À partir du livre de Daniel Marguerat – Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme, Ed. Seuil, avril 2023 –, Guy Aurenche nous emmène pour l’été, en plusieurs épisodes, à la découverte de Paul, célèbre parmi tous les apôtres, mais aussi le plus mal connu.
Qui a vraiment lu ses lettres ? Qui a deviné l’homme derrière ses propos ? C’est une découverte vivante, qui nous est proposée, immergeant les écrits de Paul dans la vie tumultueuse et passionnée de l’apôtre. Car derrière les textes de ce grand théologien, il y a un homme qui aime, qui lutte, qui peine et qui souffre.
« Ce mal aimé du christianisme »
Daniel Marguerat, historien et bibliste protestant, nous fait aimer Paul, « l’enfant terrible du christianisme ». Il rejoint ainsi nombre de chrétiens d’aujourd’hui, en colère contre une présentation identitaire et désincarnée de la Bonne Nouvelle de Jésus.
« Redécouvrir Paul n’est pas de tout repos. Craintifs s’abstenir … Paul est victime d’une image désastreuse qui est à l’inverse du feu qui l’habite… Paul n’est pas le théologien poussiéreux que l’on croit ».
Un peu de feu ne ferait pas de mal à notre morne saison ecclésiale. Secouer la poussière, quel beau programme pour des chercheurs de sens !
Je propose une découverte joyeuse et personnelle d’un personnage qui « n’est pas derrière nous mais devant nous ». Il rejoint l’itinéraire de nombreuses communautés, dont Saint-Merry Hors-les-Murs, qui ont l’humble ambition de contribuer à « ouvrir des chemins nouveaux pour l’Église ». Partons à sa rencontre.
Au carrefour de deux cultures
Voici une géolocalisation qui convient à notre temps de mondialisation. Paul, en bon intellectuel, éduqué en grec, aguerri aux débats, était prêt pour la croisade identitaire. Né à Tarse (actuelle Turquie) vers l’an 5 ap. le Christ, dans une famille venue d’ailleurs, Saül, Paulus, était imprégné de culture judaïque, hellénistique et romaine. Une véritable interculturalité !
Il appartenait au groupe des pharisiens (sans connotation péjorative à l’époque), mouvement de résistance juive, inscrit dans « la tradition de mes pères ». Il combattait ses coreligionnaires juifs attirés par un certain Jésus.
La pureté de l’identité était déjà à l’ordre du jour. D’autant plus pour une communauté juive menacée par des occupants étrangers pouvant mettre en question des pratiques traditionnelles. Une certaine ressemblance avec les réactions contemporaines d’intégrismes religieux.
Un homme renversé qui devient renversant
Quand, où ? En tous cas, sûrement en chemin. Daniel Marguerat évoque « un renversement, une conversion mystique, une vision du Christ », un moment d’une extrême intensité, fondateur de toute la pensée et l’action de Paul. Il fit l’expérience de la présence du Christ en lui. Son être en fut définitivement marqué ainsi que sa pensée.
Lisons les lettres de l’apôtre en tenant compte de ce renversement fulgurant. Nous découvrons des contradictions, des formules choquantes : une complexité mystérieuse. Ne pas la détacher du moment fondateur pour Paul : tout est en Jésus-Christ qui lui-même est en Dieu. Cette radicalité explique que Paul aborde de nombreuses questions avec des expressions changeantes, parfois excessives, mais toujours en cohérence avec le message initial : primat absolu à la personne de Jésus. Une bonne boussole pour la permanente réforme de l’Église !
L’apôtre des nations
Paul vécut plusieurs années, accompagné par la jeune communauté locale : « des années obscures ». Il commença un voyage en Arabie, puis retourna à Damas où se rassemblaient ses premiers « disciples ». Les ennuis arrivèrent et il dut quitter la ville, descendu, « dans un couffin, le long de la muraille ». Il rejoignit Antioche (Antakya en Turquie) où les membres de la communauté furent désignés « chrétiens » pour la première fois. La stratégie missionnaire de Paul se dessinait : privilégier les villes-carrefours où la population était mélangée.
« Un universalisme qui s’est traduit par une expansion missionnaire, une mondialisation fondée sur l’unicité du Dieu créateur.
Daniel Marguerat
Au Dieu “Un” correspond une humanité “une” ».
Le malentendu de Jérusalem
Paul a immédiatement choisi d’annoncer la Bonne Nouvelle, à tous. Certaines communautés judaïsantes, dans l’Église de Jérusalem en furent choquées. Le « Concile de Jérusalem » (48–49) traita de l’admission des païens dans la communauté, « sans faire d’eux, au préalable, de véritables juifs ». En particulier, sans exiger la circoncision. Daniel Marguerat évoque un grave malentendu. Paul était furieux de constater que des ultra-judaïsant voulaient brider sa mission, ouverte à toutes les populations (Gal.2-10). Il fallut s’expliquer. Après cette rencontre, l’apôtre des gentils se crut conforté dans son ouverture au monde (Actes 15. 14 -). Cependant, ce concile affirmait que les nouveaux chrétiens devaient respecter les rituels de pureté concernant la nourriture. Deux approches se dessinaient dans l’Église.
Puis eut lieu « l’incident d’Antioche » qui opposa Paul à Pierre. Ce dernier semblait revenu à des exigences de pureté qui l’empêchaient de partager son repas avec des chrétiens d’origine païenne. Paul ne mâcha pas ses mots et multiplia ses reproches contre Pierre (Ga. 11), qui finit par lui donner raison. Rien de tel qu’une explication fraternelle dans l’Église.
Un théologien incarné et passionné
S’éloignant de Jérusalem, Paul entreprit un voyage vers l’ouest, à Thessalonique (Macédoine). Il ne put y rester longtemps. Des “ultra-judaïsant” montèrent contre lui les autorités romaines, en prétendant que son discours menaçait l’empereur. Déjà les manipulations politiciennes du discours religieux !
Paul ne fut pas un théologien « hors-sol », ni même le promoteur d’un système théologique élaboré une fois pour toutes. Certes, il existe une profonde cohérence entre ses différents écrits : la présence du Christ vivant en sa personne. Sa théologie s’élabora sous le feu de cette présence, et se modifia en fonction des situations.
Certaines de ses formules nous choquent aujourd’hui. Ainsi lorsqu’il fustigeait les juifs (1 Th 2, 14 et s.). « Paul s’inscrit ici totalement dans l’émotionnel ». Rapportées à leur contexte, les expressions radicales qui condamnent les juifs n’ont rien à voir avec l’antisémitisme. L’apôtre veut défendre à tout prix, « maternellement », sa communauté de Thessalonique, divisée par l’action du judaïsme extrême.
Daniel Marguerat
« Gardons-nous de l’anachronisme consistant à juger une parole du haut de deux millénaires d’antisémitisme »
Cependant, il nous faut être aujourd’hui très vigilants pour lutter contre la manipulation de la pensée paulinienne au service de la justification de discriminations injustifiables.
Prenons la route vers Corinthe pour découvrir la complexité de « cet enfant terrible du christianisme ».
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Merci Guy ! C’est intéressant de lire cela avec un vocabulaire moderne ! Marguerite