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Jean le Baptiste, la cognée et le feu

Prophète et « apocalypticien », Jean dénonce l’insupportable et annonce le châtiment des méchants et la récompense des justes. Mais son message se différencie considérablement de celui de Jésus. La série de Jesús Asurmendi

Le personnage est très connu, bien qu’historiquement l’on soit un peu plus à court. Il est difficile de classer Jean le Baptiste parmi les figures secondaires des évangiles. Il l’est pour la foi chrétienne et pour ce que celle-ci est devenue par la suite. Luc, dans son évangile, après une sorte d’introduction d’historien, commence par le récit de l’annonciation de sa naissance, comme celle de Jésus, plus tard. Il les rend même parents. Il est clair qu’il veut faire un parallèle avec Jésus, à l’avantage de ce dernier, bien entendu. Tous les chercheurs sont d’accord pour dire que Jésus a commencé son itinéraire comme « disciple » de Jean et que peu à peu il s’en est séparé. D’où la célèbre scène du baptême de Jésus par Jean (Jn 1, 29-34). 

Jean le Baptiste, Médaillon byzantin, fin du XIIe s.,
Met, New York

Les discours des deux personnalités sont très différents, voire opposés. Celui de Jean est typiquement apocalyptique : la fin est très proche et les châtiments qui vont avec. Les méchants vont être punis et les justes récompensés (Mt 3, 7-10). D’où l’urgence de se convertir et de se trouver ainsi faisant partie du bon lot. Celui de Jésus fait appel à la conversion, certes, mais l’image de Dieu est celle d’un Dieu miséricordieux et tout à fait prêt au pardon. L’un prêche le feu, l’autre le pardon.
La personnalité et les interventions de Jean le Baptiste réunissent celle du prophète et celle de l’apocalypticien. La première se manifeste dans la dénonciation de l’insupportable. C’est ainsi qu’il a dénoncé le comportement du tétrarque Hérode, fils du célèbre Hérode le Grand, (Lc 3, 19-20 cf. note de la TOB) et en a subi les conséquences : arrestation et mort. Les paroles de Jean sont dures, comme celles de tout apocalypticien, voyant beaucoup de pharisiens et de sadducéens se présenter à son baptême, il leur dit :

“Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Produisez donc un fruit digne de la conversion. N’allez pas dire en vous-mêmes : ‘Nous avons Abraham pour père’ ; car, je vous le dis : des pierres que voici, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham. Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu.”

(Mt 3, 7-10)

La cognée et le feu. Tout est dit. Malgré la dureté du discours, Jean a eu un « fan club » et ses disciples étaient assez nombreux, à tel point que même actuellement il y a quelques groupes qui se réclament de lui.

Andrea del Sarto, Saint Jean Baptiste enfant, 1510, Museo del Prado, Madrid
Piero di Cosimo, Saint Jean Baptiste jeune, vers 1480-82,
Metropolitan Museum New York
Pere Serra, Jean Baptiste et d’autres saints, 1385 ca, Mnac, Barcelone
Giovanni Bellini, Marie avec l’enfant Jésus entre le Baptiste et une sainte, 1502-1504, Venice, Gallerie dell’Accademia,
Aelbert Bouts, Tête de Jean le Baptiste, 1500 ca., Met, New York
Orazio Gentileschi, Tête de Jean le Baptiste, 1612-13, El Prado, Madrid

Il ne faut donc pas mettre dans le même sac prophète et apocalypticien. On a souvent dit que le second est l’enfant du premier. Rien de plus faux, même si les deux se sont succédé dans le temps. Le premier prêche la conversion en partant de la dénonciation de l’insupportable dans tous les domaines : social, politique et religieux. La conversion pointe dans la dénonciation de l’insupportable et, par là même, annonce l’espérance. Car s’il n’y a pas d’espérance, inutile de prêcher la conversion. Le second annonce la fin, la catastrophe, l’inévitable qui départagera les bons et les méchants. Avec un sort opposé pour les uns et les autres.

Francesco del Cossa, Saint Jean Baptiste, 1473,
Pinacoteca di Brera, Milan

Pour le premier, la conversion est fondamentale : le prophète prêche la conversion en vue du renversement, de la transformation des cœurs et des comportements. Pour le second, il est déjà trop tard. Il s’agit seulement de savoir quand la fin va arriver. 

S’il y a quelque chose qui se dégage de la personnalité de Jésus, c’est le caractère prophétique de ses paroles et de son action. D’ailleurs son dernier geste, l’expulsion des marchands du temple, que l’on peut inclure dans cette catégorie, lui a couté la vie, comme la goutte qui a fait déborder le vase.
La dimension prophétique de l’un et de l’autre les rapproche. La posture apocalyptique les différencie. 

Jean fait partie de ces groupes appelés « baptistes », nombreux à l’époque, qui, moyennant un baptême d’eau, assuraient le pardon des péchés et le salut. Il est clair que ce discours radical de Jean le Baptiste, alors et maintenant, séduit. Au moins pour une courte durée. Un regard historique constate les innombrables cas du genre et comment cette radicalité s’achève trop souvent en eau de boudin. Ou en tragédie. Où les compromis avec la réalité se transforment trop souvent en compromissions. 

Les évangiles font de la succession chronologique des deux, Jean et Jésus, ce qui est indéniable, une succession bien plus décisive : Jean devient le « précurseur », l’annonciateur de Jésus.
Quant aux disputes entre les disciples des deux maîtres, elles ne semblent pas faire de doute et les évangiles se donnent de la peine pour dire qui a la prééminence (Mt 11, 2-19) : Jésus. 

Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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