Ce 12 octobre dernier, les débats de Saint-Merry Hors-les-Murs recevaient Dominique Quinio, membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et ancienne directrice de La Croix, Sarah Carvallo, philosophe de la médecine, professeur des universités, co-présidente de la Plateforme nationale de la recherche sur la fin de vie et Éric Lefort, médecin généraliste, formation (DU) en soins palliatifs, membre du Conseil départemental et régional de l’Ordre des médecins.
La fin de nos vies… des jours qui comptent : un rendez-vous sur une question complexe et profonde. Trois personnes, impliquées à divers titres, qui m’ont apporté leur savoir, certes, mais surtout m’ont ouvert leur cœur, leur vision et leur questionnement.

Des principes éthiques pour guider une évolution de la Loi

Le dernier avis du CCNE datait d’il y a dix ans ; à l’époque, il avait été affirmé un “non” à l’euthanasie en insistant sur l’expression « laisser mourir » plutôt que « faire mourir ». La Loi sur la fin de vie devant être présentée à l’automne 2023 au Parlement, ce même comité de 40 membres s’est auto saisi de la question à partir de juin 2021, afin de se donner du temps pour travailler, écouter une grande diversité de personnes et construire son avis, rendu en septembre 2023. Dès le début, il s’est dégagé un sentiment général qu’il fallait aller au-delà de l’avis précédent, dans le sens d’une aide active à mourir. Le CCNE considère en effet qu’il y a une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir, mais que cette évolution législative ne serait pas éthique si elle n’est pas d’abord précédée par le développement des soins palliatifs, fortement recommandés. Ce qui fait que certains membres, 8 sur 40, ont souhaité ajouter des réserves au présent avis. En effet, l’accès à des services de soins palliatifs est très inégalement réparti en France et insuffisant par rapport aux besoins.
L’avis du CCNE (63 pages au total) est donc constitué :

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  • de recommandations insistantes pour le renforcement des soins palliatifs avec attribution de réels moyens et pour une meilleure reconnaissance de ce domaine
  • de principes éthiques incontournables en cas de dépénalisation de l’aide active à mourir (par exemple : consentement absolu de la personne, décisions collégiales personne/famille/ soignants, …)
  • de réserves émises par huit membres sur un certain nombre de risques soulevés : par une évolution de la Loi sans la mise en œuvre de tous les prérequis nécessaires et par la tension entre la liberté, l’autonomie des personnes et le sens du collectif ou du « bien commun ».

Quels mots ?

Toutes ces questions complexes, souvent douloureuses (les Français ont le sentiment – ou le fantasme –  de mal mourir) naviguent sans cesse entre les deux principes fondamentaux du devoir de solidarité envers les personnes en fin de vie, et le respect de l’autonomie et de la liberté de la personne.
Euthanasie, suicide assisté, aide active à mourir,…phase terminale puis fin de vie…ou plutôt accompagnement des personnes pour qu’elles vivent jusqu’au bout, …Telle a été l’évolution et il a fallu trouver des mots pour s’ajuster, des mots pour énoncer tout cela, sachant qu’aucune Loi ne résoudra jamais cette angoisse de la population face à la mort, au « mal vieillir » ou au « mal mourir ».
Des mots justes pour conserver jusqu’au bout le sens de la vie.

Oser à nouveau parler de la mort…et être « vivant jusqu’à la mort »

Le développement des soins palliatifs en Angleterre (Cicely Saunders) depuis les années 67, et en France, une vingtaine d’années plus tard (avec pas mal de retard), fait prendre conscience que la médecine trouve sa limite dans le projet de guérison de certaines maladies, mais qu’il y a place pour développer une médecine d’accompagnement des personnes afin d’être « vivant jusqu’à la mort », selon l’expression de Paul Ricœur. Conserver jusqu’au bout le sens de la vie !

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En 1993, on a inventé le terme « fin de vie » (toujours en Angleterre) et cela a eu pour effet de regrouper, sous ce terme de « fin de vie », toutes les catégories médicales concernées par l’accompagnement de personnes qu’on ne peut plus guérir. Pourtant, en France, cette discipline des « Soins palliatifs » n’a été entérinée comme une « vraie » spécialité médicale, qu’en 2010, grâce à un savoir à part entière, des formations spécifiques de très bonne qualité et par une organisation hospitalière adaptée. Il est apparu très tôt que, plus on Intègre de façon précoce des notions de soins palliatifs dans l’accompagnement d’un individu, plus sa fin de vie est apaisée et sereine et moins il y a de demande de mourir.

En même temps, on s’est rendu-compte qu’on manquait cruellement de données sur la fin de vie en France, pour les différents territoires. Pour cela, en 2018, sont créés un Centre national des données sur les conditions de la fin de vie  – procurant les données (des hôpitaux, des EHPAD, et des soins à domicile) et favorisant les analyses –  ainsi qu’une Plateforme nationale de la recherche sur la fin de vie ayant pour objectif de fédérer et stimuler la recherche sur la fin de vie en favorisant le dialogue de toutes les disciplines concernées par la « Fin de vie ». Cette plateforme a toujours une coprésidence représentant à la fois le monde médical et celui des sciences humaines et sociales. À travers cela, nous voyons à quel point le dialogue pluridisciplinaire est nécessaire pour avancer sur ces questions délicates, par complémentarité des points de vue (questions médicales liées à la douleur et la sédation, mais aussi questions spirituelles, existentielles ou psychologiques avec l’approche de la mort et la préparation au deuil pour l’entourage, etc.).

