Communion et union ne signifient pas la même chose et ne viennent pas du même mot, c’est pourquoi il y a deux m dans communion. Prenons donc d’abord le temps de comprendre le sens du mot au moment où on les a employés dans une langue vivante, et quand on a écrit nos textes grecs et latins. Car si nous ne savons ni d’où nous partons, ni là où nous allons, nous aurons bien du mal à arriver à bon port. Donc embarquons pour un petit[1] voyage dans le temps et l’espace, et commençons par redire que les termes de communion, de commun, et même de communiquer n’ont pas la même racine que le terme union.

Etymologies

En effet, union appartient aux dérivés de unus en latin, qui signifie le chiffre 1, l’adjectif un, un seul. Quand il y a union, il y a quelque part peut-être l’idée de fusion : le mariage ou la réunion de deux groupes financiers : les deux deviennent un au moins sur certains points. Mais la notion de un est totalement absente du terme communion, contrairement à ce que nous fait croire notre français, et les dérives de sens qui s’ensuivent. Cette information déplace l’idée que nous nous faisons du mot, et les réactions des mes interlocuteurs à cette information difficile à digérer m’ont montré la nécessité de l’expliquer assez longuement.

Le mot communion est formé à partir de munus, un nom commun latin qui a donné munir (se munir de nourriture pour le voyage ; avoir des munitions pour combattre ; recevoir avec munificence). Comme son  génitif est muneris, munus  donne aussi la rémunération  qu’on reçoit en échange d’un travail. Ce mot latin signifie la charge, le devoir, l’obligation, le service mais aussi la ressource, le cadeau que l’on fait, (attention : pas celui qu’on reçoit !), le don offert. Il est même cousin du mot moenia : les murailles, la première chose qu’un groupe avait le devoir de construire pour se protéger, un travail qui ne peut se faire et être efficace qu’ensemble, ce qui impliquait une grosse organisation pour se répartir le travail.

Ce mot munus est précédé du préfixe com-, d’où les deux m du mot communion. C’est donc le fait de mettre ensemble ses dons ou de collaborer à exercer ensemble des charges. Et qui gère cette communauté qui met ensemble ses ressources, ses compétences de façon solidaire ? La municipalité (là où tout le monde prend part aux charges) avec parfois en sens inverse la municipalisation de certains biens (une sorte de nationalisation à petite échelle). L’adjectif communis signifie qui partage les charges, d’où mis en commun.

Voici quelques exemples où il est bien clair que cela n’a aucun rapport avec le chiffre 1, un. Dans une propriété, il y a la maison et les communs, – l’endroit où on dépose les affaires utiles à tous. En droit, dans la communauté réduite aux acquêts, les biens appartenant aux deux époux ne concernent que ceux acquis après le mariage. Les moines vivent en communauté – ils partagent la même règle, lui apportent ce qu’ils peuvent, et en reçoivent en retour. En maths, on parle du plus petit commun multiple (PPCM). En politique, la commune est l’endroit où un groupe de personnes gèrent en mettant en commun et en redistribuant, et les communistes ont l’intention de mettre tout en commun. Le verbe communiquer signifie partager : je communique une maladie, une nouvelle ; il y a une réelle communication : les informations passent. Le verbe latin communio signifie donc je partage la charge, le devoir, le cadeau que l’on me fait, ou nous nous les partageons les uns aux autres.

Le nom commun communio est donc d’abord le fait d’apporter quelque chose d’utile pour le mettre en commun, puis de se le partager : se le partager implique que chacun a également reçu de l’autre en pleine égalité fraternelle, au sein de différences complémentaires, avec confluence et réciprocité.

Partage

Ces différents « mouvements », spécifiques à chacun mais à destination communautaire, étant fondamentaux, notre messe actuelle en comporte des traces (accueil, offertoire). Certes, cela peut aboutir peut-être à créer ou manifester une certaine unité, mais c’est d’abord le fait de partager. Pour partager dans une assemblée, il faut d’abord apporter et mettre ensemble. Au temps de Jésus déjà[2], puis dans un repas fait à sa mémoire mais aussi au-delà (cf. Ac.2, 44-45, et Ac.4, 32-37). La κοινωνια, la mise en commun, la communion, la communauté est en même temps : le partage très concret de nourriture, des biens etc. ; le germe de ce qui deviendra un « sacrement » ; ces gestes ; et ceux qui les font. Le point commun pour les chrétiens entre ces différents emplois est essentiellement le fait d’apporter chacun quelque chose à soi, sa manière de vivre, de croire, (même avec des différences), de les rassembler en un ensemble puis de se les partager avec ceux-là même qui les ont apportées, et ensuite de les partager à d’autres.

