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Que sera le Pacte européen sur la migration et l’exil ?

La loi votée en France en décembre 2023 a été la pire votée depuis 40 ans. Qu’en est-il du projet de Pacte européen ? Invité par le Réseau Chrétien Immigrés, Damien Carême, député européen après avoir été maire de Grande-Synthe (près de Dunkerque), nous présente les rapports de force dans la gestation de ce projet inquiétant : des informations à avoir à l’esprit avant les élections européennes.

Quoi qu’il arrive du côté du Conseil constitutionnel, la loi française votée en décembre est en phase avec les cinq textes constituant le projet de Pacte européen sur la migration et l’asile, sur lequel le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord le 20 décembre, préalable au vote par les députés européens prévu en février ou mars. Ce Pacte transgresse la Convention de Genève de 1951, ignore la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et est en l’état tout aussi inapplicable que le texte français. À tel point que les juristes de la Commission s’en inquiètent…

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Damien Carême
Rci
Rencontre organisée par le RCI le 11 janvier 2024

Fonctionnement législatif de l’Union européenne

Ayant fait partie du groupe de négociation d’un des cinq textes depuis sa présentation par la Commission en septembre 2020, Damien Carême rappelle le processus législatif de l’Union.
Les députés européens n’ont pas la capacité d’initiative législative, les projets de textes sont soumis par la Commission au Conseil et au Parlement. Quand le texte arrive au Parlement, un rapporteur doit être « acheté » par les groupes, chaque groupe dispose de « points » en fonction de son poids respectif ; ont alors lieu des sortes d’enchères, évidemment gagnées par les groupes ayant le plus de membres.

Pour mémoire, les groupes actuels présents au Parlement sont :

  • PPE (Parti populaire républicain : pour la France : Les Républicains)
  • Sociaux-démocrates (S&D) (pour la France : PS, Place publique)
  • Renew (pour la France : Renaissance)
  • Verts (pour la France : Verts)
  • Identité et démocratie (pour la France : RN)
  • Gauche au Parlement européen (pour la France : LFI)
  • Conservateurs et Réformistes (autre groupe de droite extrême, y siègent notamment le PiS polonais, le Fidesz de Viktor Orban)

Pour le Pacte, trois groupes se sont partagés les rapporteurs : PPE, Renew et S&D.
Ensuite, chaque groupe désigne un représentant (« shadow rapporteur »).

De la Commission au Conseil

Les cinq textes du Pacte ont été soumis par la Commission en septembre 2020, peu après l’incendie du camp de Moria, en Grèce. Ces textes consistent en une refonte des règles de l’asile et de l’immigration (révision Dublin). Y sont ajoutés un texte sur le règlement des crises (une préoccupation constante depuis l’exil des Syriens) et un sur le filtrage (screening).
Après l’invasion de l’Ukraine en février 2022, a été appliquée pour la première fois une directive de 2001 sur l’accueil temporaire, qui a plutôt bien fonctionné. Cette directive sera-t-elle maintenue ?

Guillaume Perigois 0nrkvdda2fw Unsplash

Le projet de la Commission prévoyait des possibilités de regroupement familial pour désengorger les pays de première arrivée (par ex. : monté pour 600 personnes, le camp de Samos en a compté jusqu’à 6 000).
Passé par le Conseil, le pacte bafoue toutes les valeurs européennes, il répond aux exigences des extrêmes droites à l’œuvre en Europe.

  • Le Conseil a durci les critères de diplôme fixés par la Commission en ne retenant que les diplômes de moins de cinq ans, il a refusé d’étendre le regroupement aux frères et sœurs.
  • Il s’est fermement opposé à instituer une solidarité obligatoire entre les États membres, même lors d’opérations de sauvetage en mer. La « solidarité » entre les États membres ne s’exprime que dans le partage des coûts des murs et des barbelés, dans les accords avec des pays tiers dits sûrs (Turquie, Libye, Tunisie) et dans la fixation d’une indemnisation (20 000 €) par migrant non renvoyé vers un autre État membre par le pays de première entrée…
  • Il introduit de nouvelles notions comme la fiction de « non-entrée » : une personne sans papiers est considérée comme n’étant pas entrée sur le territoire de l’Union, ce qui ouvre la porte à des dérives telles que rétention, détention ou renvoi dans le pays d’origine. Les enfants peuvent être placés en rétention dès 6 ans. Les prises d’empreintes, enregistrements de pupilles sont étendus ; les bases de données européennes sont croisées avec celles d’Interpol ; les pays tiers peuvent accéder aux données européennes.
  • Le Conseil a intégré dans le règlement des crises le concept d’instrumentalisation, à savoir le rejet de migrants qu’un État tiers utilise pour déstabiliser l’Europe (cf. cas de la Biélorussie, de la Russie qui s’y essaie avec les pays baltes) et surtout il n’a pas fermé la porte à la criminalisation des ONG : un État membre lui-même pourra décider qu’une ONG instrumentalise les migrants.

