L

L’Église a besoin de nouvelles pages blanches

Pour certains, toutes les pages ont déjà été écrites et l’Église n’a qu’à se référer au passé pour aller vers l’avenir. C’est ce que le pape François appelle « regarder dans le rétroviseur ».

Pourtant les signaux d’alerte et les causes d’inquiétude sont multiples, avec l’effritement du clergé, la désertification de nombreuses églises et « la disparition progressive des cheveux gris ». Tout comme en matière de changement climatique, les risques d’effondrement se multiplient et deviennent patents pour ceux qui acceptent d’ouvrir les yeux. Mais la peur de l’imprévu, la force des habitudes, le manque d’audace et la crainte révérencielle envers le sacré, freinent l’inventivité. Ce n’est pas seulement de capacité d’adaptation que l’Église a besoin pour continuer à porter l’Évangile au cœur de l’histoire humaine : c’est d’une forme de conversion, une conversion à l’audace de la page blanche.  

Au premier siècle, l’Église n’est pas tombée du ciel, toute faite. Quoi qu’en pensent certains, pour qui les messes du dimanche, les sacrements et l’organisation hiérarchique semblent directement hérités de l’Évangile, tout était à faire. Les apôtres ont dû se mettre en route et partir, comme Abraham, « sans savoir où ils allaient ». À la Pentecôte, l’Esprit Saint les avait poussés à quitter le relatif confort du Cénacle, où ils vivaient un entre-soi craintif, pour aller au dehors risquer une parole neuve au milieu du rassemblement international, à Jérusalem, des Juifs et des prosélytes.
Ils se mirent en route, souvent deux par deux, comme Jésus leur avait dit de le faire, lorsqu’il les envoyait en avant de lui.
À travers les Actes des Apôtres et les Lettres de Paul, on voit bien comment, en s’appuyant au départ sur le réseau des synagogues de la diaspora juive et en s’inspirant d’elles, se sont créées et organisées des communautés nouvelles où la Parole partagée a fait naître des relations nouvelles entre hommes et femmes de toutes origines.

Mgr Marty

J’ai eu la chance de participer, avec d’autres, à l’écriture d’une page blanche.  Lorsque Monseigneur Marty, en mai 1975, a fait le pari de nous confier, à Xavier de Chalendar et à moi, l’église Saint-Merry pour en faire … Quoi donc ? Il n’en savait rien, nous a-t-il dit, mais qu’il nous faisait confiance pour :

« inventer des modes nouveaux pour l’Église de demain
et les mettre en œuvre dans un secteur pastoral non territorial. »


La lettre de mission qu’il a confiée à notre petite équipe ne nous disait pas quoi faire, mais formulait un objectif : inventer un nouveau visage d’Église et le mettre en œuvre dans un secteur de Paris en pleine transformation. Saint-Merry était notre point d’appui, au sein d’un “Secteur Pastoral Halles Beaubourg”, dont Xavier était nommé responsable. Y figuraient notamment Saint-Gervais, avec le projet des « moines dans la ville », et Saint-Leu Saint-Gilles.

Inventer : c’était passionnant et d’autant plus précieux et jubilatoire que c’était rare. Nous ne manquions pas d’idées, mais nous avions plus de questions et d’interrogations que de certitudes. Et un défi à relever.

Nous avons choisi de ne pas démarrer tous seuls et nous nous sommes même dit : « Il est urgent de ne rien faire ! ».
Pourquoi ? D’abord pour prendre le temps de réfléchir et de consulter ceux qui étaient intéressés par ce défi et cette possibilité d’inventer. La table de Saint-Merry a servi à cela : repas partagé et réflexion tous azimuts. Ensuite, pour associer des laïcs à la co-responsabilité de ce projet. Notre expérience dans les aumôneries de lycée et d’université nous avait fait percevoir la fécondité de ce partage. Au point d’en faire, à nos yeux, la priorité des priorités.
Nous nous sommes donnés un an pour faire naître une première communauté. À partir d’une célébration, le mercredi soir, et d’un pique-nique partagé, un premier groupe a pris forme. Avec Marie-Luce Brun, puis Alain de la Morandais, qui s’était joint à nous, une équipe pastorale cooptée, comportant une majorité de laïcs, s’est esquissée.

