Grâce au déconfinement, les fêtes des rosières auront bien lieu cet été dans moult villages et bourgs de l’hexagone.
La poursuite et la multiplication de cet événement tenu par beaucoup pour archaïque, paternaliste et sérieusement machiste ne pourraient manquer d’étonner.
La chronique d’Alain Cabantous
Il était temps. Grâce au déconfinement, les fêtes des rosières auront bien lieu cet été dans moult villages et bourgs de l’hexagone. Les journaux des régions, de Ouest-France au Progrès en passant par la Charente Libre, annoncent la reprise et le travail en amont de nombreux comités des fêtes. Enfin ! villages, bourgs et même zones rurbaines de la banlieue bordelaise La Brède ou Pessac, Courpière, Albens, Aubière Château du Loir et cent autres communes vont choisir et couronner à nouveau leur rosière. Autrement dit une jeune fille, de dix-sept à vingt ans reconnue pour ses vertus. Lesquelles ne se déclinent plus désormais en fonction de sa virginité préservée mais bien par rapport à son honnêteté, à son courage devant l’adversité, à ses engagements civiques, à ses attentions filiales. D’ailleurs, en certains lieux, les candidates peuvent même avoir un compagnon, « à condition qu’elles ne courent pas trop » comme le précise sans ciller un conseiller municipal de Créon (Gironde) et même ne pas être natives de la localité de l’élection.
Initialement pourtant, il s’agissait de valoriser publiquement la virginité féminine à partir de la figure de Médrine, du village de Salençay et sœur de saint Médard, évêque de Noyon qui, au Ve siècle, aurait institué la fête. Si cette origine obscure n’est qu’une pieuse invention a posteriori, on en trouve cependant quelques traces ténues au XVIIe siècle où il s’agissait bien d’honorer une jeune fille reconnue pour sa vertu sexuelle et sa piété. Mais c’est à partir des années 1750 que l’on retrouve cette préoccupation festive dans de nombreux villages du Bassin parisien, du Hurepoix à la Brie en passant par la Picardie.
Cette valorisation juvénile n’était pas seulement l’œuvre du clergé, passablement obsédé, il est vrai, par l’état virginal. Elle était aussi liée au besoin d’un retour à la nature, manifeste après les années 1750 et à propos duquel la simplicité de la vie rurale était donnée en exemple au regard des dépravations urbaines et de leurs redoutables influences dont l’accroissement continu des conceptions prénuptiales n’était pas des moindres. Claude Fauchet, futur évêque constitutionnel du Calvados, le souligne clairement en présidant la fête de la rosière de Suresnes le 10 août 1788. À l’encontre « de la corruption dans les cœurs, de l’irréligion, la licence et l’indigence des excès populaires liés au trop funeste voisinage de la capitale », il se félicitait « de participer à cette pompe agreste, à cette fête virginale, à cette solennité pastorale, à ces saintes assises des naïves vertus et des mœurs innocentes parmi ces bons vieillards et ces jeunes vierges ingénues. »
Mais ce mouvement illustrait aussi les visées idéologiques de la noblesse progressiste du moment, investie largement dans l’encouragement de ces fêtes qui « mettaient en scène une autorité qui ne dépend pas de la naissance mais de la bienséance » (Jean-Louis Haquette). Autant que la valorisation de la simplicité rustique, pareilles réjouissances illustraient aussi la recherche utopique d’une harmonie sociale. C’est d’ailleurs contre cette emprise nobiliaire et son hypocrisie sous-jacente que s’élève Restif de la Bretonne :
Les villages à rosières, loin aujourd’hui d’être les plus innocents, sont les plus licencieux ; le vice s’y cache comme en ville et les filles y sont libertines sans faire d’enfants. D’où vient cela ? C’est que les dames qui allaient présider ces ridicules solennités menaient avec elles leurs amants, leurs valets et leurs vices. Je tiens du constituant Clermont-Tonnerre que sa femme ayant fait une rosière à Champlâtereux, un seigneur de la Cour se donna le plaisir piquant de la déflorer deux heures avant la cérémonie du couronnement.
Toutefois, peu à peu la dimension religieuse de cette manifestation s’estompa avant de disparaître complètement sous l’effet d’une mise à l’écart du clergé, d’un couronnement municipal découplé de la cérémonie religieuse, d’une laïcisation progressive conduisant à l’exaltation d’autres qualités citoyennes. D’ailleurs, Nanterre, ville devenue communiste en 1935 créa sa rosière rouge et continua longtemps – au moins jusque dans la décennie 1980 – à organiser « sa » fête. La poursuite et la multiplication de cet événement tenu par beaucoup pour archaïque, paternaliste et sérieusement machiste ne pourraient manquer d’étonner. Mais plus que le défilé de majorettes, que les soirées costumées ou que le bal des anciens, l’élection de la rosière, modernisée, démocratisée, constitue pour de nouvelles localités sans histoire une manière de se distinguer. D’autant que la rosière apparaît comme une médiatrice entre individus et communauté, valorise, à nouveaux frais l’image féminine non sans véhiculer quelques contradictions dans la mesure où l’heureuse élue « conjoint une image désuète de la campagne (traditions, végétaux) et une image idéale de modernité (femme émancipée, dynamisme, autonomie) » (M.D. Ribereau-Gayon).