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Christianisme relationnel

J’ai eu récemment l’occasion d’échanger avec une intervenante dans la formation de séminaristes, dans plusieurs séminaires diocésains de province, qui constatait une forte évolution sur les quinze dernières années : malgré une vraie diversité parmi ces jeunes hommes se préparant à devenir prêtres, – diversité de points de vue, d’éducation, d’origines sociales et familiales, contrairement à une certaine homogénéité parisienne -, une vraie tendance de fond leur devient commune, celle de pratiquer un christianisme dit « identitaire ». Cette génération ne se reconnait pas dans le christianisme dit « d’enfouissement » des années soixante-dix, et pas toujours non plus dans celui « d’ouverture » dont nous nous réclamons à Saint-Merry Hors-les-Murs. Non pas qu’ils revendiquent une « fermeture », mais plutôt une forme d’affirmation dans l’espace public qui passe par des signes extérieurs ostentatoires, – habits cléricaux spécifiques qui mettent à part, résurgences de rituels surannés ponctués d’agenouillements et de mains jointes, pratiques processionnelles dans l’espace public, discours en opposition aux normes sociales dominantes sur la vie de couple ou la procréation… – Comme s’il s’agissait plus d’une confrontation que d’un dialogue avec le monde dans lequel nous vivons.

Cela me chagrine, car tout en me réjouissant que chaque génération, chaque individu, puisse suivre la voie qui lui parait juste, j’ai beau retourner l’Évangile dans tous les sens, je ne m’explique pas ces crispations rétrogrades qui me semblent si incompatibles avec les paroles et les actes de Jésus de Nazareth à l’égard du formalisme déconnecté des Pharisiens, où la forme finit par primer sur le fond, ou la lettre sur l’esprit. Parmi ceux qui ont le mieux exprimé ce que j’en comprends, et comment se détermine ma façon d’être chrétienne aujourd’hui, je voudrais citer le théologien protestant Raphaël Picon, publié en 2014 dans la revue Évangile et liberté et repris en décembre dernier sur le site de Garrigues et sentiers dans un article intitulé Les fondements du christianisme libéral. Il rappelle notamment l’importance de l’usage de la raison pour penser la foi, du refus des carcans dogmatiques surplombants au bénéfice d’une confession de foi, du caractère indispensable de l’esprit critique ; et celle de la culture, et de la prise en compte du monde.

Il insiste également sur une idée que nous avons récemment eu l’occasion de célébrer à Notre-Dame des Anges lors d’une Messe en Plein Monde sur les identités, – justement ! – : la relation précède l’identité. « Nous sommes continuellement instruits, stimulés, transformés par nos relations aux autres. Il me semble que lorsque nous appliquons cette conviction dans le champ de la théologie, eh bien la théologie devient libérale. » Car si nous-mêmes ne sommes pas figés, il faut reconnaitre que « le christianisme lui-même est un mouvement, une dynamique, une réalité mobile et changeante », n’en déplaise à ceux qui voudraient l’embaumer ou le chosifier. Le monde est toujours à travailler par l’Esprit et par nous. Et Raphaël Picon d’affirmer sa foi, dans laquelle je me reconnais parfaitement, en « un christianisme de la personne dans ses relations aux autres et à Dieu, non un christianisme du dogme ou des institutions ; un christianisme qui n’est pas pour Dieu contre le monde, mais un christianisme pour qui le monde est l’histoire de Dieu. Ce christianisme est celui d’une histoire ouverte, encore à écrire, et non le christianisme d’hier, du patrimoine. »

Pensant notamment à Mathieu 25 (ce que vous ferez au plus petit…) et à Jean 13 (aimez-vous les uns les autres), je plaide donc ardemment pour un christianisme relationnel, plutôt qu’identitaire.

http://www.garriguesetsentiers.org/2023/12/les-fondements-du-christianisme-liberal.html

CategoriesClin Dieu
blandine.ayoub
Blandine Ayoub

Née au moment du Concile Vatican II, elle est impliquée depuis près de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, tout en cultivant un tropisme bénédictin, grâce à son père moine de la Pierre-Qui-Vire. Par son mariage avec un Alepin, elle a également adopté la Syrie comme deuxième patrie. Elle est responsable d’un centre de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

  1. Marguerite
    Marguerite says:

    En effet cette question n’est pas nouvelle, et l’Évangile nous montre aujourd’hui comment gérer non seulement la question identitaire mais encore les relations humaines tout simplement. Merci Blandine d’avoir pris le temps de nous partager tout cela de façon si claire .

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