Mots déposés par une équipe pastorale lors de son installation, 2021

Une assemblée générale, en juin 1976, a permis d’associer le maximum de personnes au choix des réalisations à venir et de faire confirmer, par l’assemblée, l’équipe pastorale co-responsable. Inventer, oui, mais ensemble, grâce au vide offert par cette page blanche. (voir “Les débuts du CPHB”)
Ce fut un temps fort et heureux, avec le bonheur de créer ensemble, en faisant de Saint-Merry un lieu d’accueil le plus large possible, où l’art, la musique, les droits de l’homme, la solidarité et le partage des luttes, le dialogue entre personnes de civilisations différentes, avaient leur place.

Anne Gratadour, Résurrection, 2014, Saint-Merry

Créativité liturgique
pour sortir des stéréotypes et des rituels rigides, en faisant de la Parole une parole partagée et de la communion une rencontre, avec le Christ mais aussi les uns avec les autres.


Créativité des expositions,
parole au passant et à l’inconnu.
La vie n’était plus dehors, mais entrait à flots.

Jacques Chonchol
Jacques Chonchol

Dès la première année, la rencontre de Jacques Chonchol nous a sensibilisés à ce qui se passait au Chili, et une forte solidarité avec l’Amérique Latine, dans laquelle je me suis trouvé fortement impliqué,
s’est développée très vite.

Plutôt que de prioriser nos projets personnels, nous avons choisi d’être attentifs aux signes des temps, aux appels et aux attentes que nous percevions, que ce soit en matière artistique et culturelle, dans la quête de sens de beaucoup, ou la recherche d’un nouveau visage d’Église.

Nous avons été nombreux à contribuer à l’écriture de cette page blanche, chacun apportant son expérience et ses idées, sa compétence et ses questions, ses désirs et ses relations. Avec l’Évangile comme boussole, un Évangile partagé, à la compréhension duquel chacun apportait sa part. Dans un esprit qui rejoint l’accent mis aujourd’hui sur la synodalité, c’est-à-dire en cheminant ensemble, en faisant droit à la parole de tous, dans un équilibre nouveau entre laïcs et prêtres, en véritable co-responsabilité (une mission renouvelée en 2024).

Pendant plusieurs années, des rencontres régulières ont permis un travail en commun au sein du « Secteur Pastoral Halles-Beaubourg ». Encore fallait-il que tout le monde joue le jeu. S’il s’était poursuivi, il aurait pu aider à la résolution de problèmes qui se sont posés ensuite, par exemple à Saint-Gervais avec les Fraternités de Jérusalem.

Entre 1975 et 1981, nous avons rencontré souvent Monseigneur Marty et Georges Gilson. Ils nous ont, à chaque fois, renouvelé leur confiance. Je me souviens qu’un jour Monseigneur Marty nous a dit : « Je ne pouvais pas vous dire ce qu’il fallait faire. Mais quand je vois ce qui prend forme, cela correspond bien à la mission que je vous ai confiée. »   

Cette expérience et des recherches de ce type se prolongent aujourd’hui, à Saint-Merry Hors-les-Murs et ailleurs. Car le nouveau visage de l’Église est toujours à inventer, aujourd’hui encore plus qu’hier. L’insistance actuelle sur la synodalité est une invitation officielle à aller dans ce sens, en profitant de nouvelles possibilités et en faisant preuve d’audace. Les obstacles et les freins sont extrêmement forts. Mon espérance est que puissent s’ouvrir de nouvelles pages blanches. Car les forces sont là : beaucoup, et une majorité de laïcs, sont prêts à participer à ce travail d’invention et de création, en y mettant leur expérience, leur intelligence, leur cœur et leur foi.

Pour susciter de nouvelles formes de communautés
porteuses d’Évangile dans tous les coins du monde,
au service de tous les hommes.

Photo Karolina Grabowska sur Pixabay
Jean-Claude Thomas

Co-fondateur du Centre Pastoral Halles-Beaubourg, avec Xavier de Chalendar, de 1975 à 1983. Particulièrement impliqué dans les relations de solidarité et la défense des Droits de l’Homme.
Président de l'Arc en Ciel de 2003 à 2024, il a invité fréquemment Joseph Moingt et cherche à mieux faire connaître aujourd’hui l’œuvre de ce grand théologien.

  1. margueritedesmondes says:

    Article passionnant pour qui aime savoir comment naissent les choses ! Connaître ce dynamisme est… dynamisant. Chaque instant peut être pour nous une page blanche (et non une supposée future feuille more ..)

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.