Figure populaire, homme juste, Noé devient le père d’une nouvelle humanité. Décryptage par Jesús Asurmendi

La figure de Noé est bien connue du public. Il n’y a pas si longtemps un film était consacré au déluge et Noé figurait au premier plan. Le pauvre. Car le film était, à mon avis, très mauvais. Le récit biblique du Déluge fait partie des narrations folkloriques très répandues. C’est la plus fréquente dans l’ensemble des civilisations planétaires. Les plus proches sont, évidemment, les traditions mésopotamiennes, celle de l’Enuma Elis et celle d’Atra-hasis.
Parce que Noé est juste au milieu d’un monde pourri par la violence et le mal.

« Le Seigneur vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre,
et que toutes les pensées de son cœur se portaient uniquement vers le mal à longueur de journée.
Le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre ;
il s’irrita en son cœur et il dit : « Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés. »
(Gen 6, 5-6)

Léonard de Vinci, Un déluge, dessin à la plume et au crayon, 1517-1518, Royal Collection

Mais Noé trouva grâce aux yeux du Seigneur. Il est donc sauvé du déluge et devient, par ses fils, le père de la nouvelle humanité. Il est l’inventeur de la culture de la vigne et le protagoniste de la première cuite. Célèbre pour cela en fonction du principe « vaut mieux ivrogne connu qu’alcoolique anonyme » (Gen 9,20-29). Dieu lui fait une promesse substantielle :

« Voici que moi, je vous fais cette promesse, à vous et à votre descendance après vous, et à tous les êtres vivants qui sont avec vous : les oiseaux, le bétail, toutes les bêtes de la terre, tout ce qui est sorti de l’arche. Oui, je vous fais cette promesse: aucun être de chair ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n’y aura plus de déluge pour ravager la terre. » Dieu dit encore : « Voici le signe de la promesse que je vous fais, à vous et à tous les êtres vivants qui sont avec vous, pour les générations à jamais : je mets mon arc au milieu des nuages, pour qu’il soit le signe de la promesse que je fais à la terre. Lorsque je rassemblerai les nuages au-dessus de la terre, et que l’arc apparaîtra au milieu des nuages, je me souviendrai de ma promesse que je vous ai faite à vous, et à tous les êtres vivants : les eaux ne se changeront plus en déluge pour détruire tout être de chair. L’arc sera au milieu des nuages, je le verrai et, alors, je me souviendrai de la promesse. »
(Gen 9, 8-16)

Sortie de l’arche de Noé, chapelle palatine de Palerme, fin XIIe siècle

Noé est le bénéficiaire d’une dérogation divine de grande signification ; dorénavant il peut consommer la viande mais pas le sang.
« Tout ce qui va et vient, tout ce qui vit sera votre nourriture ; comme je vous avais donné l’herbe verte, je vous donne tout cela.
Mais, avec la chair, vous ne mangerez pas le principe de vie, c’est-à-dire le sang.
Quant au sang, votre principe de vie, j’en demanderai compte à tout animal et j’en demanderai compte à tout homme ;
à chacun, je demanderai compte de la vie de l’homme, son frère ».
(Gen 9,3-5)

Noé fait sortir une colombe de l’arche,
mosaïque de la basilique Saint-Marc de Venise, XIIe siècle

La figure de Noé a deux visages dans les traditions postérieures. La première le voit comme un intercesseur essentiel à côté d’autres figures bibliques. Même si, d’après le prophète, la situation est tellement désespérée qu’on ne peut rien faire : « Et si dans ce pays il y avait ces trois hommes, Noé, Daniel et Job, alors eux, par leur justice, sauveraient leur vie – oracle du Seigneur Dieu. (…) Et si dans ce pays il y avait ces trois hommes, alors, par ma vie – oracle du Seigneur Dieu – ils ne pourraient sauver ni fils ni filles : eux seuls seraient sauvés. »
(Ez 14, 14 et 18)

L’autre visage prend le geste de Noé symboliquement, comme figure du baptême :
« Ceux-ci, jadis, avaient refusé d’obéir, au temps où se prolongeait la patience de Dieu, quand Noé construisit l’arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l’eau. C’était une figure du baptême qui vous sauve maintenant : le baptême ne purifie pas de souillures extérieures, mais il est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite et il sauve par la résurrection de Jésus Christ » (1 P 3,20-21), puis « Il n’a pas non plus épargné le monde des origines, mais, quand il a fait venir le déluge sur le monde des impies, il a protégé huit personnes, dont Noé qui proclamait la justice ». (2 P 2,5)

Tout cela montre que la figure de Noé était devenue très populaire et un témoin essentiel de la destinée humaine.

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Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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