C’est ce que symbolise le repas fait en mémoire de la vie de Jésus, la synaxe : il y a un déroulé, un mouvement comme du temps de Jésus, des gens l’ont préparé en apportant quelque chose, c’est rassemblé, on est rassemblé autour, on fractionne ce pain et on le distribue entre soi et à tous. On pense au texte bien évocateur de Paul, dans un contexte qui le choque : les chrétiens mangeaient leur pique-nique sans partager avec leurs voisins de table dans le cadre du repas évoquant ces gestes de Jésus ; Paul finit par leur dire : « si c’est ça, vous devriez manger chez vous. » Cela manifeste matériellement, physiquement, gestuellement, symboliquement, que les membres de l’Assemblé, de l’Église sont réunis, même s’ils ne sont pas uniformes. Le mouvement de mise en commun, puis de partage, de fraction, suppose qu’il y a eu une étape de rassemblement, d’assemblée[3], sans fusionner les individualités, mais avec un peu de transformation des individualités enrichies par ces différentes étapes[4], suivie d’un retour au monde des individualités ainsi enrichies.

Cette conception de la communion (apport, assemblement, partage) se retrouve dans beaucoup de notions, jusqu’à la seconde moitié du douzième siècle :

  • Quand l’assemblée se fait, (la synaxe), la communion est d’abord le fait d’apporter sa petite munition pour les autres, de mettre ces diversités ensemble en commun (sans les gommer pour les réduire par fusion à une uniformité pensée comme témoignant d’une unité),puis de fractionner, de partager et distribuer, aux présents et au-delà, ce trésor devenu communautaire qui munit les  chrétiens de la munition spéciale nécessaire à chacun pour leur voyage, le viatique, et le recevoir ensemble, en communauté participante, celle de l’Église.
  • La communion des saints, c’est un partage où les saints divers aident les pauvres humains divers en leur partageant leurs dons divers.
  • La communion qui se passe dans la Trinité ne signifie pas l’union des personnes de la Trinité mais l’espace de leur échange de dons, de charges et d’amour.
  • La communion ecclésiale reprend l’idée du partage des membres et de leur mise en commun pour un corps harmonieux.
  • Malheur à ceux qui sont excommuniés : on croit souvent que cela signifie qu’ils n’ont plus le droit de recevoir l’eucharistie, mais c’est bien plus grave, car le verbe ex-communier signifie qu’ils ne disposent plus des dons de Dieu et n’appartiennent plus à la communauté, laquelle doit les rejeter.
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Fra Angelico, Les précurseurs du Christ avec les saints et les martyrs, 1423-1424, National Gallery, Londres

Diversité

Aujourd’hui à la « messe » on n’a pas le sentiment de mise en commun, on nous demande de nous unir au sacrifice de Jésus avec les Saints, au Pape et à l’Église. Le sens a dérivé : la communion est exigée de tous, la mystique fusionnelle (trinitaire, ecclésiale, conjugale) implique effacement et soumission de certains ; la première communion et la communion solennelle sont des étapes d’intégration ; l’excommunication est la grande menace ; l’œcuménisme cherche-t-il la communion des Églises ou l’effacement des différences ? Jusqu’à l’expression : « qui peut donner la communion ? » Mesurons l’enjeu de la « communion » pour les divorcés remariés ; réfléchissons au sens du terme communion dans les textes récents, par exemple  Pour une Église synodale : communion, participation et mission et à ce que cela sous-entend : le chiffre 1, ou un partage de ce que chacun apporte ?

