Peut-être cela vous a-t-il échappé mais le 14 septembre dernier dans l’église Saint-Pierre de Berne, Frank Bangerter a été ordonné huitième évêque de l’Église catholique chrétienne de Suisse. Le nouvel épiscope, âgé de soixante-et-un ans, pasteur en ménage avec un compagnon, a été élu par le synode national suisse. Lors de son ordination, il a déclaré qu’il était engagé pour « une Église catholique chrétienne qui se montre ouverte et courageuse, qui fait le bien […]. Si l’on fait cela de manière crédible, authentique et avec enthousiasme, a-t-il ajouté, elle aura la possibilité de grandir et de devenir attractive pour davantage de personnes. Nous sommes proches de la vie, nous n’excluons pas les personnes divorcées, nous reconnaissons la diversité en termes d’orientation sexuelle et de modes de vie ».
Un évêque catholique romain normalement constitué pourrait globalement souscrire au propos de cette feuille de route. À ceci près que dans la réalité pastorale, l’Église catholique chrétienne a, elle, opté pour l’élection de ses représentants, pour l’abolition du célibat presbytéral, pour le ministère des femmes, le remariage religieux des divorcés et en faveur du mariage pour tous.
D’où vient donc cette Église appelée aussi « vieille catholique » ? En fait, l’expression désigne les catholiques qui ont refusé les décisions du concile Vatican I (1869-1870) lequel, à la demande expresse de Pie IX, reconnut, en la votant, l’infaillibilité pontificale, donc la primauté exclusive de l’évêque de Rome malgré quelques défaillances épiscopales notoires – décision autoritaire prise sans l’appui d’un quelconque argument scripturaire. C’est donc immédiatement à la suite du concile, en avril 1871, que les catholiques résistants, autour d’Ignace von Dollinger et de Johann von Schulte, s’organisèrent le plus souvent en églises autocéphales en Suisse, en Autriche, aux Pays-Bas ou en Pologne même si certaines d’entre elles réussirent à se regrouper à partir de 1889 sous le nom « Union catholique internationale d’Utrecht ».
La référence à la ville néerlandaise se rapporte à l’histoire et à l’exil des jansénistes français au début du XVIIIe siècle. Un ecclésiastique français, Dominique-Marie Varlet (1678-1742), nommé évêque in partibus de Babylone en 1719, avant de rejoindre son poste lointain, passe à Utrecht où le siège épiscopal est vacant sous la pression de Rome. Il accepte alors de confirmer plusieurs centaines de personnes. Mais, peu après, en mars 1720, le prélat apprend que le pape l’a suspendu de ses fonctions suite à son initiative sacramentelle. Varlet se réfugie alors aux Provinces-Unies et, en dépit des injonctions pontificales, consacrera plusieurs évêques au siège d’Utrecht. Ce qui lui valut l’excommunication mais signa la naissance d’une nouvelle Église à laquelle se rattacheront les dissidents de 1871 et qu’avaient déjà approchée les catholiques français de la Petite Église, ceux-là mêmes qui avaient refusé le concordat de 1801.
Cet ensemble d’oppositions frontales à Rome et au pape a donné à ces chrétiens de la marge une certaine liberté de manœuvre pastorale et ecclésiologique, voire dogmatique. On a évoqué plus haut les initiatives des Vieux catholiques relatives à l’organisation du corps presbytéral ou à l’élection des évêques. On rappellera aussi la place obligée et unique tenue par les laïcs, hommes et femmes, au sein de la Petite Église sans clergé après 1830-1840 . Ajoutons que sur le plan du dogme, l’Union des vieux catholiques, tout en reconnaissant les sept sacrements, considère que seuls deux sont des sacrements majeurs (le baptême et l’eucharistie) et les cinq autres, mineurs puisque fruits de l’Histoire et possiblement amendables. En outre, elle rejette les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption et avance une interprétation particulière de la présence eucharistique à travers la notion de transvaluation qui autorise le croyant à subjectiviser sa compréhension.
Ces rapides constatations ne manquent pas de soulever quelques questions à la veille de la seconde session du synode sur la synodalité qui semble assez contrôlée par le Vatican. Ainsi toute réflexion approfondie et toute prise de décision concernant la mise en place du diaconat féminin ont été écartées par la seule volonté de François. Quant au reste…! Et pourtant, est-ce être moins fidèle à l’Évangile que de vouloir supprimer le célibat des prêtres, que de souhaiter l’ordination des femmes ou l’élection des évêques, que de ne pas faire siens les dogmes de l’infaillibilité pontificale ou de l’Immaculée Conception. Jusqu’à s’interroger sur les sens multiples de « la présence réelle » ? À la lecture de l’histoire heureusement plurielle du christianisme, tout chrétien sincère peut sérieusement en douter.
Intéressant et stimulant.. et ta question finale est essentielle ! C’est là notre référence : l’esprit de l’Evangile .
Merci pour cet article et cette bouffée d’oxygène. Dommage que cette église soit si peu existante en France et à Paris.