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Hommage à Robert Picard

Notre ami est décédé le 28 juin 2023, à l’âge de 96 ans, à la maison Jeanne Garnier. Nous avons voulu l’évoquer par des morceaux choisis de ses écrits, des textes qu’il aimait, et quelques témoignages.

Florilège de textes de Jacques Picard

Suite au synode sur la famille (septembre 2016)

Morale sexuelle : la mission de l’Église n’est pas de sanctionner (Dieu seul sonde les reins et les cœurs) et d’exclure, mais de montrer des chemins, des chemins d’amour et de bonheur. Il ne s’agit pas de bénir les initiatives les plus hasardeuses ; il ne s’agit pas de faire l’éloge de l’instabilité des couples ou du vagabondage sexuel. La maitrise de ses pulsions, l’engagement à vie, la fidélité, sont des valeurs structurantes. Il s’agit plutôt de déplacer le critère de la moralité de la relation sexuelle, qui repose actuellement sur une situation objective : un homme et une femme unis dans le sacrement de mariage et restant ouverts à la transmission de la vie, (autrement dit, refusant la contraception).

Ce critère est respectable, mais insuffisant. Bien plus décisif est le climat dans lequel se déroule la relation. Pour reprendre une formule de Jean Lacroix, la sexualité n’est mauvaise que séparée ; elle est toujours bonne lorsqu’elle baigne dans la tendresse et l’amour. Il est relativement facile pour certains d’être en règle avec une loi objective ; il est impossible d’être en règle avec la loi de l’amour, car les exigences de l’amour sont infinies. On n’aime jamais assez ou, pour le dire autrement, on peut toujours aimer plus. Les appels évangéliques qui sont des appels à aimer, ne sont pas faits pour exiger de nous l’atteinte d’un objectif ; ils sont faits pour nous mettre en chemin sur la voie des exigences infinies de l’amour.

Suite à un grand entretien du Président Macron en août 2017 (septembre 2017)

Ma conclusion, je l’emprunte à la postface écrite en 2001 du livre de Bernard Perret et Guy Roustang, L’économie contre la société : « La résistance à l’hégémonie du marché, en effet, sera éthique et culturelle ou ne sera pas. Lui donner une traduction politique supposerait d’abord, … de ne jamais débattre des questions économiques sans réfléchir à leur impact sur des processus déterminants pour l’avenir de nos sociétés. Citons pour mémoire : l’éducation et la transmission des valeurs, les processus de socialisation, la sauvegarde de notre environnement naturel, une organisation des temps et espaces sociaux plus favorables au développement humain. »
Dans son grand entretien, Emmanuel Macron nous dit qu’il continue à lire tous les jours (même de la philosophie). Compte-tenu du poids de sa charge, il mérite à ce titre de très vives félicitations. Je lui conseillerais vivement de lire L’économie contre la société. Ce livre écrit en 1993, avec une postface pour la réédition de 2001, n’a rien perdu de son actualité.

Mort et résurrection dans les Évangiles ; la mort, et après ? (juin 2019)

Nous ne savons pas et nous ne pouvons pas savoir ce qu’il adviendra de nous après notre mort. L’hypothèse d’un retour au néant ne peut pas être écartée, mais ce ne peut pas être une certitude. Si vie éternelle il y a, nous ne pouvons pas en imaginer les formes ; tout ce que nous pouvons imaginer est inadéquat. En effet, nous n’imaginons qu’à partir d’une expérience et nous n’avons aucune expérience de ce que peut être l’absence du temps et de l’espace. Nos représentations imaginaires de l’éternité ne sont que des prolongations de notre vie dans l’espace et dans le temps.
Je garde l’espérance (et non la certitude) d’un bonheur éternel, absolu, dans des formes que je ne peux pas imaginer. Quant à l’enfer, malgré les menaces de la géhenne, je fais mienne cette exclamation souvent entendue d’un ami dominicain : « Je serais l’athée d’un Dieu qui aurait inventé un enfer éternel. »

