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Hiver solidaire, le temps des rencontres

Lancé en 2007 par le vicariat à la solidarité du diocèse de Paris alors conduit par Olivier Ribadeau-Dumas, l’opération « Hiver solidaire » propose d’accueillir des personnes sans abri, dans des locaux paroissiaux, toutes les nuits, de décembre à mars. Pour la troisième année, Notre-Dame d’Espérance s’y engage et Saint-Merry Hors-les-Murs y est associé. Nicolas, chargé des relations avec Saint-Merry Hors- les-Murs, raconte. Une interview de Joëlle Chabert

Il suffit d’aller acheter du pain au coin de la rue pour que saute aux yeux ce qu’on appelle pudiquement l’exclusion : des hommes, des femmes, jeunes ou vieux, des enfants aussi, assis par terre sur un carton derrière un gobelet de carton qui attend des euros, recroquevillés dans un sac de couchage, nous interpellant à l’entrée d’un magasin.
On s’y habitue. On ne les voit plus ?
Certains les voient et ne s’y habituent pas.
L’opération “Hiver solidaire“ à Notre-Dame d’espérance s’apprête à mettre à l’abri de telles personnes dans ses locaux, du 17 décembre au 18 mars.

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Marie-Christine, accueillie en 2021-22

Nicolas explique : cet hiver, nous accueillons deux femmes adressées par des associations partenaires. Les femmes sans abri sont moins nombreuses que les hommes mais leur situation est très difficile.
Chaque soir, personnes accueillies et accueillantes partagent le dîner, passent la veillée et la nuit ensemble et se quittent le lendemain après le petit-déjeuner.
L’arrivée des accueillants a lieu à 19 h et celle des accueillies entre 19 h 30 et 20 h au 2 rue du Commandant Lamy. Un espace accessible de la rue par une entrée indépendante, situé derrière le chœur de l’église, a été aménagé avec douche, sanitaires, kitchenette et lave-linge. Pour la nuit, nous installons des lits de camp séparés par des paravents pour préserver un minimum d’intimité. Nous fournissons couettes et draps aux accueillis. Deux bénévoles passent la nuit dans la sacristie, située juste à côté, sur des lits de camp mais dans leurs sacs de couchage. Comme seules des femmes sont accueillies cette année, ce binôme comprend obligatoirement une femme.
Une ou un bénévole prépare à son domicile un repas livré à 19 h 30. Il n’y a plus qu’à le réchauffer. La personne qui a préparé le repas dîne ou non avec les personnes accueillies et les bénévoles de la nuit. L’accueil se termine, après le petit déjeuner, à 8 h le lendemain mais les personnes peuvent laisser leurs bagages dans des caisses prévues à cet effet. Après leur départ, une équipe “ménage“ remet les lieux en l’état.

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Hiver solidaire 2022-23 à Notre-Dame d’Espérance

En seize ans, l’affaire a pris de l’ampleur. Cet hiver, quarante-deux paroisses de Paris vont accueillir plus de deux cents personnes à la rue. Le savoir-faire des équipes bénévoles est reconnu par les pouvoirs publics. Hiver Solidaire fait maintenant partie du dispositif d’accueil des personnes sans abri au sein de la ville de Paris. L’État finance le salaire de trois travailleurs sociaux de l’association chrétienne “Aux captifs, la libération“ (dont deux à plein-temps sur l’année). Leurs compétences professionnelles aident les équipes paroissiales pour le suivi des personnes accueillies et la constitution des dossiers administratifs, notamment en vue de trouver un hébergement.
Nicolas précise : à Notre-Dame d’Espérance, nous avons défini les règles de vie des accueillants et des accueillis.
L’accueil des personnes de la rue est inconditionnel, respectueux de leur origine, de leur histoire personnelle, de leur religion. Accueillies et accueillants apprennent mutuellement à ouvrir et transformer leur regard avec bienveillance, dans le respect de la vie de l’autre, de son intimité et de sa dignité.
Devenir accueillant est ouvert à tous, femmes et hommes attentifs, disponibles, discrets, bienveillants. Leur hospitalité est placée sous le signe du partage et de la rencontre. Un binôme accueillant est formé chaque soir par deux personnes majeures, qui dorment sur place. La participation aux 90 nuits d’accueil se fait selon les possibilités de chacun, au regard des différents postes tenus par les bénévoles : préparation des repas, nuitée, ménage du matin.
Aucun médicament n’est délivré dans le cadre de l’accueil. Les personnes accueillies s’engagent à ne pas venir alcoolisées ou sous l’emprise de stupéfiants. Si cela arrive, l’équipe d’accueil rappelle la règle, aidée éventuellement par le travailleur social référent. Une persistance peut mettre fin à l’expérience mais une telle décision ne se prendrait qu’en équipe.
En dehors des horaires d’accueil, les lieux sont indisponibles.

