Je connaissais le cadeau de Noël, le cadeau d’anniversaire, celui de mariage ou de naissance. Il y a plus chic : par de petits entrefilets dans la Presse, on apprend que le pape a fait un cadeau au roi d’Angleterre Charles III, à l’occasion de son couronnement, le 6 mai prochain. C’est compliqué de faire un cadeau à quelqu’un qui a déjà tout et encore plus. Mais alors là, on donne dans l’original : François a offert deux éclats de bois, l’un mesurant un centimètre et l’autre cinq millimètres, provenant de la « Vraie Croix », sur laquelle Jésus aurait été crucifié – dixit La Croix (le journal), reprenant The Telegraph. Bon, on est d’accord, toute la subtilité réside dans l’emploi du conditionnel. Mais quand même…

Alors d’abord, il parait que c’est un geste fait dans un esprit œcuménique, ce qui déjà me pose question car il me semble que les Protestants, dont font partie les Anglicans, ne sont pas spécialement amateurs de reliques, comme ils ne sont pas non plus portés sur le culte des saints ou la piété mariale ; il se trouve même que cela fait partie des déviances qu’ils reprochent à l’Église catholique, accusée à juste titre d’avoir un peu trop monnayé ces supports de spiritualité pour remplir ses caisses. C’est tout à l’honneur du Protestantisme que d’avoir remis la Parole biblique au centre de la foi, et d’avoir fait un sérieux ménage sur le reste.

Ensuite, la communauté scientifique, à commencer par les historiens, a quand même eu l’occasion de développer un autre discours sur les reliques que celui des clercs du Moyen-Age, aucun de ces objets de vénération ne faisant d’ailleurs partie des fondamentaux de la foi auxquels on demande au chrétien d’adhérer à l’occasion de son baptême, et c’est heureux. Par ailleurs, on a parfois du mal à distinguer le fétichisme ou l’attachement superstitieux à des objets sacrés, de la vénération spirituelle de Dieu lui-même à travers ce type de support, comme les orthodoxes le font par le culte des icônes par exemple. En tout cas, la « véracité » de ces innombrables reliques conservées dans les églises catholiques n’a pas forcément à voir avec celle des scientifiques : c’est plutôt l’attachement que des générations de chrétiens ont eu pour elles, l’espoir qu’elles ont pu susciter en eux, qui leur donnent leur véritable valeur – surtout historique et sentimentale, donc.

Bref, je ne pense pas que le Pape se soit moqué de Charles, et qu’il aurait fait ce cadeau s’il n’avait pas pensé lui-même que cela avait une grande valeur. Mais du coup, je suis un peu interloquée : s’il croit que ce sont des morceaux de la Vraie Croix, ou des objets qui ont la même valeur que la Vraie Croix du fait même de la dévotion qui les entoure depuis des siècles, comment se fait-il qu’il se permette de les offrir à un roi en cadeau, plutôt que des mettre à disposition de la dévotion des fidèles du monde à Saint-Pierre de Rome ? Ils étaient d’ailleurs jusqu’à présent dans le reliquaire du musée du Vatican, et personnellement je trouve que leur place est effectivement plutôt au musée qu’à l’église. Mais en tout cas, à la disposition de tous. Ces petits cadeaux entre (riches) souverains d’un symbole concernant l’ensemble des chrétiens me laissent un peu dépitée.

Quant à Charles, il ne s’est pas dit comme moi, si on m’avait fait un cadeau pareil : « Mais que diable vais-je pouvoir en faire ? » Ces deux éclats de bois ont été incrustés dans une croix en argent fabriquée au Pays de Galles, qu’elle doit plus ou moins symboliser et qui sera portée en tête de la procession royale du couronnement. Solution très élégante pour sortir par le haut d’un cadeau embarrassant. D’un autre côté, ce pauvre Charles, on dirait qu’il ne connait que ça, les situations embarrassantes, à commencer par celle qui consiste à se faire couronner, que dis-je, à se faire oindre, bénir et consacrer roi, par l’Église d’Angleterre au nom de Dieu, au XXIe siècle dans une démocratie occidentale, mais cela, c’est encore une autre affaire.

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Blandine Ayoub

Née au moment du Concile Vatican II, elle est impliquée depuis près de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, tout en cultivant un tropisme bénédictin, grâce à son père moine de la Pierre-Qui-Vire. Par son mariage avec un Alepin, elle a également adopté la Syrie comme deuxième patrie. Elle est responsable d’un centre de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

  1. florence Carillon
    florence Carillon says:

    Et qui a demandé à Charles III ce qu’il pensait de ce cadeau ?
    Un cadeau est une parole donnée à celui qui le reçoit…
    On pense faire plaisir à celui à qui l’on fait un cadeau mais ici, qu’en est-il ?
    Qui le sait ?
    Et quelle était l’idée, l’intention du pape par ce cadeau ?

    Alors, pour moi il n’y a rien à dire sur ce cadeau, on ne sait rien si ce n’est des hypothèses sans fondement.

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