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Les croyances en la résurrection dans l’Orient ancien

Comment penser la résurrection ? Après “ce que l’Église nous demande de croire”, voici le second texte que Colette Deremble propose, en lien avec notre thème de Carême : Mort et résurrection. Quelles croyances dans l’Orient ancien ?
Dans les cultes à mystères, dans l’Ancien Testament et chez les Juifs de cette époque, tout un imaginaire a nourri le nôtre : la renaissance du “nouveau” au printemps, l’espérance de retour d’un peuple en exil, la conversion – passage d’une mort spirituelle à la vraie vie -, l’éveil après le sommeil ou encore l’idée de rétribution – récompense ou punition.

1- Les cultes à mystères

L’Orient ancien connaît une multitude de croyances autour de la résurrection, que ce soit chez les Iraniens, les Égyptiens, les Grecs, les Mésopotamiens. La croyance en une vie après la mort n’est évidemment pas spécifiquement chrétienne. Il n’y a pas beaucoup de civilisations qui se résolvent à accepter cette chose insupportable, que la mort soit la fin de la vie ; la plupart d’entre elles proposent une autre forme de vie après la mort. Parmi elles, le foyer iranien et bien sûr l’Égypte, où la société passe son temps sur terre à préparer sa vie dans l’au-delà. On peut aussi évoquer les « cultes à mystères », parce qu’ils sont largement répandus dans les villes du pourtour méditerranéen au premier siècle de notre ère, à l’époque où se construit la foi chrétienne. Ces cultes sont la continuité d’anciens cultes agraires, où on fêtait, à chaque printemps, la victoire de la vie sur la mort. Ces cultes étaient construits autour d’une figure mythique (Ishtar en Mésopotamie, Osiris en Égypte, Adonis en Grèce, Attis en Phrygie…), supposée mourir de mort violente, puis ressusciter. On la célébrait au printemps, saison qui symbolise le renouveau de la vie après la mort. Lors du rituel principal, chaque initié était supposé plonger dans la mort du dieu vénéré pour renaître en « homme nouveau ». Paul et les évangélistes connaissent parfaitement bien ces croyances et ces rituels.


2- L’Ancien Testament

Les écrivains bibliques ne spéculent pas sur la vie après la mort : « Dieu est le dieu des vivants, non des morts. » (Luc 20, 38 – Marc 12, 27 – Mt 22, 32)
Si les prophètes parlent de la mort, c’est plutôt comme d’une métaphore pour dire l’oubli de Dieu. Ainsi, Osée demande de se convertir, c’est-à-dire de passer de la mort spirituelle à la vraie vie : « Venez, revenons à Yahvé. Après deux jours, il nous fera revivre ; le troisième jour il nous fera surgir et nous vivrons devant lui » (Os 6, 1-3). Pourquoi « trois jours » ? Parce que dans l’Orient ancien, on estimait qu’un défunt était vraiment mort au bout de trois jours.

Vision de re-création d’Ézéchiel 37, fresque, Doura-Europos

Autre texte essentiel, celui dit des « ossements desséchés » (Ez 37, 1-10). Ézéchiel écrit au temps de la déportation. Le peuple juif est dispersé en pays ennemi, anéanti, emprisonné dans le « tombeau » qu’est le désespoir de l’exil à Babylone. Mais Ézéchiel dit l’espoir que Dieu lui redonnera vie, le fera revenir en Israël. La déportation ici est décrite par la métaphore de la mort et le retour au pays par celle de la résurrection : « Il me dit : Fils de l’homme, ces os, c’est toute la maison d’Israël. Voici, ils disent : nos os sont desséchés, notre espérance est détruite, nous sommes perdus ! Prophétise donc, et dis-leur :
Ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Voici, j’ouvrirai vos tombeaux, je vous ferai sortir de vos tombeaux, ô mon peuple, et je vous ramènerai dans le pays d’Israël. Et vous saurez que je suis l’Éternel, lorsque j’ouvrirai vos tombeaux, et que je vous ferai sortir de vos tombeaux, ô mon peuple ! Je mettrai mon esprit en vous, et vous vivrez ; je vous rétablirai dans votre pays, et vous saurez que moi, l’Éternel, j’ai parlé et agi, dit l’Éternel. » Le thème de l’ouverture des tombeaux chez Ézéchiel, métaphore de l‘espérance qui s’ouvre à nouveau, est essentiel pour comprendre le récit évangélique du tombeau ouvert, car les évangélistes n’écrivent pas hors de la ligne culturelle et littéraire de l’Ancien Testament.
On ne doit donc pas chercher dans l’Ancien Testament de pensée de la résurrection, au sens d’une vie de chaque homme après la mort.

3- La pensée apocalyptique en milieu juif

À partir du III ème siècle avant notre ère, les croyances des juifs bougent, sous l’influence, notamment des courants de pensée iraniens. Tout un imaginaire se met en place pour spéculer sur la vie après la mort, avec une idée force, celle de la rétribution (récompense et punition) : c’est l’idée de Jugement qui prend désormais la première place dans l’imaginaire. Le Livre d’Hénoch, qui n’est pas aujourd’hui reconnu comme canonique, mais qui, à l’époque, jouait un rôle majeur, imagine un scénario selon lequel les âmes sont rassemblées après la mort dans quatre cavernes distinctes, deux pour les justes, deux pour les pécheurs ; ils attendent là jusqu’au Jugement dernier.

