Les chrétiens palestiniens dénoncent le génocide * à Gaza et la colonisation accélérée de la Palestine, par des voies non-violentes et avec détermination : la prière œcuménique, la solidarité entre les Palestiniens de toutes confessions, la recherche de la vérité. Face à l’aggravation de la situation, ils exhortent les chrétiens du monde à rompre le silence des médias, des politiciens et des responsables religieux. Avec, pour ces derniers, un message fort : « Si vous voulez rester fidèles à l’Évangile, dites la vérité !
génocide* : qualification en cours d’étude à la CPI
Le 6 juin 2024, devant 130 participants individuels ou représentants d’Églises et d’associations, les Amis de Sabeel France[1] et des ONG chrétiennes membres de la Plateforme pour la Palestine ont organisé un webinaire avec trois figures éminentes de Sabeel Palestine : Sa Béatitude Michel Sabbah, patriarche latin émérite de Jérusalem, le révérend Munther Isaac, pasteur de l’église luthérienne de Noël à Bethléem[2] et Omar Haramy, directeur de Sabeel Jérusalem.
Les chrétiens de Palestine, horrifiés par la démesure et la cruauté des représailles israéliennes aux attaques sanglantes du Hamas le 7 octobre 2023[3], sont victimes, autant, sinon plus que leurs compatriotes musulmans, des attaques des soldats et des colons israéliens. Malgré tout, ils ne cessent pas de travailler au soulagement de la population, tant chrétienne que musulmane, ainsi qu’à la recherche et à la diffusion de la vérité sur le colonialisme israélien, l’apartheid, l’instrumentalisation des textes bibliques par les sionistes extrémistes juifs ou chrétiens – qui sont autant d’obstacles à l’avènement d’une paix juste dans la région. Ils sont particulièrement affectés et déçus par le manque d’intérêt, voire le mépris, des Églises chrétiennes occidentales envers leurs souffrances, leurs aspirations et leurs contributions à la paix et à la justice.
Avec sa culture religieuse et historique, son expérience à la tête de l’Église latine (1987-2008) et de Pax Christi (1999-2010), sa force morale et sa puissance de conviction, Mgr Michel Sabbah rappelle des vérités simples, parfois oubliées ou volontairement cachées en Occident.
Pour parvenir à la paix et à la réconciliation des deux peuples, israélien et palestinien, il ne faut pas qu’une partie veuille dominer l’autre. La voie à prendre est celle de la vérité, sans masque ni tabou. Avec une constante : l’égalité de tous les êtres humains devant Dieu. « Nous sommes également créés par Dieu et nous avons les mêmes droits humains. » Pourtant les Israéliens disent aux Palestiniens qu’ils n’ont pas le droit de vivre là où ils vivent depuis des siècles, voire des millénaires. « Notre unique faute à nous les Palestiniens, c’est d’exister. » Peut-on faire pire injustice et pire violence ?
Quant à la promesse divine de la terre, Michel Sabbah est très clair : « Quand on fait entrer Dieu dans ce conflit, il faut interpréter sa parole suivant sa nature. » Or Dieu est amour et pas Dieu de guerre. « Quoi que dise l’Ancien Testament, Dieu amour ne peut demander à quiconque de tuer un autre peuple, que ce soit dans l’histoire ancienne ou aujourd’hui. » Sont visés non seulement les extrémistes juifs dont s’inspirent Benyamin Netanyahou et ses ministres, mais aussi les chrétiens sionistes millénaristes qui dénaturent l’Ancien Testament et encore plus l’Évangile. On pense à la rhétorique religieuse de ce gouvernement, en manque d’arguments raisonnés pour légitimer la politique d’Israël depuis sa création, qui justifie le massacre des Gazaouis (et par anticipation celui de tous les Palestiniens) en invoquant la malédiction d’Amalek [4]. Il s’agit de culpabiliser les Palestiniens en les rendant bibliquement responsables de crimes historiques dont ils ne sont pas coupables, en particulier l’antisémitisme séculaire des Européens et leur colonialisme (dont les Israéliens ont stratégiquement intérêt à disculper l’Occident). Et Mgr Sabbah de conclure avec sagesse : « Voilà la solidarité que je demande à chaque chrétien : travailler pour la vérité des deux peuples, pour la réconciliation des deux peuples, pour la sécurité, la paix, la liberté des deux peuples. »
Le pasteur Munther Isaac, avec l’énergie de sa jeunesse, sa culture biblique et sa grande expérience pastorale, est sur la même ligne[5]. Concernant Gaza, il salue « le courage de Sa Béatitude qui a qualifié ce qui se passe de guerre génocidaire. » Il incite les chrétiens du monde à « le dire aussi clairement », à ne plus tenir un langage en demi-teinte et à parler en vérité. Il insiste sur la situation tragique de la Cisjordanie, occultée par les événements de Gaza (dont profitent les colons appuyés par l’armée pour multiplier les vols de terres, les destructions de maisons, les violences contre la population palestinienne, toujours au nom d’un Grand Israël soi-disant prévu par la Bible). Munther Isaac incrimine l’Occident non seulement pour sa passivité face aux massacres, mais aussi pour sa complicité (financements, ventes d’armes, etc.) dont il devra rendre compte. Il demande que « ces mêmes Églises qui ont condamné les attaques du 7 octobre condamnent aussi les crimes et les atrocités que commet Israël. » Dans son désormais célèbre sermon de Noël du 23 décembre 2023, intitulé « Le Christ dans les décombres », Munther Isaac érige Gaza en « boussole morale du monde » et met en garde les Européens : « Amis européens, je ne veux plus jamais vous entendre nous donner des leçons sur les droits de l’homme ou le droit international. Malgré l’immense coup que nous avons subi, nous nous relèverons, comme nous l’avons toujours fait, nous les Palestiniens. Mais vous qui êtes complices, pourrez-vous vous en remettre ? »
