cependant parfaitement qualifiés.
    D’autre part, toucher aux retraites est aussi un symbole: toucher à une fraction non-productive de la société, et les Français ne le ressentaient pas lorsqu’il s’agissait surrout “des autres”, ceux qui n’ont jamais ou peu ou avait cessé avant l’âge de participer, au moins de façon significative à la production. Mais maintenant, il s’agit aussi de ceux qui y ont participé ou y participent de façon significative.
    (La réforme des retraites et les projets sur la fin de vie, bien que de nature très différentrs,procèdent tous deux d’une même idéologie.)
    (Et, oui, le travail fait partie de la vie, peut-être faudrait-il moduler en réfléchissant aux conditions dans lesquelles c’est vrai, et à celles dans lesquelles il ne respecte pas des droits fondamentaux, et il y en a de plus en plus, d’une part de par les modifications apportées au droit du travail, en faveur des entrepiso et non plus des salariés, d’autre part de par une de ses conséquences, qui est une insécurité permanente pour la plupart, sur le fait de pouvoir garder leur travail, ne pas être obligés d’accepter n’importe quel travail, conditions ou salaire pour continuer à travailler.)

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