Et que reste-t-il alors du sens initial ? Il reste ce qui a été suggéré sans ambiguïté par Jean XXIII et les débuts du concile Vatican II. Pour qu’il y ait « communion », il faut donc qu’il y ait eu avant des éléments séparés, distincts donc différents : ce sont des éléments de soi qui appartiennent à chacun. Pour les apporter aux autres, les distribuer, chacun doit se fractionner (ce qui ne nous diminue pas) pour en faire don (munus). Parfois, ce don inespéré est reçu et fêté ; parfois celui qui reçoit ce don n’en voudrait pas – il va être hérissé, énervé, en colère.

Ces éléments apportés par un autre, sont à voir comme des pichenettes à mes suffisances, des éclairages dans mon monde intérieur qui peut me faire croire que je suis le centre de l’univers, des stimuli, de possibles apports aux manques dont j’étais inconscient(e). Ces éléments sont autant de munus, de dons, et d’apports, on les met donc tous ensemble : ce qui s’appelle « mettre en commun ». Tel est le rôle de chacun, grands et petits. Ce qui rappelle le sens des mots solidarité, démocratie, subsidiarité, communauté, communication. Cette communion réussie produit un grand pain nourrissant et équilibré, riche, divers, goûteux, où chacun pourra trouver son compte – si on s’en nourrit, si donc il est partagé pour ma nourriture et pour celle de la multitude qui voudrait de ce « don ». Ainsi on retrouve la différence, la diversité, en pleine égalité fraternelle au sein de différences complémentaires puisque chacun reçoit aussi, finalement, de l’autre et de l’Autre, implicitement, ce qu’il désire ou ce dont il a besoin.

On peut relire ainsi l’introduction à ce texte : communion et union ne signifient pas la même chose. Une union inciterait à divers comportements : « je ne veux voir qu’une seule tête ! », c’est presque un risque sectaire ou fondamentaliste, ou «je suis humble et accepte de disparaître », et c’est une mort inutile. Parmi les conséquences, le risque de distorsions de la Bonne Nouvelle. Affirmer (ce qui est faux) que le mot communion insiste encore plus sur l’union permet d’en tirer beaucoup de conséquences : ce contresens ouvre la porte au risque de beaucoup d’abus.

L’Homme mis debout par Jésus, éveillé par Dieu, apporte sa contribution, quelle qu’elle soit, met en commun, partage et se tourne pour apporter aux autres. La communion n’implique pas d’être unanimes (une seule âme, une seule vie) ni de ne suivre qu’une seule ligne. Le terme, plein de mouvement et de vie, ouvre un espace de liberté et d’amour à chacun et aux communautés. Bonne Nouvelle d’il y a vingt siècles apportée par Jésus, Bonne Nouvelle pour aujourd’hui.

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D.-Bouts, La-Cène, Louvain (détail)

Ce n’est pas que le mot communion soit synonyme de division, mais le sens de communion n’implique pas d’être unanimes (une seule âme, une seule vie), ni de ne suivre qu’une seule ligne. Le terme communion implique d’être différents, pour pouvoir arriver à ce qu’est la (véritable) communion, cette où l’on apporte pour partager avant de repartir partager ce qui nous a été partagé, une communion qui entre dans la composition d’une saine relation humaine à tous les niveaux, et par exemple intra-ecclésiale, synodale, ou communautaire. Quel espace de liberté et d’amour nous donne le vrai sens de ce mot !  

Marguerite Champeaux-Rousselot

Voir aussi l’article très stimulant de Christine Fontaine, Personne n’a le droit de communier ! http://www.dieumaintenant.com/personnenaledroitdecommunier.html


[1] Ceux qui en veulent plus peuvent tenter  un traversée plus palpitante : https://hal.science/hal-04032908/ « Communion » : un mot piégé si on ignore son sens originel. Marguerite Champeaux-Rousselot (2021-12-27)

[2] Jonathan Cornillon, (2020), Tout en commun ? La vie économique de Jésus et des premières générations chrétiennes, Le Cerf. Voir aussi Communauté de biens de l’Église de Jérusalem, Wikipédia.

[3] Le sens de ce mot serait lui aussi à préciser de la même façon.

[4] On peut noter aussi que la Genèse n’évoque pas du tout un mariage homme femme ni une union qui viserait comme idéal de les fusionner en les rendant un, 1.

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Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

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