Hiver Solidaire Diocese De Paris
Hiver Solidaire – Diocèse de Paris
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Marie-Christine et Fanta, Hiver Solidaire 2021-22

Nicolas le regrette, « beaucoup de ces personnes disparaissent de l’accueil avant la fin de l’hiver. Certaines, heureusement, car elles ont obtenu un logement. D’autres, malheureusement, parce qu’elles ont du mal à respecter des consignes après des mois ou des années de rue. Il faut les comprendre : elles sont accueillies chaque jour par des gens différents, qu’elles n’ont pas choisis, avec qui elles mangent, elles dorment, qui veulent les “sauver“, ce dont elles n’ont pas forcément envie. Elles ont besoin qu’on les laisse tranquilles. Peu à peu, j’ai compris qu’à Notre-Dame d’Espérance, ces personnes sont “chez elles“, en sécurité et c’est nous, les bénévoles, qui sommes accueillis par elles.
Dans la diversité des situations, je me souviens de deux femmes. L’une était mère de trois enfants, restés au pays. Elle était venue en France retrouver son mari. Il l’a mise à la porte. Elle ne pouvait même pas parler de ses enfants, c’était trop douloureux. L’autre, étrangère aussi, avait dépensé toute sa fortune pour venir voir sa petite fille qu’elle ne connaissait pas. La maman, sa fille, l’avait rejetée. Elle n’avait plus rien.
Certaines travaillent, souvent comme femmes de ménage. D’autres n’ont pas d’emploi. Toutes vivent au jour le jour ; leur horizon, c’est le quotidien, elles ne peuvent pas se projeter dans l’avenir.
La plupart sont dans de grandes souffrances, ce qui transparaît sur leur visage. Beaucoup ne peuvent que se taire et nous avec. Face à ces drames humains, à ces vies en morceaux, que dire ? Jour après jour, douche après douche, nuit calme et chaude après nuit calme et chaude, il arrive que la confiance s’installe. Je suis souvent en binôme avec une amie antillaise dotée d’une grande capacité d’écoute. Elle m’aide beaucoup. Elle met les gens à l’aise ; avec elle, ils parlent du temps qu’il fait, de cuisine, puis de politique, de religion puis enfin d’eux, de leur vie. C’est émouvant.
Ces gens, que l’on réduit trop souvent à leur situation, m’enrichissent, me rendent sans doute plus humain. Leur force de caractère est remarquable. Dans l’adversité, ils ont une force vitale extraordinaire.
Ce sont de simples rencontres, de belles rencontres. »

Joëlle Chabert

Hiver solidaire en 2023 : 42 paroisses parisiennes y participent – 8 villes en région

À NOTRE-DAME D’ESPÉRANCE

  • Une équipe de coordination de 9 personnes dont 2 chargées des relations avec Saint-Merry Hors-les-Murs : Solange de Raynal et Nicolas Maurin
  • 250 bénévoles dont 71 actifs
  • Pour devenir bénévole : inscriptions sur ce lien ICI
    (https://www.notredameesperance.com/2023/11/06/hiver-solidaire-paris11/ )
Joëlle Chabert

Joëlle Choisnard Chabert, géographe et journaliste retraitée. Autrice d’ouvrages pour adultes et pour enfants édités chez Bayard France et Canada, Salvator, Albin Michel. Thèmes : société, christianisme, vieillissement.

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