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Comment penser la résurrection ?

À la suite de ses trois textes sur la notion de “Fils de Dieu”, Colette Deremble nous propose pour ce Carême 2023 des textes très en lien avec notre thème : Mort et résurrection. Ces textes examineront successivement :
– ce que l’Église catholique nous demande de croire,
– ce que propose l’Ancien Testament dans sa réflexion sur la mort,
– ce que croyaient les juifs du temps de Jésus,
– ce que nous disent les évangélistes de la résurrection de Jésus,
– enfin, la manière dont Paul réfléchit sur notre résurrection à partir de celle de Jésus.
Chaque semaine, un nouveau texte sera publié. Voici le premier.

La Résurrection est au centre de la foi chrétienne.
Comme le dit Paul, “si je ne crois pas en Christ ressuscité ma foi est vaine”.
Mais comment exprimer notre foi dans la Résurrection ? Chacun d’entre nous a dans la tête des éléments assez désordonnés, chargés de représentations imaginaires, à la fois personnelles et collectives, qui se mêlent à des bribes de récits évangéliques, à nos propres relations à la mort, selon ce qu’il nous a été donné de vivre à ce sujet, le tout se mêlant à des conceptions mythiques archaïques que nous traînons avec nous sans le savoir.
On peut tenter d’apporter des éclairages en interrogeant successivement :

  • ce que l’Église catholique nous demande de croire,
  • ce que propose l’Ancien Testament dans sa réflexion sur la mort,
  • ce que croyaient les juifs du temps de Jésus,
  • ce que nous disent les évangélistes de la résurrection de Jésus,
  • enfin, la manière dont Paul réfléchit sur notre résurrection à partir de celle de Jésus.


1- Le Credo de l’Église

Wolf von Hoyer, Psyche, Neue Pinakothek, Munich, licence CC 2.0 Generic

La pensée officielle de l’Église a été reformulée récemment dans le Catéchisme catholique, rédigé à la suite du deuxième Concile de Vatican : « Dans la mort, qui est séparation de l’âme du corps, le corps de l’homme tombe dans la corruption, alors que son âme va à la rencontre de Dieu, tout en demeurant en attente d’être réunie à son corps glorifié. Dieu, dans sa toute-puissance, rendra définitivement la vie incorruptible à nos corps en les unissant à nos âmes, par la vertu de la résurrection de Jésus ».
C’est un scénario épique qui sollicite l’imaginaire, en même temps qu’il donne l’apparence d’une parfaite logique : à la mort, l’âme se sépare du corps ; le corps pourrit ; l’âme rejoint Dieu, et là, elle attend que le corps, plus tard (quand ?) recomposé et devenu miraculeusement incorruptible, la rejoigne et s’unisse à nouveau à lui.
Cette proposition repose sur une conception anthropologique dualiste, héritée de la philosophie grecque, qui imaginait que l’homme était constitué d’une âme, incorruptible, et d’un corps matériel et corruptible.
La culture sémitique, quant à elle, ne nourrissait pas ce genre de pensée dualiste : les juifs pensaient que l’homme était fait d’un corps matériel auquel Dieu avait insufflé la vie. Ils n’avaient pas l’idée d’une distinction du corps et de l’âme.
Mais la culture grecque s’est peu à peu diffusée dans la tradition biblique, et les chrétiens ont adopté cette conception grecque de l’homme, assemblage d’un corps mortel et d’une âme immortelle.

L’énoncé du catéchisme catholique nous dit que l’âme rejoint Dieu : elle ne ressuscite donc pas puisqu’elle est immortelle et qu’elle n’a donc pas connu la mort. Cette représentation génère beaucoup de problèmes :

  • Le premier est qu’il porte au second plan la résurrection : en effet, on ne peut parler de résurrection que s’il y a mort totale. Or, on nous dit que seul le corps meurt. En quelque sorte, on ne meurt qu’à moitié.
  • Il nous met en porte-à-faux par rapport à la modernité occidentale, comme aussi d’ailleurs par rapport à d’autres systèmes anthropologiques qui ne sont pas nourris par l’anthropologie grecque, -et qui doivent malgré tout l’adopter – s’ils veulent accepter la conception de la résurrection définie par le Credo de l’Église.

