Clément Gourand réagit à la polémique qui a suivi l’un des moments de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, ce vendredi 26 juillet dernier.
Rendons aux artistes leurs talents, aux athlètes les jeux et à Jésus son message !
Oui, c’est vrai, ce tableau vivant m’a fait immédiatement penser à un festin très connu, celui de Léonard de Vinci où il a voulu mettre en scène le dernier repas de Jésus. Et qui ne penserait à ce célèbre tableau ?
Mais qui pourrait se sentir «outragé» dans cette affaire ? Sûrement pas Jésus.
Si l’Église catholique romaine et si certains catholiques se sentent choqués, alors il y a un gros problème de transmission et de mode d’enseignement de la foi !
Cela pose même question sur la santé de notre foi.
En effet, Léonard était-il présent durant le repas qu’il a évoqué ?
Qui donc était présent comme peintre, photographe, reporter au moment de la Cène ?
Notre foi est-elle donc calquée sur une œuvre artistique, aussi remarquable soit-elle ? Une œuvre d’une époque culturelle précise, qui ferait office de référence officielle du «comment c’était» pour nous faire connaître une réalité historique de situation ? Une œuvre qui témoignerait que Jésus avait ce visage et ces habits ; que la table, la nourriture et les apôtres étaient ainsi disposés à un instant T dans cette salle majestueuse ?
Si toute œuvre artistique peut être par exemple un vecteur pédagogique pour des questionnements salutaires, elle ne peut en rien être une réponse dogmatique, (exception faite dans des réalisations précisément à visée totalitaire). Léonard le savait bien, lui qui a souvent dû esquiver les impératifs dogmatiques.
Lecture au premier degré, littéralisme et «chosification», identification d’une représentation à travers une appréciation faussée par nos préjugés et nos goûts : nous basculerions dans des contresens.
Quant aux œuvres artistiques religieuses, prenons-les uniquement pour ce qu’elles sont.
Sortons de ces croyances qui nous entraînent vers des interprétations pseudo-intellectuelles qui formatent notre esprit et nous précipitent vers des écueils et impasses théologiques.
Révisons nos critères de discernement à la lumière de l’Évangile. Laissons-nous étonner et guider par le sens partagé des textes. C’est là que se trouve le vrai ressourcement de foi.
Quel sens a pour nous aujourd’hui la description de la Cène par les trois évangélistes ? Un sens que le quatrième évangile, dit de Jean, vient compléter dans son originalité significative puisqu’il n’évoque que le lavement des pieds. Un sens qui s’est construit à partir de l’expérience des disciples : Jésus est le Relevé ? Voilà la question. La seule question.
Le tableau vivant concocté par Thomas Jolly ne pastiche pas celui de Léonard de Vinci. Ni les évocations évangéliques.
Oui, il s’est agi d’un moment exceptionnel dans le festif où le burlesque, l’extravagance et l’amphibologie (seine, cène, saine, scène…) sont de la partie dans une polyphonie des genres où les couacs et le kitsch de la fanfare fellinienne font tableau.
Oui, dans nos démonstrations émotionnelles de la pluralité, nous pouvons être des méditerranéens parfois un peu «bruyants» et très «colorés». Alors pointons du doigt les trouble-fête et les rabat-joie, laissons derrière nous les donneurs de leçon aux esprits étroits et joignons-nous sans réserve à la farandole d’un carnaval planétaire qui inaugure une compétition athlétique internationale simplement… exceptionnelle qui ne se reproduira plus, ici, à Paris, avant longtemps.
De même que grâce au genre comique, il s’agissait aux JO de montrer par ce tableau vivant une France libre dans la pluralité de ses expressions, égalitaire dans les droits humains, fraternelle dans l’accueil et l’esprit des Lumières. C’était l’objectif (et cela n’empêche pas de poser au réalisateur la question légitime de la pertinence de l’épisode dans son narratif et celle des moyens employés). Pour m’amuser à rester dans le ton baroque de ce tableau vivant, je dirai: «ne nous trumpons pas de cible dans nos récriminations en mélenchant tout !»
