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Quel avenir pour le Centre pastoral ?

Après la décision de l’archevêque de Paris de supprimer le Centre pastoral,
Jean de Savigny s’interroge sur les missions des acteurs des paroisses, prêtres et laïcs. Comment peuvent-elles évoluer, compte tenu d’une évolution démographique inéluctable du nombre de prêtres ? Quel que soit son avenir, le Centre pastoral devra ouvrir ce dialogue.

Vers une alternative à la co-responsabilité ?

            Il est encourageant que la décision du 7 février 2021 supprimant le Centre pastoral ne s’appuie nullement sur une divergence dogmatique mais seulement sur une supposée absence de charité à l’égard des curés nommés à Saint-Merry. De même l’interdiction de la célébration dominicale n’est pas présentée comme la sanction d’une dérive des célébrations liturgiques, mais la simple conséquence d’une « blessure de la communauté ecclésiale ». Ce constat qui ne met pas en cause le fond de l’activité du Centre nous incite à envisager librement pour lui un nouvel avenir.

            Auparavant, il est permis de regretter que, plutôt que de faire porter toute la responsabilité de la situation actuelle sur les laïcs qualifiés de méchants, l’archevêque ne se soit pas interrogé, de son côté, sur la procédure de désignation des curés ? S’était-on assuré que ceux-ci possèdaient bien le profil correspondant à cette paroisse atypique ayant l’ambition de fonctionner sous le régime d’une coresponsabilité clercs/laïcs. À l’instar de ce qui se passe ailleurs, ils se sont donc considérés comme investis de la responsabilité de tout le fonctionnement de la paroisse vis-à-vis des pouvoirs civils comme religieux, attendant donc des paroissiens qu’ils reconnaissent leur pleine autorité. Il n’est pas surprenant que ce malentendu ait débouché sur des tensions internes, un mal-être des curés et finalement une rupture.

            À quelle réflexion nous poussent maintenant ces faux pas ? Rappelons que les paroisses sont le cadre traditionnel de distribution de biens immatériels que viennent y chercher les fidèles : s’assembler, célébrer, prier, étudier, exercer la charité ensemble, etc. Parmi ces biens, le sociologue (et prêtre) Nicolas de Brémond d’Ars(1) distingue ceux issus de ce qu’on appelle le septénaire sacramentel (la liste des sept sacrements « laborieusement élaborée concile après concile ») dont la distribution est dévolue aux clercs, et ceux, qualifiés de baptismaux, distribuables par les laïcs en vertu de leur statut de baptisés.

             Historiquement, les fidèles, organisés en « confréries » distribuant les biens et services sacramentaux, se sont vus dépouillés de cette charge à la suite de la réforme grégorienne (XIème siècle) visant à corriger les mœurs des clercs afin de mieux encadrer la société laïque.

            Les prêtres sont alors devenus omniprésents dans la vie paroissiale et responsables de toutes les manifestations : célébrations et distribution des sacrements, bien sûr, mais aussi activités adjacentes : enseignement, animation de jeunes, action sociale, loisirs populaires, gestion du patrimoine, etc. Rien ne pouvait être entrepris sans eux. Il y avait confusion entre autorité spirituelle et exercice du pouvoir local. Certains fidèles, choisis par les clercs, exerçaient, certes, des responsabilités, mais toujours par délégation du prêtre. Ce modèle monopolistique où l’autorité descend de l’évêque vers le curé puis de celui-ci vers quelques laïcs « cléricalisés » et vers l’ensemble des fidèles s’est maintenu tant que la population des prêtres était importante, soit jusqu’au milieu du XXème siècle. Marquant encore fortement les esprits aujourd’hui, il semble même renforcé depuis que Vatican II inspire moins la pratique de l’Église.

            Pourtant, parallèlement, des théologiens s’interrogent sur la structure de la paroisse ; des diocèses expérimentent des organisations où s’esquisse un nouvel équilibre entre la place des laïcs et celle du prêtre. Nul doute que les prises de position du pape François ne stimulent ces recherches. De nouveaux modèles se dessinent où les « biens baptismaux » seraient distribués par des laïcs élus, désormais investis d’une autorité « sacrale », tandis que les biens cléricaux seraient distribués par des clercs tirant leur autorité non d’une fonction de direction territoriale mais d’un statut « d’envoyés » de l’évêque autour duquel ils constitueraient une communauté.

            De tels changements, si contraires à nos habitudes, ne se conçoivent pas sans âpres débats. Beaucoup de curés, beaucoup de nouveaux prêtres s’inquiètent de perdre leur autorité sur les fidèles et craignent d’être éloignés des contacts directs. Pourtant, une distinction plus claire entre la charge de gestion patrimoniale et de distribution de biens baptismaux – revenant aux laïcs – et celle d’administration des sacrements dévolue à un envoyé de l’évêque nous rapprocherait de l’image  d’une Église primitive pérégrine. Elle amènerait inévitablement à revoir le contenu (qui n’a rien de dogmatique) du fameux septénaire en le ramassant sur l’essentiel et en élargissant le domaine des biens baptismaux passant sous la responsabilité des laïcs.

            Certes, une telle orientation ne va pas dans le sens de la coresponsabilité si obstinément recherchée à Saint-Merry. Mais peut-être doit-on reconnaître qu’il était utopique d’imaginer qu’une responsabilité puisse être exercée en commun sans tension et disputes.

            Quoi qu’il en soit, ce que Mgr Aupetit n’a pas pris en compte dans sa décision du 7 février, c’est que l’évolution démographique du clergé conduit inéluctablement à repenser l’organisation des paroisses et donc à mettre en question le pouvoir actuel des curés, question qui est pourtant en débats actuellement dans le diocèse de Paris. Rappelons que dans les 20 dernières années, l’effectif des prêtres français a diminué de plus de 50 %, passant de 29.000 à 12.000 environ dont la moitié dépasse 75 ans. À Paris qui compte 106 paroisses, l’évolution est parallèle : il n’y reste plus aujourd’hui que 574 prêtres incardinés (rattachés au diocèse de Paris) ; pour une ordination annuelle, on y compte six décès. À l’évidence, d’ici quelques années, l’archevêché ne pourra plus fournir de prêtres à certaines paroisses dont les membres chercheront alors désespérement des animateurs laïcs. Etait-ce bien le moment de priver la petite paroisse de Saint-Merry de la coopération dynamique de la communauté du Centre pastoral ?

            Un dialogue avec cette paroisse pour imaginer ensemble un mode nouveau de vie paroissiale est-il encore possible ? Pour y parvenir, il faudrait réunir à la fois le désir des paroissiens, l’encouragement de l’archevêque et la résolution des membres du centre pastoral d’entreprendre une réflexion sur une mise à jour de la mission du cardinal Marty, prélude à un nouveau départ. Si cette co-entreprise ne se réalise pas à Saint-Merry (ce que je regretterais vu notre riche histoire dans ce lieu et les liens qui nous y unissent avec les paroissiens), nous ne pourrons, en tout état de cause, nous dispenser d’un tel dialogue avec la paroisse qui nous accueillera, dans la perspective d’une nouvelle répartition des responsabilités telle qu’elle est imaginée ci-dessus.

Jean de Savigny, 21 mars 2021

            (1) cf. la réorganisation des paroisses en France (Lumen vitae 2012/1, vol.LXVII)

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