Question Femmes et Église, quel fossé entre les positions de l’Institution catholique actuelle et celles de la société civile ! Mais si des fidèles proposent – de façon très synodale – des réformes à effectuer, d’autres leur opposent parfois la Tradition avec un grand T, voire la Tradition apostolique.
Prenant à bras le corps la question, le théologien Gilbert Clavel entreprend dans son livre L’exclusion des femmes du sacré. Patriarcat, impureté, infériorité un examen des arguments scripturaires et doctrinaux évoqués et arrive à poser un diagnostic : les causes de la relégation des femmes viennent de contresens sur l’Écriture et de préjugés ancestraux.
Ses informations nombreuses précises suscitent de la surprise et même parfois des cris d’incrédulité. L’auteur pourtant, loin de tout extrémisme, cite seulement des faits, et s’abstient de toute généralisation (« tous les hommes… »). Il ne nomme que les personnes qui ont eu une influence importante sur ces représentations. Ces informations démontrent en quoi l’Église-institution a perdu de sa modernité, peu à peu et au fil du temps, creusant elle-même le fossé évoqué. Elle s’est manifestement figée ensuite pendant les derniers siècles.
Qui sait encore par exemple que le Droit canonique de 1917 en rajoutait encore :
« Désormais les linges sacrés doivent d’abord être lavés par des hommes
avant d’être manipulés par des femmes. » (Art. 1306).
Aujourd’hui malgré quelques améliorations, l’Église-institution est crispée et hésitante, écartelée et zigzagante… Clavel diagnostique un contresens, ce qui explique le titre complet de son ouvrage en 2 tomes :
– Histoire d’un malentendu : l’exclusion des femmes du sacré. Patriarcat- Impureté-Infériorité
– Femmes et Église. Sortir des malentendus de l’Histoire.
Nous donnons ici un aperçu du premier[1].
C’est qu’en effet l’exemple même des tout premiers siècles éclaire le but et libère des perspectives aujourd’hui : elles ne sont pas 100 % « nouvelles » puisqu’elles sont dans la ligne de ce qui s’est vécu dans les communautés et assemblées initiales, (ekklesia en grec = assemblée en tant que convoquée, appelée), les églises avant qu’on leur y mette une majuscule, puis qu’on l’unifie au singulier majuscule.
Oui, il faut deux tomes à Gilbert Clavel, d’une part parce qu’il respecte son lecteur : il ne lui assène ni ses avis ni ses conclusions, mais lui donne posément des informations historiques démonstratives, et d’autre part parce que ce théologien est aussi sociologue : il sait qu’il est indispensable de resituer cette question ecclésiale et religieuse dans son réseau contextuel.
En effet, l’Évangile, les premières églises et celle d’aujourd’hui n’ont pu éviter d’être en relation étroite, consciente ou non, explicite ou non, avec leur monde civil contemporain. Cette influence du monde, influence inévitable – car vitale, et, selon nous, heureuse – a marqué et marque encore l’Église qu’elle le veuille ou non.
G. Clavel dépeint la situation de la femme depuis l’Antiquité, dans tout le bassin méditerranéen et moyen-oriental, jusqu’à aujourd’hui. Les citations incroyables y fourmillent, par exemple :
« Ce sexe est plus à craindre lorsqu’il est aimé que lorsqu’il est haï. »
Les exemples datés et concrets sont sidérants (les relevailles). Mais ce qui frappe surtout, c’est l’enchaînement huilé des erreurs de traduction, puis des interprétations abusives, et des excès de théologiens manichéens, aussi implacables que bien intentionnés… sur le dos des femmes. Toute personne du sexe féminin, qu’elle soit vue comme fragile, innocente et faible, ou vue comme redoutable dans sa perversité diaboliquement séduisante, irrésistible, invincible, est toujours perfectible ou fautive, et doit être éduquée et maîtrisée par l’homme, le mâle.
Blague bien connue : Bats ta femme : si tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait !
Tâche facile d’ailleurs car les femmes, puisque toujours et à jamais culpabilisées, n’ont pas vraiment réfléchi à s’éviter des souffrances ; elles ont intériorisé leurs souhaits, par une sainte humilité ; elles ont même parfois accepté les punitions des défauts dont on accusait leur genre, et ont appris à sublimer. De gré ou de force.
G. Clavel raconte comment la société civile et l’Église, patriarcales et hiérarchiques mais surtout androcentriques, se sont renforcées mutuellement en un cercle vicieux, plus ou moins consciemment, et ont ainsi augmenté le pouvoir aux mains du sexe masculin, Dieu étant vu comme l’un des leurs… aux dépens de la gent féminine. C’est un côté regrettable de J.J. Rousseau :
« Il n’y a nulle parité entre les deux sexes […] .
Le mâle n’est mâle qu’en certains instants,
la femelle est femelle toute sa vie, […]
tout la rappelle sans cesse à son sexe. »
G. Clavel montre aussi comment, assez récemment, la société a pris conscience que le système de justifications ne tenait pas. (Le « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » n’est pas « juste »). Elle tente de se purger de ce phénomène qui a pénétré et sous-tendu toutes les institutions, les conduites et les représentations collectives et individuelles. Mais si la société civile a commencé à avancer vers l’émancipation des femmes, elle le fait bien plus vite que l’institution ecclésiale qui fait un pas de souris en avant (Vatican II), puis recule ou freine. D’où le fossé évoqué.
Les paroles et les faits cités, lus de nos jours, semblent presque invraisemblables et les erreurs de traduction et les préjugés imposant interdits, théologies, dogmes et pratiques ne peuvent manquer de choquer, même des fidèles s’appuyant de confiance sur la “Tradition”, une tradition dont nous nous rendons compte que nous étions loin de connaître les épisodes dans leur évolution chronologique. Les sujets dits scabreux ou tabous ne sont pas évités : ils font partie du contexte. À la lecture, on hésite entre sourire, gêne ou révolte. Les réflexions révèlent des prémisses très fragiles.
Avec cette démarche exemplaire, il devient désormais quasiment impossible de s’appuyer tranquillement – aveuglément – sur la Tradition dans sa totalité.
D’autant plus que, sur le fond, sur l’essentiel, Jésus n’avait-il pas montré l’exemple de la voie à suivre ? Une voie qui passe la libération des opprimés, le respect des petits, la justice. Il semble bien avoir surmonté les préjugés de son milieu concernant les femmes, et ses fidèles, hommes et femmes, ont mis naturellement en pratique cette Bonne Nouvelle de son vivant et dans les premières maisonnées et églises : elles se démarquaient d’un monde où la poigne d’un pouvoir androcentrique et patriarcal refusait l’existence à ses semblables, à sa moitié, défigurant l’image de Dieu.
Ce vaste panorama de la condition féminine met en évidence la force des tendances incohérentes qui s’unissent néanmoins pour déconsidérer les femmes, mais également la faiblesse et l’irrationalité des arguments traditionnels évoqués.
Or ces soi-disant arguments entravent non seulement les femmes, mais l’Église tout entière, puisqu’elles constituent elles aussi le corps de cette Église, – la « moitié » de son corps ? Et puisqu’il y avait en fait erreur sur erreur, préjugé sur préjugé, il y a de l’espoir !
À nous, femmes et hommes, de le faire ensemble advenir.
(À suivre ICI : le deuxième volet de cette présentation)
[1] Le second tome, Femmes et Église. Sortir des malentendus de l’Histoire, (L’Harmattan, 2024) s’attache spécifiquement à l’Église-institution sur les trois derniers siècles. Pour se renforcer, elle a entre autres, mis en place progressivement, des frontières pour se séparer du monde profane et a inventé une échelle hiérarchique fondée sur l’exclusion et le jugement. Elle a agi, concernant les femmes, main dans la main avec la gent masculine, pour éviter leur émancipation. Ce tome II a déjà fait en août dernier l’objet d’un compte-rendu par Blandine Ayoub sur le site de Saint-Merry Hors-les-Murs https://saintmerry-hors-les-murs.com/2024/08/16/femmes-dans-leglise/