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Le Livre de l’Exode : chronologie et traces -2-

Marguerite Champeaux-Rousselot poursuit son étude en trois volets sur le livre de l’Exode par ce second article, centré sur certaines bizarreries de ce texte liées aux buts recherchés, et entre autres la place exceptionnelle donnée au peuple, y compris vis-à-vis de Dieu.

L’archéologie et l’examen des textes ont montré (premier volet : https://saintmerry-hors-les-murs.com/2024/03/03/le-livre-de-lexode-1-chronologie-et-traces/ ) que ce livre a été écrit entre le VIIIème et le VIème siècle pour raconter, en phase finale, un exode supposé au XIIIème siècle mais qui en fait n’a pas eu lieu[1]. Pourquoi ce livre alors ? C’est ce que cette seconde étape cherchera à montrer.

Des bizarreries dans le livre de l’Exode, qui prennent sens si nous les contextualisons

Lues objectivement et à froid, des cruautés miraculeuses nous révulsent ou nous surprennent : elles vont à l’opposé de la morale et du Dieu de textes bibliques supposés antérieurs. En fait, cela cherche à montrer une Providence toute-puissante. D’autre part, ces épisodes répétés (infidélités d’Israël à ses alliances) sont là pour démontrer symboliquement la préférence inconditionnelle de Yahvé pour le peuple qu’il s’est inexplicablement choisi. Enfin, le récit est perturbé par de longs hors-sujets (instructions pointilleuses concernant le futur) car il vise effectivement autre chose.

En réalité, ce livre joua un rôle organisationnel majeur

Pendant la royauté, les luttes contre les occupants égyptiens et autres (voir premier volet) et l’indépendance progressivement conquise étaient des souvenirs précieux. Puis, défaites et déportations firent réfléchir, abandonner hénothéisme et monolâtrie pour le monothéisme et projeter une refondation. Repenser alors (à) ce passé suscitait un état d’esprit résilient, envisageant une sortie utopique (exodos en grec) de cette Babylone étrangère. Et les espoirs des Hébreux se réalisèrent : passage miraculeux vers une résurrection, source supplémentaire d’élaboration du passé.

Une sorte de projection spatio-temporelle (ailleurs et sept ou huit siècles auparavant) permit d’obtenir une sorte d’épopée symbolique exemplaire pour se reconstruire. Les bizarreries notées s’expliquent donc par leur signification pour l’époque où fut écrit le texte. En situant ces lois (divines), on les affirmait contemporaines de l’origine de ce peuple, plus anciennes que la conquête de la terre où il souhaitait tant résider ou revenir ; on démontrait que ces lois (et ce peuple) devraient survivre à l’exil, à la perte de sa souveraineté et de la royauté.

Le rôle du peuple lui-même

Seule existe cette loi de Moïse : aucun roi, législateur ou sage n’a laissé de loi à son nom. Mais le rôle du peuple y est affirmé fondamental, ce qui très original.
Côté religion, son cheminement entre infidélités et alliances veut prouver qu’il fait un vrai choix. C’est son assemblée entière (ekklèsia en grec) qui adoptera la Loi et nouera alliance, presque à égalité, avec une divinité !
Côté politique, les Livres des Rois montrent que la royauté passée n’avait pas laissé de bons souvenirs (euphémisme) et, quand le livre s’écrit, le pays devenu province perse n’aura plus de roi. En revanche, chacun participe librement, (par opposition aux « corvées »), ce qui s’avère bien utile au moment où tous doivent reconstruire Jérusalem.
Côté social, les lois concernent religieux et profane mais, plus original, mettent Dieu et les prochains quasiment côté à côte. Cet aspect quasiment démocratique, y compris vis-à-vis de Dieu, est rarement étudié : gênerait-il ?

En fin de ce deuxième volet, le pourquoi de ce livre s’est éclairci. On reconnaît dorénavant que la Genèse ne vise pas le réalisme : acceptons qu’il en aille de même pour l’Exode. Son écriture symbolique permit alors au peuple de trouver son identité fondamentale. Le peuple y a une place exceptionnelle, y compris vis-à-vis de Dieu. Toute une théologie en découle : ce sera notre troisième étape.

La prochaine fois : Le livre de l’Exode bâtit un peuple à l’identité religieuse très forte. Mais est-ce bien un « peuple de sacrificateurs » ?
Vos commentaires et remarques sont les bienvenus (voir ci-dessous l’espace “comments“)


[1] Écouter si on a le temps : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/le-livre-de-exode-mythes-et-histoires

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mi.rousselot
Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

  1. Jean VERRIER
    Jean VERRIER says:

    Merci Marguerite. Ces brèves mises au point sont très utiles. Hors les murs nous nous formons les uns les autres. Notre site est un vrai lieu de rencontre et de formation. Jean

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