Confinement et résurrection (avril 2020)

De même que nous vivons dans l’espérance de la Résurrection, nous vivons le confinement avec l’espérance d’un retour à la vie qui pourrait être comme une petite résurrection.
Mais il dépend de nous qu’il en soit ainsi.  Ce ne sera pas une résurrection si nous retombons dans les travers passés. Ce ne sera une résurrection que si rien (ou tout au moins beaucoup de choses) n’est plus comme avant.
C’est ensemble, et non pas chacun dans notre coin, essayant de tirer notre épingle du jeu, c’est ensemble que nous sortirons de ce mini enfer.
La solidarité, la bienveillance, le soin de l’autre, devront l’emporter sur la concurrence, la performance, l’oubli des limites. L’argent devra retrouver sa place de serviteur et non plus de maitre.
A la sortie du confinement, nous serons collectivement beaucoup moins riches ; de cet appauvrissement ferons-nous une chance ?

Préalables pour refaire Saint-Merry (avril 2021)

Nous sommes désormais une association de baptisés (…). Nous n’avons plus d’autre mission que celle que nous tenons de notre baptême. Nous sommes « Prêtres, Prophètes et Rois ». Ce qui nous laisse une grande liberté de parole.
Comment pouvons-nous être serviteurs de cette Église qui nous rejette ? Pas tant de l’institution que de l’Église messagère de l’Évangile. (C’est quelques fois la même !)

À propos du cléricalisme (février 2023)

Le cléricalisme, c’est avant tout un état d’esprit.
Un état d’esprit des laïcs qui s’en remettent paresseusement aux clercs de leur vie spirituelle.
Que des laïcs plus nombreux – plutôt que de partir sur la pointe des pieds – prennent conscience du sacerdoce royal qui leur a été conféré par le baptême et le vivent aussi intensément qu’il leur sera possible en se mettant au service de la Cité et de l’Église !

Célébration d’À Dieu le 1er juillet 2023 à la maison Jeanne Garnier

Un texte choisi par Robert pour ses funérailles :

Pour une vie achevée ou inachevée

Notre Dieu, nous te rendons grâce pour cette vie qui a cessé d’être vivante à nos côtés et que nous accompagnons maintenant au bord de cette terre où le corps revient à la poussière, au bord de notre mémoire, où se maintient la saveur unique de ceux qui ont été, au bord de notre foi, qui résonne de promesses et d’achèvements qui dépassent notre cœur et notre intelligence. Nous sommes venus pour accompagner cette existence humaine, qui ne nous tient pas désormais compagnie, mais qui nous réunit maintenant dans la gratitude, dans le deuil et dans l’écoute.

C’est en gratitude d’abord que nos cœurs te parlent ; nous te remercions pour ce qui s’est passé, pour nous et pour le monde, dans cette existence achevée et inachevée. Elle est achevée, et nous tenons à exprimer, dans le silence où chacun se parle et te parle, combien nous avons reçu et peut-être aussi insuffisamment exprimé le prix qu’avait cette vie pour chacun d’entre nous. Elle est inachevée, non seulement parce que la mort coupe toujours à l’inattendu, mais aussi parce que cette vie, comme chacune de nos vies, a été insuffisante, loyale et pardonnée.

C’est en deuil que nous te parlons maintenant. Nous sommes dans le manque radical qu’est pour nous la mort. Nous ne pouvons ni ne voulons en diminuer l’étreinte. Comme les disciples de ton Fils, au soir où Jésus est mort, nous n’avons rien d’autre à faire qu’à nous taire et à pleurer. Nous sommes, quel que soit notre âge, notre habitude ou notre premier désarroi, des amputés, qui ont perdu un membre et en ressentent la longue plaie.

