Ils tombent régulièrement et même si les résultats ne sont pas toujours identiques, la tendance, elle, est la même et indique une inexorable érosion de l’identité catholique des Français. Alors que les résultats d’Odoxa à l’automne 2022 révélaient que la moitié de nos compatriotes se disaient chrétiens, l’étude de l’Insee parue en mars 2023, rapporte ce pourcentage au tiers de la population mais pour les seuls catholiques âgés de 18-59 ans. Afin de mesurer la chute, rappelons qu’en 1972, quatre Français sur cinq se déclaraient catholiques, 70 % dix ans après, 53 % en 1998. Simultanément le taux global de pratiquants, cette fois, passait de 20 % au début des années 1970 à 4,5 % en 2008 pour atteindre entre 1,5 et 2 % en 2022. Soit la proportion la plus faible d’Europe occidentale. De quoi envisager pour certains la possible fin du catholicisme dans notre pays.
Hormis la variable générationnelle, puisque les plus de soixante ans sont une bonne moitié à se revendiquer du catholicisme, les distinctions habituelles semblent s’estomper tout au long de ces sondages. Désormais, foin des différences géographiques bien mises en valeur par le chanoine Boulard dans les années 1950. La fidélité des régions de l’ouest ou des régions de la dorsale courant du Lyonnais au Pays basque, a disparu. Pareillement, le traditionnel dimorphisme sexuel n’est plus qu’un lointain souvenir. Comme si l’Église avait aussi « perdu les femmes » après avoir abandonné la classe ouvrière au XIXe siècle. Affirmation qui mérite pourtant d’être nuancée puisqu’autour des années 1880, les pertes restaient mesurées dans les bassins miniers du sud-ouest, dans certaines régions industrielles du Nord ou dans l’Alsace annexée. En revanche, au même moment, une bonne partie de la bourgeoisie ou le monde des professions libérales et intellectuelles étaient anticléricaux et déjà détachés.
Il ne s’agit pas dans ce billet de proposer les causes complexes et multiples de cette situation ni d’évoquer sa chronologie erratique mais de bien distinguer la référence à l’identité catholique de la pratique cultuelle au regard de l’histoire. Au cours des périodes anciennes, disons de la fin du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, on était catholique comme on était périgourdin, pour reprendre la formule de Montaigne. Et, contrairement à ce que feignent de croire les intégristes et les nostalgiques de feue la Chrétienté, la pratique dominicale relevait d’abord d’une obligation institutionnelle au même titre que celle de « faire ses Pâques » et se trouvait confortée par la pression sociale, spécialement dans la société villageoise. Il n’empêche. En dépit de ces prescriptions, la pratique dominicale n’était en rien unanime.
Sans pouvoir se référer à des enquêtes sociologiques comme aujourd’hui, retenons quelques indices qui permettent de le montrer. C’est seulement au début du XVIIe siècle que les évêques commencèrent à se pencher sur la question de l’assiduité cultuelle. Ils furent nombreux, dans les statuts synodaux, à demander aux curés « qu’en l’absence de cause légitime, on ne laisse passer plus de trois dimanches consécutifs sans assister à la messe ». Preuve d’un possible et fréquent absentéisme cultuel encouragé matériellement par la capacité des églises souvent très insuffisante pour accueillir les paroissiens à l’une des deux messes prévues le dimanche. Et ce, plus encore dans les villes que dans les campagnes. Un seul exemple parmi tant d’autres. À l’occasion du renouvellement du bail des chaises de l’église Saint-Merry, à Paris, en 1746, on apprend que sa nef proposait sept cents places assises. Même en y adjoignant autour de deux cents places debout, on est loin des onze à douze mille individus vivant sur la paroisse, tenus pour la plupart (enfants et malades exclus) d’assister à la messe. Certes, des édifices furent agrandis et les chapelles des ordres religieux purent très partiellement compenser cette difficulté au moins jusque dans les années 1750. Mais les quelques données chiffrées que l’on possède alors montrent déjà un recul de la pratique. Partout, les vêpres sont en déshérence ou carrément abandonnées. Et dans certains diocèses du Bassin parisien (Sens, Châlons, Troyes), la déprise est déjà nette. Vers 1770 à Auxerre, Briare ou Giens, c’est déjà le quart des habitants qui ne fréquentent pas l’église.
Tout ceci non pour nous rassurer à bon compte sur la situation présente mais pour montrer que ses racines sont historiquement profondes et qu’en dépit des soubresauts en trompe-l’œil, l’adhésion au christianisme mêle toujours le tourment à l’espérance et toujours une réponse personnelle à un appel, plus ou moins influencée selon les moments par un environnement culturel aléatoire.
Dans mon petit livre récemment publié “Dieu a-t-il un plan” (voir site de la FNAC) j’apporte un éclairage sur la question soulevée par M. Cabantous. J’y propose une évolution que je pense indispensable (en tout cas inévitable) à la foi catholique pour y faire entrer la rationalité qu’exigent nos contemporains qui néanmoins continuent d’avoir besoin d’une spiritualité leur permettant de transcender leur quotidien.
Merci pour la référence.