Un message en voie d’être entendu ? Les Églises chrétiennes s’acheminent-elles vers le statut confessionis réclamé par les chrétiens palestiniens ? Cette position ferme sur un thème essentiel, grâce à laquelle l’Église, en restant fidèle à l’Évangile, sauve son honneur et sa mission, a une histoire récente : le premier statut confessionis a été pris en 1934 par des Églises protestantes allemandes contre les lois antijuives des nazis, un second dans les années 1980 pour s’opposer à l’apartheid sud-africain. En France, les principales Églises ont fini par réagir, même a minima, souvent sous la pression de leur base et des membres les plus jeunes. Qu’on en juge par le communiqué de presse de la Conférence des évêques de France le 19 juin dernier : « Nous aurons à vouloir que notre pays honore ses engagements et serve la paix et la justice dans le monde. Nous aurons toujours à nous garder de la violence, à veiller à ne pas diffuser la colère et la haine, à ne pas nous résigner à l’injustice mais à lutter pour la justice par les moyens de la vérité et de la fraternité. » Le 2 mai, le second successeur de Mgr Sabbah à la tête du patriarcat latin de Jérusalem, Mgr Pierbattista Pizzaballa, avait appelé au pardon dans la vérité et la justice, insistant sur l’importance de travailler pour « un cessez-le-feu comme premier pas vers d’autres perspectives politiques qui sont cependant toutes à construire ». Il avait évoqué la faiblesse de la communauté internationale et invité les religions à « ne pas jeter de l’huile sur le feu ».
Cependant, pour Omar Haramy, directeur de Sabeel Jérusalem, l’injustice et la cruauté de la politique israélienne envers les Palestiniens sont telles qu’elles risquent de semer « des graines qui malheureusement ne vont pas éclore en un avenir meilleur parce que les gens ont perdu l’espoir dans le monde occidental et dans la communauté internationale. » Pour lui, trois pas seraient nécessaires pour éviter ce sombre avenir. D’abord que tous les peuples qui commettent ces péchés, quels qu’ils soient et en l’occurrence Israël, fassent leur confession devant Dieu et demandent pardon. Ensuite que l’on reconnaisse que le mal est perpétré non seulement par Israël mais par des dirigeants du monde complices ou indifférents. Enfin que l’on qualifie correctement ce mal, en analysant sérieusement ses racines historiques, politiques et idéologiques.
On en revient au « moyen de la vérité » évoqué par Michel Sabbah et Munther Isaac. C’est ce qui nous mobilise aux Amis de Sabeel France, au GAIC et au groupe Gaza de Saint-Merry Hors-les-Murs. En témoigneront les initiatives en cours et à venir.
Laurent Baudoin
Administrateur des Amis de Sabeel France et du GAIC, membre de Saint-Merry Hors-les-Murs.
[1] ADSF, association œcuménique qui développe des liens de solidarité avec les Églises de Palestine-Israël, fait connaître dans le monde francophone la réflexion théologique, le témoignage et la résistance non-violente de ces chrétiens contre l’apartheid et pour une paix juste.
[2] Fondateur du mouvement Christ at the checkpoint, placé sous l’égide du Collège biblique de Bethléem qu’il dirige, dont les membres veulent mettre l’enseignement de Jésus au cœur de leur vie, en exprimant notamment une même compassion pour les Arabes palestiniens et les Juifs israéliens.
[3] L’attaque du 7 octobre aurait tué environ 500 soldats et 700 civils israéliens, et fait environ 200 otages ; début juin 2024, le bilan de la réplique israélienne serait de près de 40 000 morts palestiniens (en grande majorité des civils, surtout des femmes et des enfants – chiffres à confirmer par des enquêtes internationales), sans compter les nombreuses victimes des soldats et des colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.
[4] https://aurdip.org/linvocation-damalek-en-israel-de-la-rhetorique-religieuse-extremiste-au-projet-totalitaire-culminant-dans-le-genocide-de-gaza/
[5] Voir aussi le livre de Munther Isaac, L’Autre Côté du mur, 2023. Contact : baudoin-laurent@wanadoo.fr ou redaction.golias@orange.fr
La situation de la guerre israélo-palestinienne est connue dans ses moindres détails, il suffit de lire la presse d’écouter les médias, d’entendre les témoignages, croire qu’en Europe nous sommes ignorants participe d’une illusion politique. La responsabilité politique pèse sur les épaules et les consciences des acteurs eux-mêmes, aucune libération de la Palestine viendra de l’extérieur. Prenez l’exemple de l’apartheid Sud-africain, ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont imposé leur solution politique.
La bonne question à se poser c’est : pourquoi les palestiniens n’ont-ils pas d’autres voix que celle du Hamas ?
En Israël il existe une population qui résiste à la guerre, il existe des personnes, des groupes qui ont un autre projet politique , qui s’oppose à la colonisation, pour le moment ce sont les seules forces qui incarnent l’avenir.
Les USA font ce qu’ils peuvent pour enrayer cette guerre mais ils sont EXTERIEURS, la politique internationale est vouée à l’impuissance, aux Bonnes Paroles, comme dans toutes les guerres civiles elle est hors-jeu, elle ne peut intervenir qu’à la marge.
Nous sommes peut-être ignorants d’un fait politique : existe-t-il une résistance palestinienne , une force qui incarne un projet d’émancipation, libérateur de l’esclavage qui permette de franchir la Mer ?