Peut-on encore aujourd’hui définir l’humain, comme à l’époque platonicienne, par la conjonction d’un corps et d’une âme ? Qu’est-ce qu’une âme ? Le concept était peut-être une évidence avant le développement de nos connaissances sur le fonctionnement du cerveau et celles sur l’évolution des vivants ? Il l’est moins aujourd’hui. Nous savons que notre être, notre conscience, notre activité psychique, affective, spirituelle, sont conditionnés par des patrimoines génétiques, des relations sociales, des histoires… Depuis quand le genre humain a-t-il une âme ? Depuis l’émergence de l’« Homo » ? Mais les sciences de la vie nous ont appris qu’il n’y a pas de frontière claire et décisive entre l’homo sapiens et ses ancêtres animaux.

Les grecs devenus chrétiens se seraient bien contentés de l’idée de l’âme se rendant à la rencontre de Dieu pendant que le corps, cette enveloppe charnelle et périssable, allait à la décomposition.
Mais il fallait intégrer l’anthropologie sémitique, pour qui le corps a de l’importance. On a donc imaginé des étapes, un délai, une attente pendant laquelle l’âme, d’un côté, vit sa vie avec Dieu, tandis que le corps, de son côté, est réduit à la putréfaction, puis une deuxième étape pour la réintégration de l’âme dans le corps, mais un corps « glorieux », concept qui pose des questions
bien difficiles, et qu’on n’intègre qu’à la condition de faire des impasses, des pirouettes intellectuelles, en se disant qu’on entre alors dans le « mystère » de la foi.

La définition officielle de l’Église nous conduit donc à plusieurs écueils 

  • Elle modifie la conception sémitique de la personne pour lui substituer une conception grecque avec deux éléments distincts, le corps, périssable, et l’âme immortelle.
  • Elle conduit à ne concevoir de résurrection que pour le corps, puisque l’âme, immortelle, n’a pas besoin de ressusciter.
  • Elle imagine un temps de latence entre le moment où l’âme est avec Dieu et où le corps va le rejoindre.
  • Elle est confuse sur cette question de l’attente : que vient faire le temps dans une dynamique qui se veut éternelle, donc hors du temps humain ?
  • Elle est confuse sur la notion de corps : qu’est-ce que ce corps, qui ne sera plus matériel mais « glorieux » ?

Quelle est la différence entre « corps glorieux » et « âme » ? Peut-on encore parler de « corps »,
sinon en vidant ce terme de tout ce qu’il veut dire car un corps est pris dans un temps et un espace, des sentiments, des sensations… Mais y a-t-il, dans l’éternité, un temps et un espace ? Donc que sera ce « corps », qui est tout sauf un « corps » ?

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Colette Deremble

Colette Deremble est agrégée de lettres classiques, licenciée en théologie, docteur en art et archéologie (EHESS, 1989). Chargée de recherches au CNRS (en 1988). Professeur émérite à Paris X (en 1994). Autrice de nombreux livres dont « Jésus selon Matthieu. Héritages et rupture » (avec Jean-Paul Deremble), éditions Lethielleux, 2017.

  1. Jean Verrier says:

    Les questions sont concises, formulées dans un vocabulaire simple. Elles tranchent dans des représentations de la Résurrection qui m’habitent en effet . Merci. J’attends avec impatience la suite.

  2. Bernard Fauconnier says:

    Âme ?
    L’âme, peut-être, est ce qui crie en nous notre soif de Dieu, de son eau-vive, de son don (cf. Samaritaine au puits de Jacob).
    Cet état de soif à la fois aiguisée par Dieu, et apaisée, comblée par son don de lui, son eau-vive, n’est-il pas jubilatoire ?
    Cela me donne une idée de la jubilation éternelle dans l’amour divin.

    La résurrection du corps m’encombrerait presque un peu : il me semble être entièrement dans cette soif, mon âme.

    1. Michel Metzger says:

      Il est important de préciser ce que l’on entend par âme. Ce mot recouvre différentes représentations. Par exemple le monde du ressenti ( il a une âme sensible). Persiste-t-il après la mort? Autre exemple: est-elle quelque chose d’éternel en l’homme ( le corps périt et l’âme monte au ciel) ce qui implique que l’homme n’est pas totalement mortel. Aurait-il mangé une demi-pomme de l’arbre de vie? Il parait que non d’après la Genèse! Que de place pour chacun de nos imaginaires ! Cet article a le mérite de se recentrer sur ce qu’en dit l’Eglise appuyée sur la tradition biblique du peuple hébraïque et la tradition de la culture grecque. Elle pointe les incohérences, dans la pensée, dues à des raisonnements basés plus sur les fantasmes venant de notre désir d’éternité que sur notre logique.
      Merci à Colette Deremble pour sa rigueur qui peut aider à nous éveiller en nous déstabilisant face nos petites idoles.

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