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Bien sûr, la recherche n’est pas là pour résoudre les problèmes de sens ou apporter des solutions pour prendre une décision quand il s’agit de la vie d’une personne… elle trouve sa limite devant ces questions concrètes, complexes et existentielles. Mais on sait que plus on parlera, plus on comprendra, plus on rendra visible cette dimension de la fin de vie et plus les gens seront libres dans leurs prises de décisions. Ces débats sur la fin de vie, que nous vivons, offrent aussi le mérite, pour nos sociétés et nos groupes humains, de parler à nouveau de la mort de façon profonde, de sa mort, mais aussi de la mort des autres, et de cette question de la vie qui va jusqu’à la mort. Et c’est sans doute plus que salutaire !

Des rendez-vous d’humanité vécus collégialement avec une forte attente d’évolution de la loi

En majorité, les médecins généralistes attendent avec impatience une évolution de la loi en faveur d’une aide active à mourir – ce qu’une partie d’entre eux pratique déjà. Ceci, en raison de cas, très rares, mais très difficiles, de demande de mort directe devant des maladies très invalidantes progressivement, et ceci souvent chez des sujets jeunes. Ne pas pouvoir accompagner jusqu’à la mort génère aussi des souffrances chez les soignants qui ne comprennent pas toujours pourquoi on fait autant de cas de ces considérations éthiques et philosophiques qui retardent l’évolution de la Loi. En même temps, la loi actuelle est peu/mal connue des médecins généralistes et ils ont souvent du mal à suivre tous les détails de ces lois qui gouvernent pourtant leur exercice quotidien.

On apprécie, la qualité des services de soins palliatifs en France qui sont, non pas des lieux de mort, mais des lieux de vie, des lieux où beaucoup de choses se disent… dans les jours qui comptent avant la mort. On y a compris l’importance de la place des psychologues, de la présence des enfants (des salles de jeux existent), créant de vrais « espaces de vie ». L’accompagnement des patients et des familles sont des moments forts de vie vécus ; il arrive souvent au médecin, plusieurs mois après le décès d’un patient, de recroiser son conjoint ou un de ses enfants et de percevoir chez eux comme une joie intérieure d’avoir pu accompagner et d’avoir été accompagné jusqu’au bout, grâce à cette organisation de soins. Mais ces services de soin palliatifs sont encore inexistants dans dix ou quinze départements en France – ce qui est quand même incroyable. Par ailleurs, l’offre est encore très insuffisante par rapport aux besoins !

Ce qui a beaucoup changé, ce sont les directives anticipées qui deviennent, de plus en plus utilisées. Ces directives anticipées sont évolutives et peuvent être modifiées facilement tout au long de la vie. Souvent,le patient arrive avec un cas de maladie grave déclarée, et elles sont demandées systématiquement pour l’entrée en EHPAD ; c’est un vrai progrès ! C’est très important pour les médecins en leur permettant de prendre très rapidement des décisions importantes nécessaires. L’expérience montre qu’il y a encore trop souvent un manque de directives anticipées et qu’il y a peu de problèmes de directives non suivies !

Les médecins généralistes sont entourés, dans beaucoup de départements, de réseaux de soins qui s’occupent de la fin de vie et prodiguent des conseils, à la fois médicaux, psychologiques, diététiques ; ils aident à prendre collégialement des décisions ou échanger sur une situation. Ces réseaux fonctionnent aussi dans les EHPAD ou à domicile.

Ces réflexions sur la fin de vie sont un sujet quotidien pour les généralistes….qui attendent une évolution de la loi pour avoir un cadre plus soutenant dans lequel accompagner un patient vers la mort dans ces cas très particuliers. Les études montrent que lorsqu’on a un véritable accompagnement humain qui prend en charge toutes les dimensions de la personne, la demande de mort directe est bien moins fréquente. Bien sûr, cet accompagnement demande des soignants et du temps.

Non pas une conclusion mais des questions avec lesquelles cheminer

Malgré toute la délicatesse des interventions au cours de cette soirée-débat, nous restons à la fois avec ces avancées, ces attentes, ces mots forts de vie vécue mais aussi avec beaucoup de questions renvoyées à chacun de nous…et des questions posées à la société. Qui peut décider qu’une personne Alzheimer n’est pas digne de vivre ? Comment aider les aidants ? Patient, famille, aidant, et même médecin, qui accompagne qui ?

Comment donner sens à sa vie jusqu’au bout et dans quelles conditions rendre possible cette autonomie que nous souhaitons tous ? Cette autonomie n’est pas toujours possible pour une personne complètement isolée ; elle est plus facile pour une personne insérée dans un réseau de relations aidantes. Bien sûr, les directives anticipées vont dans le sens de cette autonomie.

Dans nos sociétés, où l’on a fait migrer le cœur de la vie vers le cerveau, la conscience, la performance, et où l’on est plus attentif à la conscience et aux capacités intellectuelles qu’au fait d’être en vie, comment rééquilibrer cela, avoir une autre vision de la personne et admettre que la vie est quelque chose de plus large que ce qu’on en perçoit. Qu’est-ce qui fait la valeur d’une personne ?

Bernadette C.

CMV Flyer Vuillard Media
Collage de Catmarive d’après les tableaux E. Vuillard, Au Lit-1891 et Atelierlog , Musée d’Orsay, Paris

Si vous souhaitez voir ou revoir le débat, c’est ICI.

Si vous souhaitez de l’aide pour rédiger vos directives anticipées, vous pouvez cliquer ICI.

CategoriesDébat Société

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