Quelques jours avant le début du récent conclave, une partie de la presse italienne, souvent inféodée à Meloni, avait accusé Emmanuel Macron de vouloir circonvenir les cardinaux électeurs. Macron veut même choisir le pape titrait La Verità, et Il Tempo écrivait même que La grandeur de Macron n’avait pas de limites et que son interventionnisme était digne d’un Roi-Soleil moderne. Rien que ça. Lors de son séjour à Rome, le chef d’État français avait d’abord rencontré Andrea Ricardi, l’un des fondateurs de Sant’ Egidio, avant de convier le 26 avril à un dîner quatre des cinq cardinaux français électeurs à la villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France auprès du Saint-Siège. Si le président Macron souhaitait suggérer un vote aux invités, l’élection de Robert Prevost n’était peut-être pas le résultat attendu si tant est qu’il y en eût un. Mais la volonté d’influencer des votes s’est trouvée clairement manifestée par certaines manœuvres de milieux conservateurs, notamment  américains, qui menacèrent de publier une fiche à charge sur les cardinaux papabili, alors que d’autres firent courir le bruit début mai de la crise grave d’hypertension de Pietro Parolin lors des congrégations préliminaires, alors qu’une ONG l’attaquait pour sa dissimulation des dossiers sur la pédocriminalité galopante des clercs. Le fait est que, donné favori, il ne fut pas élu.

Cet interventionnisme extérieur n’est en rien nouveau et ne doit pas grand-chose à notre président ou aux réseaux sociaux. Au moins depuis le VIe siècle, le pouvoir politique est souvent intervenu directement dans l’élection pontificale. Et ce, de deux grandes manières. La première mobilisait la force comme la déposition pure et simple du pape Silvère en 537 par Bélisaire, militaire byzantin entré dans Rome quelques mois avant. Ou encore l’intervention directe de la noblesse romaine qui imposa, après un imbroglio caractéristique, l’élection de l’archevêque d’Ostie en 1124, Honorius II. Que dire de la décision du comte de Poitiers, Philippe V le Long, d’enfermer les électeurs dans le couvent des Dominicains de Lyon en juin 1316 pour qu’ils désignent le futur Jean XXII ?

La seconde forme d’intervention, reléguant quelque peu la première, eut surtout cours du XVIe siècle à 1903. Il s’agissait d’un droit de veto ou plutôt d’un pouvoir sans fondement juridique mais « comme une tolérance prudente consentie par les papes » (Yves Chiron) que s’étaient arrogé l’Empereur, le roi de France et le roi d’Espagne, moins pour favoriser tel ou tel prétendant que pour empêcher son élection. C’était aussi une manière pour les souverains de s’opposer les uns aux autres par cardinaux interposés. Si Charles Quint a toujours soutenu les cardinaux Médicis contre les Français, il ne put empêcher l’élection de Paul IV en 1555. A sa suite, l’ingérence appuyée des rois d’Espagne inquiéta et la papauté et d’autres souverains, dont Henri IV. D’autant qu’une commission ad hoc réunie par Philippe II avait précisé que « le roi catholique pour sauvegarder ses intérêts peut licitement exercer son influence sur l’élection du pape ».

Conclave de 1903, auteur inconnu (Wikimedia Commons)

Quelle que soit la nation interventionniste, le modus operandi était le même. L’exclusive était toujours portée au début du conclave par un cardinal désigné par le monarque influenceur. Mais elle ne pouvait fonctionner que si un nombre important d’électeurs acceptaient de l’appuyer. Et encore… Ambassadeur à Rome au moment du conclave de 1829, alors qu’il durait depuis trois semaines, Chateaubriand écrit à son ministre : « Il faut que j’agisse sur un corps invisible, enfermé dans une prison dont les abords sont strictement gardés. Les passions caduques d’une cinquantaine de vieillards ne m’offrent aucune prise sur elles. J’ai à combattre la bêtise des uns, l’ignorance du siècle des autres, le fanatisme dans ceux-ci et la duplicité dans ceux-là ». La fin de cette étrange pratique  courut jusqu’à l’élection de Sarto en 1903 (futur Pie X) contre Rampolla que l’Empire austro-hongrois estimait trop favorable à la Russie. Devant le scandale provoqué par cette intrusion mais qui n’était pas nouvelle, le pape mit fin définitivement au droit de veto en janvier 1904.

Pour autant, on ne peut nier que depuis cette date, le corps cardinalice n’ait pas été seulement sensible qu’au souffle de l’Esprit Saint. Probablement davantage que les hommes politiques ou les réseaux sociaux, les réalités du monde, les fractures et les besoins impératifs de l’Église, la poursuite ou non des inflexions du pontificat précédent, ont tenu et tiennent désormais la place des influenceurs de jadis. N’en déplaise au vice-président américain et au ci-devant Donald 1er.

Plafond de la Chapelle Sixtine (Wikimedia Commons)

Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

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