La rotonde de la Bourse de Commerce-Fondation Pinault est un espace artistique où tout semble possible. Avec Clinamen, un projet immersif, aquatique et musical, l’émotion et la rêverie fusionnent le temps d’un été. La chronique de Jean Deuzèmes
Clinamen est le nom donné à une série d’œuvres construites depuis deux décennies et reprenant régulièrement le même principe : faire flotter sur une eau en mouvement des coupes de porcelaine qui s’entrechoquent et émettent des sons. Pas de xylophone, pas de compositeur, uniquement un mouvement aléatoire.
Mais comment ne pas évoquer les musicalités de Debussy, John Cage ou Luigi Nono ? Ou encore les silencieux Nymphéas, présentés dans deux salles ovales au musée de l’Orangerie.
Avec sa version 10, Céleste Boursier-Mougenot, né à Nice en 1961, musicien et plasticien, atteint un niveau élevé de merveilleux.
« Les rencontres d’atomes et la constitution des choses sont un fait. S’il en est ainsi, c’est grâce à un infléchissement, une légère déviation de la ligne droite, ou « déclinaison », dont l’atome en mouvement est capable. » Lucrèce, De la Nature des choses[1]. Dans le langage philosophique, le clinamen est le synonyme de déviation.
Ici, l’œuvre est d’une ampleur inédite, 18 m de diamètre, à l’échelle de la coupole de la Bourse de Commerce, bien loin des bassins de 2 m des débuts de l’artiste qui provoquaient déjà la fascination. S’il avait créé sa première œuvre avec une piscine gonflable dans sa cuisine, désormais c’est autour d’un bassin en bois construit pour l’occasion que l’on peut s’asseoir.
En 2015, Céleste Boursier-Mougenot représentait la France à la Biennale de Venise, mais ses installations techniques avaient dysfonctionné et ce fut l’échec. Aujourd’hui, le gigantisme et la simplicité de l’œuvre contribuent à son succès. D’où provient la fascination que l’on éprouve ?
L’échelle, bien sûr, et le rapport à l’environnement : un immense et puissant mur circulaire de béton lisse gris et en son centre une fragile nappe aquatique bleu clair dont tous les mécanismes techniques assurant le mouvement sont invisibles.
Une voûte de verre sur un soubassement peint, doté de scènes proliférantes de l’histoire mondiale du commerce, surplombant un environnement architectural et aquatique minimaliste. Un contraste où se glissent les effets de lumières changeantes.

Une étendue bleue où des personnes, assises en retrait, sont saisies par la méditation, assises en retrait du bord. Un gardien tournant en permanence sur le bord, garantissant une distance respectueuse et incitant au silence. Une invitation à conférer un sens sacré au lieu ?
Des bols de tailles différentes en porcelaine blanche contrastant avec le bleu, mus par un courant léger, générant des sons cristallins. Célestes si l’on peut rapprocher cette expérience multisensorielle du prénom du plasticien ? Ces beaux objets se transforment ainsi en instruments et créent une symphonie de l’instant.
L’aléatoire probablement : si léger, un peu comme la mer en bord de plage ou le feu dans la cheminée, qui font goûter le présent et oublier tout ce qui nous encombre et nous fait craindre les évènements du monde.
« Avec Clinamen, Céleste Boursier-Mougenot ouvre un dialogue subtil entre la matière, l’architecture et la présence humaine, créant un environnement où l’art est à la fois une expérience individuelle et collective. » (Cartel)
Lire les autres articles de la chronique « Interroger l’art contemporain »
[1] Édition G. Cogniot, Paris, Ed. sociales, 1954, p. 35.





C’est merveilleux. Mais « oublier les événements du monde »? L’article précédent a pour titre « Gaza meurt de faim » et je vois toutes ces coupelles qui dansent, vides…
Oui magnifique œuvre. Merci de ce partage. Bonheur de l’avoir vue peuplée de ces méditants qui eux aussi se croisent, font leur propre ronds dans l’eau aux ondes qui se propagent… bonheur également d’avoir gouté le silence sonore juste avant la fermeture du lieu et d’avoir pu à loisir contempler ces bols chantants et même quelques uns avec leurs légères cicatrices consécutives aux chocs… Et oui, comment ne pas penser à tous ceux dont les cicatrices sont bien plus vives et béantes et rêver à cet art japonais du Kintsugui qui permet à la lumière de l’or de rayonner à travers les fêlures des chocs subis/infligés si près, si loin… Vite de cet or au goût de Passions/Résurrections là pour toutes nos fêlures et surtout les plus vives de notre temps ! « Bienheureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière »… Que nous puissions de temps à autres être de ceux là ou au moins contribuer à la lumière de ceux qui sont trop fêlés pour y croire…