Dans sa lettre aux séminaristes français, réunis ce premier week-end de décembre à Paris, le pape François a écrit que « le prêtre est célibataire tout simplement parce que Jésus l’était ». Venant de la part de ce jésuite souvent subtil, on reste un peu étonné par cette affirmation à la fois tranchante et bien peu probante.
Si Jésus resta très probablement célibataire, ce qui le différenciait singulièrement des rabbis de son époque, l’essence même du message qu’il lègue à chaque chrétien se situe-t-il vraiment là ? Fallait-il être célibataire pour inviter aux Béatitudes ?
Cette adéquation formulée par le pape risque de conforter un peu plus encore cette notion d’alter Christus dont se sont emparés les prêtres, pendant des siècles, pour asseoir leur pouvoir à travers les sacrements. Est-ce la meilleure façon de combattre le cléricalisme que François dénonce à juste titre depuis le début de son pontificat ?
Pareille affirmation ne risque-t-elle pas aussi de renforcer la distinction toujours très sensible entre les prêtres, célibataires, et les laïcs, en couple ou…célibataires ? Alors que toutes et tous ne sommes que des disciples du Christ à part égale, en vertu de notre baptême. C’est bien tout chrétien qui tente d’être un autre Christ (Christianus alter Christus). En outre, parmi les apôtres, Pierre, et pas seulement lui, selon les exégètes, n’était-il pas marié ? Au cours des premiers siècles chrétiens, chaque épiscope n’était-il pas invité à « être mari d’une seule femme » (1 Tim, 3-2) ?
De plus, la prescription du célibat ecclésiastique, sans fondement scripturaire, fut aussi liée à une affaire de gros sous, entre héritages et transmission des biens d’Église. La règle s’imposa d’ailleurs avec beaucoup de difficultés, même après les décisions fermes et réitérées des conciles de Latran I (1123) puis de Trente (1545-1563).
Elle reste donc un élément de discipline propre au catholicisme occidental et, en tant que tel, réformable, comme l’a souvent répété le pape lui-même. Cherchez l’erreur.
Souhaité depuis les premiers siècles du christianisme (Nicée, 325) par certains au nom de la « pureté », ce statut repose sans cesse la question de la sexualité, de la continence absolue, cet encratisme [1]L’encratisme désigne un courant radical du christianisme ancien s’inscrivant dans une tendance ascétique extrême qui traversait alors le christianisme et qui joua un rôle important … Continue reading pourtant combattu par Clément d’Alexandrie. Aujourd’hui, prêtre et célibataire mais avec quelle forme affective ?
Cette petite phrase de François, qui confortera la partie la plus identitaire du futur clergé français (mais avait-elle besoin de cela ?), constitue une autre illustration de la durable et regrettable tendance de l’institution-Église à trouver, a posteriori, une justification très vaguement scripturaire à des décisions réglementaires ou dogmatiques prises dans un contexte spécifique.
Pour me convaincre du bien-fondé du célibat obligatoire dans le clergé catholique d’Occident, il faudra me présenter d’autres arguments. Pas à vous ?
Notes
↑1 | L’encratisme désigne un courant radical du christianisme ancien s’inscrivant dans une tendance ascétique extrême qui traversait alors le christianisme et qui joua un rôle important dans son édification |
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Bien d’accord ! Je suis surpris par la parole dite du Pape François. J/A/
En rassemblant séminaristes à Paris, l’ECR a cru encore une fois qu’en faisant masse, nous allions retrouver la confiance perdue dans un avenir radieux ! pensez-donc. J’ai fait un compte très simple : 600 s divisés par 100 diocèses = 6 et 6 par diocèse divisé par 6 années de formation = 1 par année de formation et par diocèse. Quand on pense que certains profs se plaignent (avec raison) d’avoir de 25 à 30 élèves par classe !!
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La faiblesse de l’argument du pape sur le fondement du célibat est effectivement surprenante de la part d’un homme qui nous avait habitué à plus de subtilité. Et si on suit son raisonnement (on n’ose pas dire son analyse) les ministres du culte protestants et orthodoxes, pour qui le célibat n’est pas imposé, sont-ils donc dans l’erreur, ou au minimum leur mission est-elle de second rang ?
Quant à la notion de continence sexuelle à l’exemple du Christ, elle me pose deux questions. N’étant pas historien comme Alain je les poserai de manière un peu basique. Il me semble le Christ a connu lui aussi l’expérience sexuelle. Pour des raisons sociologiques et pour des raisons théologiques. Raisons sociologiques: À l’époque, en Palestine comme dans le reste du Moyen Orient, le mariage était quasiment généralisé, décidé par les familles, et le célibat demeurait une exception particulièrement mal vue. Ne peut-on pas faire l’hypothèse que le Christ a été marié jeune, comme tout le monde, et que pour une raison que nous ne connaissons pas (veuvage ?) il s’est retrouvé seul à 30 ans, et a commencé alors sa vie publique. Raisons théologique ensuite: le concile de Chalcédoine de 451 a définitivement récusé le monophysisme et proclamé la double nature du Christ, à la fois vrai Dieu et vrai homme. Vrai homme car il partage toutes les dimensions de la condition humaine, sans exceptions, à la fois ses joies et ses souffrances. Et la dimension de la sexualité, expérience essentielle de la vie, ne peut pas en être exclue.