Sachons donc rendre aux artistes leurs talents et même leurs droits, sinon ne serions nous pas totalement à côté du message chrétien?
Interrogeons-nous aussi sur ce qui s’est joué là. Finalement ce n’était pas qu’un spectacle sur la Seine (pas très saine d’ailleurs), car il se jouait sur un milliard d’écrans allumés derrières lesquels plus d’un milliard de paires d’yeux observaient la mise en scène d’un repas. Chacun pouvait l’interpréter à sa manière : on peut donc comparer cela à un gigantesque test de Rorschach : à l’échelle planétaire.
Non pas naturellement que je veuille réduire les artistes concernés à une tache d’encre, mais cette comparaison m’est venue en voyant la réaction nucléaire quasi-immédiate dont nous subissons toujours les ondes de choc, la réaction d’un monde qui crie avoir vu là, non pas un banquet costumé à la grecque ou une orgie romaine décadente revisitée, mais la seine de la scène, euh non, de la Cène… bref, sa transposition outrageante, supposée blasphématoire, etc. repeinte de la main subliminale d’un diable machiavélique.
C’est ainsi que ce festin, au revers inattendu, s’avère une première olympiade, bien typique de notre époque : il a mis involontairement en évidence des réactions libérales et d’autres choquées ou « crispées».
Mais trop longtemps, le poison réducteur d’un message prétendument chrétien a entraîné des croyances mortifères.
Ne nous laissons pas aller à des contresens sur l’objet et surtout ne rejetons pas les personnes, et il se trouvera par surcroît que nous rendrons aussi aux évangélistes le sens de leur description des repas partagés, et à Jésus le sens de son message.
Clément Gourand
En complément de cet article, nous vous suggérons la lecture de La Cène dans l’art contemporain, sur le site Voir & Dire : https://voir-et-dire.net/spip.php?page=article&id_article=64
Merci pour cet article, et aussi pour celui de la Cène dans l’art contemporain.
Personnellement, en voyant ce tableau vivant lors de la cérémonie d’ouverture des JO, je n’ai pas une minute pensé à la Cène de Léonard de Vinci, (même si je n’ai pas beaucoup aimé ce passage de la cérémonie), car cela me semblait tellement “loufoque”, avec Philippe Katerine, que j’ai immédiatement pensé à une représentation des Dieux grecs, (vu le contexte olympique). Aussi, quand j’ai vu le tableau du Festin des dieux de l’Olympe, qui sont dans une sorte de folie,
Merci Clément et Genevieve pour vos réactions auxquelles je m’associe pleinement. Pour ma part, je n’ai pas fait le lien non plus avec la cène mais bien avec un banquet des dieux “Grecs”, aussi disparates sont-ils dans leur mode de vie, ce que le tableau manifeste.
Par ailleurs, il nous faut assumer en tant que chrétien, la longue “domination” de notre religion au sein de notre société, devenue un trait de notre culture occidentale, conduisant à une appropriation inévitable de non croyants de nos représentations. C’est que nous ne sommes plus alors les seuls propriétaires de ces représentations et du sens que l’on y met (la cène en l’occurrence). Les non croyants qui s’en saisissent, peuvent les utiliser à leur façon, avec un sens qui peut ne pas nous convenir. Nous sommes au-delà de la liberté d’expression. Qui plus est, il n’y a rien de blasphématoire. dans ce tableau. Je vis mal cet irrespect d’une expression qui n’est pas la nôtre, que je perçois comme une attitude de chrétien assiégé, laissant entendre que ces autres nous veulent “du mal”.
A toutes fins utiles, je vous recommande le film “Dieu peut se défendre tout seul”, qui passe dans deux salles à Paris depuis ce mercredi – avec les plaidoiries argumentées de Richard Malka pour Charlie Hebdo !
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