À la suite de la crise soulevée par Antiochus Épiphane (167-164), souverain hellénistique qui avait agressé la foi juive et soulevé, en retour, le besoin d’imaginer une punition divine, on voit s’exprimer l’espérance selon laquelle les justes se réveilleront en raison de leur fidélité à leur Dieu. On la trouve dans le passage du Livre de Daniel 12, 2-3 (rédigé entre 167 et 165) : «  Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament et ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre, comme les étoiles, pour toute l’éternité ».
Deux éléments apparaissent clairement dans ce court passage :

  • la pensée de la résurrection est exprimée en termes métaphoriques de l’éveil après le sommeil,
  • la résurrection est une sorte de récompense ou de compensation pour les justes.
    Le corollaire est que la résurrection n’est pas un phénomène universel : il n’affecte pas tout le monde puisque c’est la récompense des « bons ».

On pourrait citer toute une série de textes de la littérature juive apocryphe de ce temps, où se mettent en place des croyances sur l’au-delà, dont les points communs sont, notamment, le scénario eschatologique (la résurrection se passe à la fin des temps ) et l’idée de rétribution (à ce moment-là, la justice se fera).

C’est en milieu grec qu’est rédigé, au Ier siècle avant notre ère, le Livre de la Sagesse, dernier livre de notre Ancien Testament, conçu dans les milieux juifs hellénisés d’Alexandrie. Il défend la théorie de l’incorruptibilité de l’homme, liée à celle selon laquelle, à leur mort, les justes partent pour la sphère divine. « Dieu a fait l’homme pour l’incorruptibilité et l’a fait image de sa propre pérennité (Sg 2, 23). Les Justes « sont dans la main de Dieu « (Sg 3, 1). Ces justes (comprendre : ceux qui sont dans « la vraie foi »), préalablement épurés comme l’or dans le creuset, sont ensuite introduits dans la communion divine. On trouve aussi dans le Livre de la Sagesse l’idée, désormais classique en Orient ancien, du jugement avec récompense des croyants et châtiment des impies. Comme les élus de la religion zoroastrienne, ces justes recevront alors la couronne et le diadème de la royauté.

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Fra Angelico, Jugement dernier (détail), huile sur bois, XVe s., Couvent Saint-Marc, Florence.

Ces textes appartiennent globalement à ce qu’on appelle la littérature apocalyptique. Il s’agit d’un genre littéraire développé par le monde juif, du III ème siècle avant notre ère au II ème siècle de notre ère. Cette littérature développe des fictions qui fonctionnent sur un mode dualiste (les bons/ les méchants), avec une mise en scène spectaculaire opposant le monde d’en haut et le monde d’en bas, le présent et l’avenir, les croyants et les impies, et des scénarios épiques, codés et facilement repérables, où interviennent la trompette, les anges, les nuées, les tremblements de terre, la chute des étoiles etc. Ce courant littéraire a eu une très grande audience et a donné lieu à une multitude d’écrits, qui spéculent notamment sur le Jugement dernier et l’au-delà. Tous les scénarios de cette littérature ont pour arrière-fond une problématique de justice compensatoire et alimentent l’imaginaire par des visions à « grand-spectacle ». On peut citer par exemple le livre de l’Apocalypse de Baruch écrit à la fin du Ier siècle de notre ère : « La terre rendra les morts qu’elle reçoit maintenant pour les conserver. Sans rien modifier de leur forme, elle les rendra telles qu’elle les a reçues. Lorsque ceux qui aujourd’hui se connaissent se seront reconnus mutuellement, alors le jugement entrera en vigueur et les événements prédits arriveront. L’aspect de ceux qui ont fait le mal apparaîtra pire qu’il n’était. La splendeur des justes sera glorieuse : l’aspect de leur visage se changera en une beauté lumineuse, afin qu’ils puissent obtenir et recevoir le monde qui ne meurt pas et qui leur est promis. Les uns et les autres seront transformés, les uns en une splendeur angélique, les autres en apparitions terribles… » .
Les juifs au tournant de notre ère, et donc aussi les premiers chrétiens, sont imprégnés de cette ambiance littéraire : ces premiers chrétiens, dont Paul, ont bien du mal à s’en défaire. Ils nous en transmettent des bribes qui continuent aujourd’hui de flotter dans notre imaginaire, d’autant que les artistes se sont volontiers emparés de ces images fantastiques où les étoiles tombent et les trompettes retentissent au milieu d’une nuée d’anges…

Chez les juifs du temps de Jésus, la foi dans la résurrection est loin d’être uniforme et unanime :

  • Les sadducéens notamment, plus traditionnels et fidèles à la tradition biblique, ne croyaient en aucune forme de vie après la mort.
  • Les esséniens et les pharisiens, quant à eux, étaient davantage imprégnés de philosophie grecque et iranienne, avaient une bonne connaissance des nombreux textes de la littérature apocalyptique, qui circulaient avec plus ou moins d’autorité. Ils adhéraient globalement à la perspective d’un temps linéaire qui conduit à un horizon lointain de « fin des temps » : alors les justes, aux derniers jours, recevront justice.

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Colette Deremble

Colette Deremble est agrégée de lettres classiques, licenciée en théologie, docteur en art et archéologie (EHESS, 1989). Chargée de recherches au CNRS (en 1988). Professeur émérite à Paris X (en 1994). Autrice de nombreux livres dont « Jésus selon Matthieu. Héritages et rupture » (avec Jean-Paul Deremble), éditions Lethielleux, 2017.

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