C’est aussi, encore, toujours, dans l’écoute que nous voulons maintenant nous remettre. Nous ne savons pas bien quel est le sens de l’au-delà et ta Bible ne nous renseigne guère sur la destinée des morts. Mais tu l’as dit, avec une inlassable répétition : « Un jour, vous verrez celui en qui vous avez cru. Un jour, le dernier jour, mon Royaume viendra pour le relèvement de tous les morts. » Que ton Fils Jésus-Christ soit notre accompagnement dans les trois dimensions de nos vies : la reconnaissance de la mémoire, la brisure du deuil et l’attente de la promesse. Amen.

Prier, c’est possible, Richard Guimond, Novalis, 2005, pp. 78-79 ;
Extrait de Cent prières possibles, André Dumas

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Angelika Kauffmann, Le Christ et la Samaritaine au puits, 1796, Pinacothèque, Munich

L’Évangile de la Samaritaine était le préféré de Robert : « Si je devais ne conserver qu’une seule page du Nouveau Testament, c’est bien celle que (…) je choisirais. (Mais soyez sans crainte, je conserve aussi tout le reste y compris les paroles dures à entendre et celles que j’ai du mal à comprendre). » Il en a fait un long commentaire (mars 2017), dont voici la conclusion :
« Dans nos rencontres, puissions-nous nous inspirer de l’attitude de Jésus : bienveillance et fermeté dans nos convictions ; aborder l’autre sans masquer nos fragilités. »

CREDO DE ROBERT (novembre 2015)

Je crois au-delà de ce que je sais (en réalité, je ne sais pas grand-chose)
Je crois en une force mystérieuse source de toute vie et de l’Amour ; on peut l’appeler Dieu.
Je crois en Lui, malgré le mal, la haine, la bêtise et la souffrance.
C’est le Dieu différent ; il ne ressemble pas à celui que les hommes avaient imaginé
comme un tyran qui jouait aux dés avec les hommes.

Il nous a été révélé par son Fils, Jésus de Nazareth,
qui est venu nous sauver de la mort et du désespoir.
Il est Dieu fait homme ou un homme devenu Dieu ?

Je crois qu’au plus profond tout homme, il y a une petite étincelle divine
qui nous montre la voie du bonheur authentique et de la liberté.
On peut l’appeler Esprit Saint.
Nous avons du mal à l’entendre et souvent nous l’étouffons,
en nous laissant entrainer par ce que nous appelons le péché,
qui est refus de l’Amour, refus du frère, refus de l’espérance.

Je crois en l’Église indivise qui est la Communauté des disciples de Jésus.
Elle transcende les églises instituées qui sont de vieux tuyaux rouillés.
Ceux-ci ont eu toutefois le mérite de nous transmettre (imparfaitement) la foi ;
ce n’est pas une raison pour faire l’éloge de la rouille qui rend leur message inaudible.

Je crois l’Amour plus fort que la mort ;
je crois, en dépit de toutes les apparences en une vie après la mort.
Une vie hors de l’espace et du temps, qu’il nous est donc impossible d’imaginer.
Je crois simplement que nous y trouverons un bonheur sans mélange

Photo Pawel Czerwinski Sur Unsplash
Photo Pawel Czerwinski sur Unsplash

Témoignages

La quinzaine de membres de notre atelier Familles souhaite dire combien la participation de Robert y a été enrichissante, stimulante. Il était curieux de toutes les questions sociétales et d’Église. Robert a été fidèle à notre atelier, non seulement comme membre, mais aussi comme participant très actif de notre petit groupe des quatre co-animateurs en charge de la préparation des réunions. Il nous accueillait chez lui autour d’un café – croissant. Il proposait aussi son domicile pour les réunions de notre atelier, proposition que nous avons acceptée d’autant que Robert avait du mal à marcher.
Je souhaite laisser la parole à Robert, avec ce qu’il avait écrit en septembre 2016, intitulé « bilan du synode » :

André L.

