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Une redécouverte personnelle de l’Eucharistie

Pourquoi me suis-je inscrit en 2023 au nouveau groupe de réflexion de Saint-Merry Hors-les-Murs sur l’Eucharistie ?

J’avais participé avec plus ou moins de ferveur à d’innombrables messes au cours de ma vie, sans avoir vraiment cherché à démêler ce qui dans cette cérémonie était essentiel, se rattachant aux consignes même de Jésus, et ce qui était accessoire, issu d’ajouts postérieurs. Cependant, à Saint-Merry, j’avais trouvé une manière de célébrer qui répondait en partie à mes attentes.

Je reconnais que celles-ci étaient confuses : intuition qu’il y a là un sujet majeur dont le sens m’échappait largement ; constat de mon ignorance sur la doctrine de l’Église sur cette question ; ennui éprouvé lors des messes ; refus de continuer à avaler sans réagir les « invraisemblances » des affirmations sur la présence réelle ; allergie aux rites et salamalecs énigmatiques qui accompagnent les célébrations de l’Eucharistie…

L’oukase de Mgr Aupetit me redirigea vers ma paroisse officielle où je retrouvai des rites inchangés, accomplis devant une assistance certainement fervente, mais ne constituant en rien une communauté venant partager un repas en mémoire de Jésus. Je supportai de moins en moins le caractère répétitif de ces messes, insuffisamment remplacées par les célébrations dominicales de Saint-Merry Hors-les-Murs, quel que soit leur intérêt. C’est donc avec enthousiasme que je m’inscrivis à ce nouveau groupe qui se proposait de réfléchir sur l’Eucharistie.

Où en suis-je, un an plus tard ? Je constate d’abord que les propos très libres des membres du groupe et les lectures qui nourrissent nos débats, pour choquants qu’ils paraissent parfois, créent un climat de franc-parler très fécond et libèrent l’esprit critique sur les prescriptions de l’Église.

Déjà, mes contacts récents avec la pensée de deux auteurs majeurs m’avaient ouvert sur deux points :

  • René Girard élucide un trait caractérisant toute pensée religieuse primitive : devant les maux qui l’éprouvent, l’homme cherche à s’assurer la bienveillance de Dieu en lui sacrifiant des victimes qui apaiseront son courroux devant ses péchés. Bien que Jésus ait rappelé que son Père n’était pas intéressé par les sacrifices, mais par l’amour du prochain, l’Église catholique n’a pas échappé, au cours de son histoire, à la tentation d’infléchir le sens de l’Eucharistie en en faisant principalement un renouvellement du sacrifice du Christ pour obtenir le pardon divin. Pourtant, Saint Paul avait bien écrit : le sacrifice que nous offrons à Dieu, c’est nous-même.
  • Teilhard de Chardin élargit le mystère de l’Eucharistie aux dimensions du monde. A la messe, nous venons offrir à Dieu toute notre personne, nos actes, nos manques, nos proches, le monde où nous vivons, toute la création. Nous attendons de lui qu’il les inonde de son Esprit, qu’il les « christifie ». Par notre participation active au mystère de l’Eucharistie, nous collaborons à cette tâche du Christ et hâtons son retour.

Autre point, l’Eucharistie est un acte communautaire. L’autre jour, quelqu’un me disait : « À Saint-Merry, on ne peut pas prier pendant la messe car il y a toujours quelqu’un qui cause ». De fait, ce n’est pas le moment des recueillements individuels. Mais, même à Saint-Merry, que reste-t-il de l’idée d’un repas partagé ? Comment s’en inspirer dans une grande ville au XXIème siècle?

D’autres questions restent mal résolues dans notre groupe (et, à coup sûr, au-delà)  : nous savons que là où deux ou trois sont réunis en son nom, Jésus est au milieu d’eux ; nous savons aussi que l’Esprit-Saint nous est distribué en abondance. Alors, quelle présence supplémentaire apporte le fait que nous nous réunissions pour une messe ? Quel “plus” déclenche cette « présence réelle » qui heurte tant notre entendement ? Pourquoi saint Jean n’a-t-il pas retenu cet épisode si inattendu pendant le dernier repas, ne se souvenant que du lavement des pieds ? Pourtant, Jésus insistera : « Si vous ne mangez mon corps… ». Difficile donc de considérer que le récit du Jeudi Saint ne serait qu’une image symbolique ! Nous devrons donc continuer à approfondir le sujet en décortiquant ce qui peut être attribué à la pensée si séduisante du Christ et en écartant tout ce qui doit être mis au compte d’une interprétation où l’attrait du merveilleux entre pour une part. (1)

Quant à la question de savoir qui, aujourd’hui, peut présider l’Eucharistie, je la juge malheureusement  prématurée tant que que l’Église se refusera à soulever le statut des prêtres. En effet, ce sont tous les chrétiens qui d’ores et déjà remplissent à la messe une fonction sacerdotale, celle de présenter à Dieu l’offrande de ce monde pour le mettre sous l’influx du Christ. Un jour, l’Église acceptera bien  d’aborder le sujet. Mais y aura-t-il encore des prêtres ?

Le groupe n’a donc pas encore terminé ses travaux ! Mais déjà, il m’a apporté beaucoup en me conduisant à m’interroger avant chaque messe : qu’est ce que je viens y chercher ?

Jean de Savigny

(1) Plusieurs des membres de la communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs sont assez âgés pour avoir vu un film de Léo Jouannon qui avait défrayé la chronique à l’époque : Le Défroqué. Dans une scène célèbre se déroulant dans un cabaret au cours d’une beuverie, un prêtre défroqué (Pierre Fresnay) consacrait du vin blanc dans un seau à glace, persuadant un camarade chrétien, qui s’y croyait obligé, d’en boire tout le contenu, quitte à le vomir aussitôt. Le pire est que Jouannon s’était assuré de l’approbation d’un représentant de l’Église sur une telle interprétation, pourtant totalement magique, de l’Eucharistie.

Triptyque De L'eucharistie, 1515, Musée Rolin, Autun
Triptyque de l’Eucharistie, 1515, musée Rolin, Autun

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