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Le Livre de l’Exode : chronologie et traces -1-

Le livre de l’Exode raconte-t-il du réel ?
Il faut aujourd’hui le décaper de bien des aspects miraculeux, ce qui a l’avantage inattendu de permettre de discerner son importance fondatrice depuis Josias (VIIème siècle) jusqu’au retour de Babylone, vrai miracle historique qui eut lieu en 538, quand les Judéens rentrèrent de déportation pour refonder leur royaume.
Il ne s’agit pas que de déconstruire ce livre, selon le mot à la mode, c’est pourquoi ce voyage se fera en trois ou quatre étapes qui permettront de cerner peu à peu les intentions de ceux qui l’ont écrit, sa valeur profonde pour le groupe qui l’a utilisé comme référence, et progressivement de montrer les éclairages venant de l’Évangile, pour un chemin de vie.

Quelques informations d’ordre chronologique, touchant en fait des sujets de fond :
Selon le livre biblique 1 Rois, cet exode aurait eu lieu quatre cent quatre-vingts ans avant que le roi Salomon ne construisît le Temple à Jérusalem : cela fait supposer entre 1480-1200 avant notre ère. On a trouvé un manuscrit égyptien de 1900 qui y a fait penser un temps 1. Mais les travaux de Finkelstein, entre autres, contredisent cette datation et ce récit tout en concédant que, comme toute épopée, il peut avoir été inspiré par tel ou tel souvenir 2 des Habiru ou Apirou au XXème-XVème siècles, ou encore par des combats dans des zones de Canaan/Philistie/proto-Israël soumises alors, pense-t-on, aux Égyptiens.

Les textes eux-mêmes vont dans le même sens :

1°) Le prophète Osée (750 av. J.C.) connaissait bien les traditions sur Jacob (voir au chapitre 12), évoque l’Égypte mais ignore les aventures de l’Exode et même Moïse (Osée 12,14 et Osée 12, 9). Tout cela plaide contre l’existence avant 750 de tout récit concernant un exode emmené par Moïse.

 2°) Absence de lien entre Genèse et Exode
Seules deux brèves évocations font le lien entre le livre de la Genèse et celui de l’Exode (Ex 2,24 ; 6,2-8). Alors que Dieu vient de se révéler comme celui des trois patriarches (Ex 3,6.15.16 ; 4,5), un passage évoque une « terre où coulent le lait et le miel » (Ex 3,8.17) sans faire référence à cette Terre promise. Quasiment aucune citation la concernant dans les discours de Moïse. Leur absence de lien est due au fait que leurs écritures furent plus ou moins contemporaines et presque indépendantes.

3°) Certes ce livre vise un certain réalisme plausible et logique, mais il a « oublié » de donner les détails attendus, vérifiables, (situation spatio-temporelle, noms des Égyptiens…) : il a sans doute eu d’autres objectifs et besoins, – nous y reviendrons.

4°) Genèse et Exode témoignent de deux cheminements spirituels différents (qui convergeront) :  
– l’un, la Genèse, est fondé sur un principe identitaire généalogique, héréditaire et donc ethnique : on est descendant précisément d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ;
– l’autre, l’Exode, repose sur une adoption réciproque Dieu-peuple, mais c’est un Dieu exigeant qui demandera des comptes concernant l’observance de la loi proposée. La figure principale est Moïse.
L’un a pour mots-clés : Jacob, patriarcat, traces de polythéisme ; et l’autre : Israël, prophète, un seul Dieu.

C’est en ce sens qu’on peut parler de deux « mythes de fondation », le terme mythe étant à prendre ici dans son acception la plus large, c’est-à-dire récit ancien sur les origines, construisant un groupe. Ils proviennent d’objectifs différents et auront des conséquences différentes en matière de religion et de société, et c’est ce qui sera étudié dans une seconde étape.

Avoir laissé coexister ces différentes approches montre l’intelligence réaliste et l’honnêteté du peuple hébreu à ce sujet. Même s’il a existé plus tard des interprétations anachroniques et/ou anhistoriques relevant de la gnose ou d’un hyper-symbolisme, avoir assumé de façon transparente des réflexions différentes lui a permis entre autres d’éviter la tentation du fondamentalisme pendant des siècles, (et devrait pouvoir le lui permettre encore). Et ceci à une époque où déconstruire un texte n’était pas encore la mode !

On s’accorde donc sur le fait que ce Livre a été commencé au plus tôt par Josias au VIIème siècle, et complété pendant la déportation à Babylone (597) et après le retour sur la terre de leurs ancêtres, – soit en 538, voire après.

Un peu comme les Pisistratides le feront à Athènes au VIème siècle pour l’Iliade et l’Odyssée, qui leur serviront de facteur culturel d’unité, des rois comme Josias et Ezéchias, des prophètes et des scribes ont mixé des souvenirs divers (traditions anciennes locales de domination égyptienne et de rébellion, souvenirs araméens, influences reçues lors de l’exil à Babylone…) pour concocter un livre et un récit confortant la puissance et l’identité de leur peuple à travers la religion qui l’a uni.

A suivre :
– Des bizarreries bien significatives
– Une couleur démocratique ?

  1. https://recherches-entrecroisees.net/2024/02/25/quel-rapport-entre-les-10-plaies-degypte-et-les-catastrophes-enumerees-par-ipuwer-vers-1900-av-j-c/ ↩︎
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Livre_de_l%27Exode ↩︎
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Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

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