Le pape François nous dit : « Ni le rigorisme, ni le laxisme ne sont vérité. » Devons-nous en conclure qu’il faut trouver un moyen terme tiède à mi-chemin entre rigorisme et laxisme ? Il me semble qu’il s’agit plutôt de marier deux absolus d’apparence contradictoires : l’infinie radicalité de l’appel évangélique à la perfection, et l’infinie radicalité de la miséricorde. Il ne me paraît pas superflu de préciser que l’appel évangélique à la perfection est autre chose que le respect des lois de l’Église, encore que celles-ci puissent constituer des repères utiles. Il n’est pas impossible d’être en règle avec les lois de l’Église ; (…) Il est humainement impossible d’être en règle avec l’appel évangélique qui n’est autre qu’un appel à l’amour. Or on n’aime jamais assez ; on peut toujours aimer plus.

Robert P.

Merci Robert.
Merci pour cette belle amitié à Paris et à Bayonne, avec toi et Christiane.
Merci pour le groupe Familles dont l’animation se vivait chez toi à quatre, avec café et croissants : même si on ne savait pas d’où on partait, on arrivait toujours quelque part !
Merci pour ton esprit toujours en éveil, tes questionnements stimulants.
Ce que tu nous as laissé comme mission : conserver ce que tu as écrit, resté dans ton ordinateur, sur la religion, sur ce quinquennat, sur Saint-Merry et l’atelier famille ; faire connaître Jean-Pierre Lintanf, dominicain, rencontré quand vous étiez jeunes mariés, et qui fut ton inspirateur – pourquoi pas une biographie, avec une évocation du Val Martel, expérience forte !
Et merci pour ton accueil à Jeanne Garnier, ta belle fin de vie dans la sérénité…

Anne et Bruno R.-B.

Oui, toute ma reconnaissance pour toute la vie partagée, donnée par Robert.
Pour le calme sérieux avec lequel il posait les problèmes et osait les solutions les plus audacieuses, en recherche jusqu’au bout ; nous nous interrogions sur les moyens à mettre en œuvre pour davantage de justice partagée ; abordant la question de la foi, dans le monde d’aujourd’hui, et des « retards » de l’Église, avec une discrétion n’ayant d’égale que sa détermination inventive. 

Guy A.

Intention de prière à la célébration eucharistique du 2 juillet à Notre-Dame d’Espérance

Notre ami Robert Picard vient de nous quitter mardi dernier à la maison Jeanne Garnier. C’est une fervente action de grâces que nous t’adressons Seigneur. Merci d’avoir mis Robert sur nos chemins. Merci pour tout ce que nous avons pu recevoir de lui.
Pour moi, Robert, c’était l’ami, le voisin : nos rencontres au marché devant les fleurs, nos voyages en bus vers Saint-Merry, nos partages avec sa compagne Christiane.
Pour nous tous, Robert, c’était le “Sage”, capable d’analyser avec clarté et discernement les situations politiques, sociales, économiques mais aussi familiales et religieuses qui traversent notre époque et sa brûlante actualité.
Robert, c’était aussi l’homme d’engagements : Solidarités Nouvelles face au Chômage, le Pacte Civique, pour ne citer que les plus récents.
Mais pour nous, Saint-Merriens, Robert, c’était l’homme de spiritualité et de foi, qui a su éclairer nos doutes et nos chemins, nos quêtes de vérité. Je relis avec ferveur et émotion les commentaires d’Évangile qu’il nous a laissés : la Samaritaine, le Fils prodigue et tant d’autres…
Merci aussi pour cette dernière visite que j’ai pu lui rendre à la maison Jeanne Garnier : une belle et longue vie, un vieux monsieur, totalement lucide, serein, dans la confiance face à l’imminence de sa mort. Un grand monsieur… Merci Seigneur de nous avoir permis de le connaître et de l’aimer.

Odile G.

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