Un élément au premier abord positif : si un pays se déclare en crise (l’Italie et la Grèce le seront en permanence), il ne sera pas possible de « dubliner » vers ce pays.
Mais le cumul des dispositions sur le règlement des crises, le screening et autres mesures aboutira à 12 à 18 mois de privation de liberté pour des personnes n’ayant commis aucun délit. L’Europe essaie d’éloigner au maximum les gens de la possibilité de demander l’asile : les détenteurs d’une nationalité qui n’a pas au moins 20 % de chances d’obtenir l’asile pourront être renvoyés.

Du Conseil vers le vote au Parlement

Face aux textes tels que modifiés par le Conseil, les négociateurs des groupes parlementaires ont perdu sur toute la ligne, estime Damien Carême, malgré un marathon final de trois jours et trois nuits de discussions. Le Pacte a été adopté par le PPE, Renew et S&D. Où sont les valeurs humanistes de ces députés ? Certains, sans doute peu fiers de leur vote, ont refusé de figurer sur la photo finale… Pietro Bartolo (S&D), médecin de Lampedusa, a dû se plier à la discipline de son groupe. La Commission, qui doit faire une étude d’impact du texte, s’est refusée à le faire. Le groupe de travail de Damien Carême a sollicité des chercheurs pour une semblable analyse, tous ont conclu à des résultats dramatiques en cas d’application du Pacte tel quel.

L’adoption officielle se fera par un vote du Parlement en séance plénière, prévu au premier trimestre. On sait d’ores et déjà que les recours devant la CJUE et la CDEH seront nombreux, l’espoir est dans leur jurisprudence.

Le déni européen

L’adoption de ce Pacte illustre la volonté d’une Europe forteresse, dont l’objectif est de rendre moins attractives les arrivées en Europe, sans examiner la responsabilité des États membres dans les causes des migrations.

Des exemples concrets :

  • Au Sénégal, la pêche est concédée à de gros chalutiers européens et chinois, les petits pêcheurs locaux privés de leur ressource sont contraints à partir chercher du travail aux Canaries.
    Les gouvernements européens les considèrent comme des migrants économiques sans incriminer les vrais responsables de ces départs. Damien Carême cite à ce propos les travaux de François Gemenne.
  • Autre cas en Namibie : la quête de l’hydrogène vert fait que la totalité de l’énergie renouvelable du pays est achetée par les pays du Nord alors que 48 % de la population namibienne n’a pas accès à l’énergie. Bien souvent, les causes des migrations sont liées à la satisfaction de nos besoins.
  • Damien Carême pointe enfin la responsabilité de banques européennes dans le financement des énergies fossiles au Soudan, l’accaparement des ressources ayant nourri des conflits ethniques qui ont conduit à la guerre.

Questions/Réponses

Q Les institutions européennes ne sont-elles pas paniquées par l’arrivée de partis populistes aux élections de juin prochain ?
R Comme en France, on adopte la rhétorique de l’extrême droite, la théorie de l’appel d’air. On fait passer dans l’opinion que cette législation pourrait marcher, on donne crédit aux thèses extrêmes. Il est fort probable que lors du vote, l’extrême droite va demander un durcissement des textes, elle ne sera sans doute pas majoritaire au Parlement mais une alliance avec le PPE n’est pas à exclure (voir la situation en France). Sachant que les deux prochains pays à prendre la présidence du Conseil sont la Hongrie (juillet-décembre 2024) puis la Pologne (janvier-juin 2025), il se peut que l’actuelle version soit adoptée par crainte de textes encore plus restrictifs sous ces présidences.

Q Quid des modifications du règlement Dublin ?
R Tous les États membres sont d’accord pour le maintien de l’examen de la demande d’asile par le pays de première entrée. En outre des accords ont été négociés pour traiter les demandes hors de l’Union (accord pour Frontex en Mauritanie et au Sénégal notamment, d’autres concernent l’Égypte, l’Algérie, le Maroc).

Q En France, la loi immigration est contraire à la Constitution, en Europe le Pacte est contraire à la Convention de Genève, n’est-ce pas un danger pour la démocratie ?
R Bien sûr. Ce non-respect n’est pas nouveau pour la France. Elle a déjà été condamnée pour avoir expulsé de Mayotte des enfants avec des adultes qui n’étaient pas leurs parents. D’autres États de fait à Mayotte condamnables se poursuivent, Damien Carême a saisi la présidente de la Commission à ce sujet.

Q De votre expérience, quel est le pays le moins « pire » sur le terrain vis-à-vis des migrants ?
R Le Portugal me semble s’occuper des migrants dans de meilleures conditions que d’autres pays (kits et lieux d’accueil), en tout cas sans volonté gouvernementale d’aller à la chasse aux migrants.

Construction au camp de la Linière à Grande-Synthe, 2017
Construction au camp de la Linière à Grande-Synthe, 2017

Pour finir et répondre à une question sur son vécu de maire de Grande-Synthe, Damien Carême retrace l’histoire du camp qu’il y a installé (construit pour 2 500 personnes) entre 2015 et 2017, date de sa destruction par un incendie. C’est sa plus belle expérience d’élu, la décision n’était pas évidente,
la gestion compliquée, mais le choix politique ne fut pas difficile. Il en détaille les étapes, les relations plus ou moins difficiles avec les autorités locales et nationales, les liens avec la population, etc.

Françoise Josse

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